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À l'heure de la conversation en ligne, les marques doivent mériter l'attention des consommateurs par des actions et des contenus interactifs et participatifs favorisant l'engagement.

C'était il y a un an. Pepsi annonçait renoncer aux écrans publicitaires du Super Bowl 2010, la finale du championnat de football américain qui attire chaque année au mois de février plus de 100 millions de téléspectateurs. Au-delà du coup de RP, la marque de sodas choisissait de consacrer les 20 millions de dollars non investis à la télévision dans une plate-forme communautaire: Refresh Everything (agence TBWA Chiat Day), qui propose aux internautes de voter chaque mois pour des actions caritatives que Pepsi s'engage à financer. Le Social Media Marketing gagnait de nouveaux galons.

Derrière ce terme, une réalité: celle de «la conversation en ligne». En effet, comme le rappelle l'IAB (Interactive Advertising Bureau) dans son livre blanc sur les médias sociaux publié en novembre 2010, avec l'émergence des réseaux sociaux, tout est devenu social et tout le monde est média, du simple citoyen à la marque. «Par média, note l'IAB, on évoque les technologies du Web 2.0 utilisées librement pour créer, indexer, organiser, commenter ou modifier du contenu par les internautes. Par social, on entend toutes les interactions, réactions et influences entre des individus ou des groupes d'individus liés à un contenu.» Ajoutons qu'avec Wikipédia, «les médias sociaux utilisent l'intelligence collective dans un esprit de collaboration en ligne».

Pour les marques, il ne suffit plus d'acheter de la publicité pour s'imposer aux consommateurs. Les voilà sur Internet en concurrence non seulement avec leurs compétiteurs naturels, mais avec tout ce qui sollicite l'attention des internautes: les médias, les conversations et les contenus créés par les consommateurs (avis, commentaires et notations sur des produits ou services). Les marques doivent mériter l'attention des consommateurs par des contenus et des actions interactifs et participatifs favorisant l'engagement.

Pour l'IAB, «le Social Media, c'est considérer Internet comme un moyen de communication qui utilise l'ensemble des outils et technologies 2.0 pour mettre des individus en relation à travers le dialogue, l'échange, le partage et la création de contenus Web.» Cédric Deniaud, coauteur du blog Mediasociaux.com et cofondateur du cabinet de conseil The Persuaders, insiste, lui, sur l'aspect relationnel: «Le Social Media Marketing correspond à des opérations menées par les marques pour être présentes dans les conversations ou dans les contenus en ligne dans une démarche relationnelle.» Il déplore à cet égard que «les marques françaises confondent encore communication et conversation, et trop souvent buzz et influence numérique». «Le buzz sait faire parler de soi, insiste-t-il, quand l'influence est une relation qui se construit dans la durée avec des clients enthousiastes pouvant devenir des ambassadeurs de la marque.»

De préférence, il faut que le service soit utile (à l'instar du site communautaire Nikeplus.com, qui autorise aux runners une comparaison de leurs performances, ou de l'application mobile de Castorama, qui permet de rentrer les dimensions d'une pièce avant d'aller en magasin), informatif ou divertissant. «C'est encore plus pertinent quand les dispositifs qui utilisent les médias sociaux pour engager les consommateurs ont un écho dans la vraie vie», estime Lionel Curt, président de l'agence Clap-Clap. À l'occasion de la sortie en France du film Harry Potter et les Reliques de la mort, son agence a mis en place, l'automne dernier, un dispositif communautaire mobilisant les fans du héros, sur Internet et en dehors de la Toile, afin que leur ville gagne la diffusion de l'avant-première du film. En un mois, 160 000 fans ont joué et posté 130 000 photos, et 2 500 se sont déplacés à Tours, la ville lauréate: David Radcliffe, l'acteur incarnant Harry Potter, s’est même fendu d’une vidéo de félicitations sur You Tube. De même, en Allemagne, la marque de vêtements Diesel a organisé en juin 2010 Facepark, un Facebook en plein air en utilisant tous les leviers digitaux pour créer l'événement.

