DESSIN. Jusqu'au 1er mars, Art Ludique-Le Musée présente à Paris l'exposition «Dessins du Studio Ghibli. Les secrets du layout pour comprendre l'animation de Takahata et Miyazaki». Une plongée dans les coulisses et la genèse de films d'animation cultes. ALAIN DELCAYRE @adelcayre

A première vue, une exposition sur les layouts n'a rien de très excitant. Il ne s'agit finalement que de dessins préparatoires à la réalisation d'un film d'animation assortis d'énigmatiques annotations (voir encadré). Mais quand sont présentés pour la première fois en Europe 1 300 layouts réalisés de la main du «dieu vivant» de l'animation nippone Hayao Miyazaki, auteur de films d'anthologie (Mon voisin Totoro, Porco Rosso, Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro...), la visite devient un émerveillement et pour certains même un pélerinage. C'est à cette découverte qu'invite jusqu'au 1er mars le musée Art Ludique à Paris à travers l'exposition «Dessins du Studio Ghibli. Les secrets du layout pour comprendre l'animation de Takahata et Miyazaki». Ces deux grands maîtres de la discipline, âgés respectivement de 79 et 74 ans, cofondateurs en 1985 à Tokyo du mythique Studio Ghibli (22 longs-métrages), ont fasciné des générations entières depuis près de trente ans.

Le summum du storyboard

«La force du Studio Ghibli est d'avoir su créer une écriture unique, dont le secret est révélé justement dans ces dessins que l'on appelle “layouts” et dont la perfection de la réalisation a été poussée à l'extrême par Miyazaki», explique Jean-Jacques Launier, directeur d'Art Ludique-Le Musée. Directeur artistique de formation, cet ancien publicitaire, fan de bandes dessinées, de mangas, de jeux vidéo et de films d'animation, souligne combien cette technique permet de mieux penser la façon de construire les plans d'un film, de l'action aux accessoires en passant par le cadrage et les décors. «Aucun autre studio ne travaille comme ça. Ces dessins, très détaillés et d'un degré d'exigence incroyable, sont le summum de ce que l'on peut faire dans le storyboard», ajoute Jean-Jacques Launier. Selon lui, la publicité, qui utilise beaucoup d'effets spéciaux sophistiqués, serait inspirée d'utiliser parfois des layouts.

Message universel

Mais au-delà de la technique proprement dite, le Studio Ghibli est avant tout une source d'inspiration par sa capacité à rendre son message universel tout en utilisant sa propre culture. Si des artistes européens du XIXème siècle comme Gustave Doré, précurseur de la bande dessinée et de l'animation, ont clairement inspiré Hayao Miyazaki notamment, les créations du Studio Ghibli s'inscrivent dans la continuité, comme les mangas, des maîtres japonais de l'estampe tel Hokusai, auteur de Cent contes de fantômes.

Le raffinement de la tradition japonaise, avec de constantes références aux ancêtres et aux croyances, est ainsi très souvent au cœur des films du studio. «Dans Le Voyage de Chihiro, on atteint des sommets de virtuosité dans les couleurs, la gestuelle mais aussi dans l'évocation subtile de la culture japonaise au travers notamment de la magie qui, contrairement à Disney, n'est pas là pour solutionner les problèmes. Le discours n'est pas totalement idéalisé. La narration laisse une grande place à l'imagination intérieure», déclare Jean-Jacques Launier.

Dimension magique

L'héritage artistique du XIXème siècle, notamment dans sa dimension magique, et l'univers du manga se retrouvent aussi dans le jeu vidéo Ni no Kuni, conçu par Miyazaki en 2011 (sortie en Europe en 2013). «Là encore, le langage premier reste le dessin, même si la 3D rend les choses plus complexes», avance Jean-Jacques Launier, qui évoque également la culture du non-compromis du Studio Ghibli: «l'idée d'un Totoro 2, par exemple, est inenvisageable de la part d'un Miyazaki».

Du Japonais Katsuhiro Otomo, créateur d'Akira qui vient de se voir attribuer le Grand Prix 2015 du festival d'Angoulême au Français Joann Sfar, auteur entre autres du Chat du rabbin, l'influence de Ghibli ne se limite pas cependant au seul univers de la bande dessinée, de l'animation ou du jeu vidéo. L'art contemporain a également puisé dans l'imaginaire du célèbre studio. Comme Andy Warhol ou Roy Lichtenstein ont pu se nourrir du monde des auteurs de comics américains, à commencer par celui de Jack Kirby (Captain America, Hulk, les Quatre Fantastiques, X-Men...), Philippe Parreno avec sa vidéo Anywhere out of the world redonnant vie au personnage de manga Ann Lee, ou Takashi Murakami et ses représentations monumentales, également inspirées de l'imagerie manga, montrent combien aujourd'hui l'entertainement dans sa version «animation japonaise», portée à ses sommets par le Studio Ghibli, influence encore le monde de la création.

«Ghibli est un repère, un critère d'excellence, une mécanique de pensée. Beaucoup d'artistes du monde entier viennent voir l'exposition: ils y trouvent une leçon de dessin, de composition et de narration. Avec Miyazaki et Takahata, on touche du doigt les clés pour avancer dans son travail créatif», conclut Jean-Jacques Launier.

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