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Directeur artistique de Stylist, lancé par Marie Claire en 2013, Joachim Roncin est aussi le créateur du slogan Je suis Charlie, devenu le symbole de la lutte pour la liberté d’expression. Quatre mois plus tard, il nous dévoile les sources qui l’inspirent dans son métier.

Comment concevez-vous votre métier de directeur artistique et quelles sont vos sources d’inspiration?

Joachim Roncin. Je me vois comme un remixeur d’images. À la différence d’un graphiste, un directeur artistique ne va pas imposer un style, il se fond dans l’attente d’un client à la manière d’un caméléon. Mes inspirations sont très variées. Je les puise dans le pop art, dans la pop culture en général. Cela va d’une discussion entre deux plantes vertes dans la série Between Two Ferns, qui a inspiré une couverture de Stylist, à une exposition sur les frères Lumière, en passant par des séries diffusées sur Netflix ou OCS (Breaking Bad, Bloodline, The Jinx, The Wire, True Detective, Louie), ou les tableaux de Nicolas de Staël, qui est le peintre que j’aime le plus. L’artiste Marcel Duchamp est aussi quelqu’un qui m’inspire énormément.

Dans un autre domaine, les comics des années 1960, particulièrement Robert Crumb, m’ont vraiment ouvert l’esprit sur la contre-culture américaine. À partir de mes 25 ans, j’ai collectionné tout ce que je pouvais sur cet artiste. Un magazine de BD comme Mad m’a également beaucoup éveillé. Je suis aussi fasciné par la pop culture américaine, par exemple les «trading cards» Garbage Pail Kids, connues en France sous le nom Les Crados. Tout est source d’inspiration, y compris une musique ou même un mot, un idiome ou une expression, comme «Ça passe crème», qui a inspiré une autre couverture de Stylist.

 

Quels sont les titres qui vous inspirent en presse?

J.R. New York magazine est un standard de perfection, tant en termes de ligne éditoriale que de graphisme, avec une juste balance entre le texte et l’image, l’un supportant l’autre sans le cannibaliser. Le magazine Bloomberg Businessweek est très bon sur le plan graphique, le New Yorker culte en matière d’illustrations. Quand j’étais gamin, j’allais à la librairie WH Smith à Paris pour trouver The Face, qui était un excellent magazine britannique, tant sur le plan éditorial que graphique. Wired est aussi un modèle. Le numéro de décembre 2014, coédité avec le réalisateur Christopher Nolan, est juste incroyable: alors que les directeurs éditoriaux veulent tous de la couleur, Wired a fait tout l’inverse avec une Une tout en noir et blanc, pas du tout vendeuse. Et pourtant c’est d’une beauté absolue.

 

Et en France?

J.R. Le travail de So Press [Society, So Foot, So Film] est très intéressant même si j'aime moins leur ligne graphique. Ils ont su trouver un vrai ton rédactionnel, ce qui prouve que la presse a encore un avenir si tant est qu’on sache s’y prendre. Quand on est sincère, ça ne peut que fonctionner. C’est la même chose pour le slogan «Je suis Charlie», qui est parti d’un message personnel, ainsi que pour chaque couverture de Stylist. Je n’ai jamais besoin de me tordre pour la sortir chaque semaine. Je connais parfaitement ce qu’est l’ADN de Stylist, je sais jusqu’à quel point je peux aller. C’est comme une relation de couple: je sais exactement où est le point de rupture et dans le cas de Stylist, c’est ce moment où l’on commence à ne plus être complice avec le lecteur.

 

Depuis son lancement en 2013, Stylist a fait bouger les lignes sur le plan graphique. Quel regard portez-vous sur la presse française ?

J.R. Après avoir travaillé comme directeur artistique de Studio magazine et sur Grazia avant le lancement du magazine en 2009, j’étais sorti du secteur de la presse car j’étais très déçu du manque d’originalité du marché français. Il y a un fossé avec ce qu’il se passe en Allemagne par exemple, où le Süddeutsche Zeitung Magazin est un très bon titre. En France, un des seuls qui fait un excellent boulot, c’est M le magazine du Monde. Mais les exemples sont rares et il s’agit soit de suppléments ou de gratuits, comme M et Stylist, soit de titres n’appartenant pas à de grands groupes, comme So Press. Je ne comprends pas que les gros groupes n’osent pas davantage de choses, que les newsmagazines, par exemple, ne soient pas plus «coup de poing». Il n’y a pas besoin de mettre 50 titres en couverture pour qu’un magazine se vende! J’aime l’idée qu’il puisse n’y avoir qu’un seul titre et après, c’est comme une pochette-surprise, on découvre ce qu’il y a dedans en l’ouvrant.

 

Comment définiriez-vous votre style ?

J.R. J’aime beaucoup l’épure. C’est ce que j’ai appris à l’école: «Less is best» [moins il y en a, mieux c’est]. Si on est obligé de mettre des superlatifs dans tous les sens dans un texte, c’est que quelque chose ne va pas, et c’est la même chose pour une image. Le fantasme de tout créateur est de se faire comprendre avec juste une ligne noire. C’est la chose la plus directe possible. C’est comme pour le slogan «Je suis Charlie»: c’est quelque chose de très simple, avec seulement le verbe être, et le «je» qui correspond à la manière dont on parle aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Et c’est cette simplicité et cette sincérité qui m’a permis de trouver écho auprès d’autant de monde. Pour autant, je suis le premier halluciné de l’ampleur prise par ces trois mots, qui sont aujourd’hui inscrits dans la pop culture. C’est kafkaïen de voir quelque chose d’aussi personnel faire le tour du monde!

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