«Les marques doivent servir aux consommateurs une expérience, un message utile ou divertissant, personnalisé, différenciant et remarquable, c'est-à-dire ayant un potentiel de buzz, résume Emmanuel Vivier, fondateur et directeur de la stratégie de l'agence Vanksen. Les dimensions créatives et relationnelles sont très complémentaires. Il faut créer une plate-forme, puis activer la conversation par des opérations virales.»

«Les médias sociaux ou plates-formes communautaires peuvent servir tous les objectifs de communication d'une marque, souligne l'IAB dans son livre blanc. Les réseaux permettent aux marques d'informer en temps réel leurs cibles/prospects, de créer des conversations en “one to one”, d'animer des communautés (via des jeux-concours, instant gagnant, informations et contenus exclusifs, médiatisation en direct d'événement), de vendre, ou encore de fidéliser.»

À cet égard, l'arrivée des outils de géolocalisation mobile – Foursquare ou Places, de Facebook – permet de créer des programmes de fidélité et de récompenser la visite dans les points de vente. Les médias sociaux sont donc à la fois efficaces pour mener des opérations de communication ponctuelles, comme le fait la publicité finalement, et des actions pérennes de gestion de la relation client. En revanche, quand les annonceurs utilisent les médias sociaux en tant que supports de diffusion publicitaire dans une logique d'audience, on ne peut pas à proprement parler de Social Media Marketing, si l'on considère que la notion suppose qu'on implique une communauté pour qu'elle devienne ambassadrice de la marque. C'est ce qui distingue la fameuse et remarquable publicité interactive et virale Tipp-Ex réalisée par Buzzman et diffusée sur You Tube (35 millions de vues depuis septembre 2010), dont les objectifs prioritaires étaient l'image et la notoriété, et le dispositif pour le film Harry Potter sur Internet et Facebook, qui visait à fédérer des fans du jeune sorcier pour en faire les porte-parole de la marque.

Les médias sociaux correspondent à des usages différents. Certains sont davantage des outils de publication (blogs, microblogs type Twitter ou Tumblr, etc.), d'autres des outils de partage et de création de contenus (Wikipédia pour le contenu collaboratif, You Tube et Dailymotion pour les vidéos, Flickr pour les photos, etc.). Et il y a les réseaux sociaux proprement dits, du géant Facebook, avec 20 millions de membres en France, au plus intime Meetic, consacré aux rencontres amoureuses. D'autres sites communautaires se développent, spécialisés par centres d'intérêt ou services, réinventant la logique de la presse magazine thématique avec une dimension sociale, interactive et conversationnelle. Ils sont créés à l'initiative de médias, d'internautes ou de marques elles-mêmes.

«Attention, insiste Emmanuel Vivier, chaque marque, chaque industrie nécessite une approche spécifique et, dans tous les cas, il faut prendre le temps de planifier sa stratégie. Ainsi, avant de penser marketing 2.0, il faut définir ses cibles, ses objectifs, son discours de marque, les points de contact, les indicateurs de mesure, mais aussi les contraintes d'organisation interne. Il faut également s'obliger à écouter avant de prendre la parole  – analyse des blogs, des forums, etc. – et faire un audit de son e-reputation. Enfin, il faut être créatif et différent pour créer le buzz, offrir une réelle utilité pour mériter l'attention, rester humain et participatif pour fédérer et fidéliser. Sans oublier l'intégration d'Internet et des supports traditionnels dans un marketing transmédia.»

Le choix des technologies et des supports ne doit être que l'aboutissement d'objectifs définis en amont et non le contraire, ce qui est encore trop souvent le cas. «En France, les médias sociaux sont encore abordés d'un point de vue tactique et s'inscrivent rarement dans une stratégie globale», observe Sandrine Plasseraud, directrice générale de l'agence We are Social. Toutefois, pour éclairer la spécificité de chacun des supports, un petit tour d'horizon n'est pas inutile.

 

FORUMS ET BLOGS. Ce sont les espaces de conversation par excellence sur Internet, ouverts et traitant de toutes les thématiques. Il est recommandé d'intervenir à visage découvert, à l'instar de ce que peut faire Areva sur des forums autour du nucléaire. En relations publiques, la marque peut envisager d'approcher l'administrateur ou les modérateurs d'un forum, mais plus sûrement des blogueurs identifiés comme influents dans son domaine d'activité, qui pourront relayer ses messages auprès d'une communauté partageant les mêmes centres d'intérêt. «La sélection de blogueurs experts assure une visibilité à la marque, via le référencement de ces blogs dans Google», souligne Damien Guimet, responsable Social Media d'Heaven. Le recours aux blogueurs peut prendre de multiples facettes, de la reprise de communiqué – billet rémunéré ou pas – à leur participation active. La marque André a ainsi sollicité des blogueuses pour la cocréation d'une chaussure.

 

FACEBOOK ET RÉSEAUX SOCIAUX. Ce sont des sites de mise en relation dans lesquels les membres se qualifient et «renseignent» leur personnalité pour entrer en contact avec leurs amis ou avec des profils leur correspondant. Toutes sortes de contenus (messages, avis, photos, vidéos, jeux, etc.) peuvent y être édités. On assiste actuellement à une sorte de bulle autour de Facebook, les marques réclamant leur «fanpage» sans savoir souvent pourquoi et ignorant, au final, ce qu'elles comptabilisent en additionnant leurs fans.

Le réseau ne répond pas à toutes les problématiques. Bon nombre de marques n'y font d'ailleurs que des actions d'image et de notoriété (Oasis et son vote du fruit de l'année), d'autres plus innovantes testent l'e-commerce, à l'instar de La Redoute.

Pour Aziz Haddad, directeur de l'agence Noyz (Isobar), il serait utile de développer «des logiques de présence pérenne permettant de fédérer des communautés qui vont interagir et diffuser du contenu». «Une fois la page créée et les fans recrutés, poursuit-il, il faut l'animer avec du contenu exclusif, des promotions, des rencontres, des tests de produits, de la vidéo, des sondages, des discussions et, surtout, il faut valoriser le contenu des utilisateurs.»

À l'instar de la stratégie «Fan first» de Coca-Cola, qui privilégie la prise de parole des fans (photos, vidéos, avis, etc.). Ou de Playstation (agence Vanksen), qui anime sa fanpage de manière régulière, avec l'objectif de fédérer une base de clients potentiels, en lançant des débats sur ses jeux ou en donnant des informations sur le marché, comme pendant le salon mondial du jeu vidéo où un post était publié chaque heure.

Le site de tourisme Tripadvisor, lui, a créé Tripfriends, un widget qui permet de se connecter à Facebook sans sortir du site et de recevoir des opinions et des conseils de ses amis sur une destination par eux-mêmes déclarée favorite.

Sur les réseaux sociaux professionnels, type Viadeo ou Linkedin, les marques sont peu présentes. Philips Heathcare sponsorise toutefois un groupe de discussion à propos de la radiologie sur Linkedin. Ce réseau a d'ailleurs annoncé fin 2010 la création prochaine de groupes de discussion ouverts à tous, sans inscription, et dont les contenus seront indexés par les moteurs de recherche et partageables sur Twitter et Facebook.

 

TWITTER. Ce site de microbloging permet d'envoyer des messages courts à des «followers» abonnés au flux d'information de la marque. C'est notamment un nouveau canal relationnel pour le service après-vente ou la promotion. Best Buy, aux États-Unis, avec sa «Twelpforce», imaginée par Crispin Porter & Bogusky (2 000 salariés qui répondent via Twitter aux questions des consommateurs), reste un modèle inégalé que McDonald's France et son agence DDB Paris étudient.

 

PLATES-FORMES DE PARTAGE ET DE CRÉATION DE CONTENUS. Sur Dailymotion ou You Tube, les marques peuvent créer leur propre chaîne vidéo en mettant en ligne du contenu audiovisuel, à l'instar de Beauty TV de L'Oréal Paris, qui délivre des conseils de maquillage, ou de Lancez-vous, la chaîne de conseil en bricolage de Castorama. De manière plus ponctuelle, ces plates-formes de partage sont également bien adaptées au jeu-concours vidéo. Dans l'esprit de sa saga publicitaire Maaf Palace, la compagnie d'assurance a ainsi lancé, l'an passé, avec son agence Isobar, le championnat des râleurs sur You Tube. Le vainqueur (vidéo élue par ses pairs) gagnait notamment le droit de figurer dans un prochain spot de publicité.

 

PLATES-FORMES COMMUNAUTAIRES. Ce sont des sites thématiques créés soit par un média ou un éditeur – version Web 2.0 de la presse magazine –, soit par la marque elle-même qui décide de préempter un territoire d'expression. «Sur un site thématique d'éditeur, la marque partenaire peut entrer en conversation en proposant du contenu attendu par la communauté ou en favoriser la cocréation», indique Cédric Deniaud, du cabinet The Persuaders. C'est le cas de Danette sur le site de recettes Marmiton.org, qui propose sur un espace cobrandé ses recettes et celles de blogueuses. Les marques peuvent aussi lancer leur propre plate-forme, à l'instar de Nikeplus.com destiné aux runners, de Giiks de Bouygues, un portail d'information sur le mobile, ou encore de Vivons l'immobilier du Crédit foncier (conçu par l'agence Nextidea), qui propose à la fois du contenu éditorial et un module participatif de questions-réponses. La marque de ciseaux Siskar, de son côté, a lancé, avec Vanksen, Siskarette, un site de travaux manuels collaboratif.

 

SITES DE MARQUE. Selon Cédric Deniaud, la tendance pour 2011 est à «la socialisation des sites e-commerce et corporate qui intègrent des briques participatives communautaires», à l'instar du pionnier Debats.sncf.com et plus récemment du module de dialogue lancé par areva.com. Dans une approche résolument CRM, la version Web du programme relationnel «Danone et Vous» reste un modèle à suivre.

D'ici à 2014, Forrester Research prévoit que plus de 3 millions de dollars seront investis aux Etats-Unis dans le Social Media Marketing. Nous en sommes donc encore aux prémices. En France, les marques sont dans une attitude plus opportuniste que stratégique et participent au brouhaha ambiant. Pour la plupart d'entre elles, le Web social est une énigme. À l'instar de la DDB Digital University et ses modules de formation, les agences ont décidé, pour accélérer le développement de ce «new business», d'enseigner à leurs clients les subtilités de la conversation en ligne.

S'engager sur les médias sociaux est également un casse-tête organisationnel. Se pose la question du «community management», c'est-à-dire des ressources humaines allouées et de leur gestion en interne. Prendre la parole sur Internet représente un coût et un engagement pour la marque, et n'est pas anecdotique en matière de gouvernance.

Emily Riley, directrice de recherche chez Forrester et auteur du rapport 2011 «Interactive Marketing Predictions» considère à cet égard que «les professionnels du marketing continuent d'opérer via des supports les “ghettoïsant”». Pour elle, une des utilisations du marketing interactif les plus efficaces vient d'entreprises comme Pepsi Co, Fedex et IBM, qui ont mis en place un modèle dit «hub and spoke» consistant, dit-elle, en «une technologie centralisée, une équipe ad hoc, le tout soutenu par une stratégie matricielle et une organisation opérationnelle». Reste un défi qui ne se modélise pas: gagner la confiance des internautes, préalable à tout engagement.

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