Relation sur les réseaux sociaux, légalisation des «class actions», indicateurs de performance: la réputation est un enjeu toujours plus stratégique pour les entreprises et une véritable opportunité pour les agences.

«Paris est toujours romantique, mais ce mois-ci plus que jamais.» L’annonce du Bon Marché sur les réseaux sociaux, en janvier dernier, présentant son mois du mariage, a offusqué les internautes. Il faut dire qu'on la trouvait encore sur la page Facebook de l’entreprise, plusieurs heures après les attentats du 7 janvier visant Charlie hebdo.

Mauvais timing et mésaventure emblématique de l’ère dans laquelle sont entrés les entreprises et leurs conseils en relations publics. «Nous sommes dans le présent perpétuel, où le risque de réputation est multiplié à l’envie par le web social», note Philippe Pailliart, président de Burson-Marsteller I&E. Mais cette complexification du métier de RP procure de nouvelles opportunités de business. «Une agence qui ne travaille pas sur l’e-réputation de ses clients est morte aujourd’hui», affirme Manon Cardiel, directrice associée de Point Virgule, dont l’activité de community management concerne dorénavant 35% de ses clients, contre à peine 10% il y a deux ans.

Un nouveau risque

Dans cette course vitale pour trouver de nouveaux relais de croissance, la plupart des agences tentent de développer des offres de veille sur les réseaux sociaux et de cartographie de l’e-influence, plus rémunératrices que la relation presse classique. Chez Ogilvy, par exemple, cette gestion du web et des e-influenceurs représente 40% de l’activité. Facebook, Twitter, Instagram, Linked In…, tous les réseaux sociaux sont passés au crible. «La veille doit être d’autant plus fine et permanente que les experts du web qui joueront le rôle de caisse de résonance peuvent quasiment apparaître et disparaître du jour au lendemain», indique Eric Maillard, directeur général d'Ogilvy PR.

Du coup, les formations à la gestion de crise digitale se vendent comme des petits pains. Comme chez Burson-Marsteller I&E, où le chiffre d’affaires sur les audits de réputation et autres formations des risk managers dans le digital a été multiplié par deux depuis 2013. Ou chez Hill + Knowlton qui a mis sur pied, comme ses collègues, une offre de digital training. «Nous allons aussi lancer Flight School, un outil de simulation de crise qui intègre les médias sociaux, donc le temps réel, et l'ensemble des parties prenantes gérées en ligne et qui peut se déployer à l'international», indique Caroline Langlais, codirectrice générale de Hill & Knowlton.

«L'enjeu, c'est aussi de faire comprendre aux clients que même les opérations RP de lancement de produits, comme les actions de communication corporate, doivent servir la réputation à long terme», ajoute Pascale Azria, directrice générale de Kingcom.

Au-delà du digital, un nouveau risque «réputationnel» vient d’apparaître avec l’entrée en vigueur, depuis le 1er octobre 2014 (article L423-1 du Code de la consommation) des actions de groupe de consommateurs. Elles peuvent être intentées en justice via quinze associations de consommateurs agréées par l'Etat en vue d'obtenir réparation de préjudices économiques. Cinq actions de groupe ont déjà été lancées depuis la promulgation de la loi. Pour y répondre,  les agences s’organisent. Havas a créé un département de huit personnes, Havas Legal & Litigation. «Le risque d’opinion et financier est tel que nous avons déjà une dizaine de clients, indique Benoît Viala, patron du pôle influence d’Havas Paris. Ce qui représente aujourd’hui une activité significative au sein de l’agence.»

Cela devrait monter en puissance. Selon un sondage Ifop de décembre 2014 commandé par Havas, 91% des Français sont favorables à ces «class actions». Sans compter l’Ordre des avocats de Paris, qui devrait mettre en place au premier trimestre 2015 une plateforme en ligne pour recenser les griefs des consommateurs et fédérer les plaignants. Pour Benjamin Martin, directeur conseil affaires publiques chez Publicis Consultants, ce type de contentieux pourrait «exploser». «Nous intégrons systématiquement les class actions dans nos offres, dit-il. Nos clients de la grande distribution, de la téléphonie et du secteur bancaire y sont particulièrement sensibles.»

D’autres pourraient les rejoindre, notamment les laboratoires pharmaceutiques, car le périmètre des actions de groupe, cantonné jusqu’alors aux biens et services, pourrait s’élargir à la santé. Ce que propose l’article 45 du projet de loi sur la santé, qui sera examiné à l’Assemblée à partir du 17 mars prochain.

«Uberisation»

Au vu de ces nouveaux risques de réputation, toutes les agences observent une montée en puissance des demandes relatives à l’anticipation et à la gestion de crise. Avec parfois quelques dérives, telle l’affaire des faux chroniqueurs dans l’OPA du Club Med (Stratégies N°1797) que la charte du Syntec RP sur la communication de crise de novembre 2014 sera bien en peine de dissuader.

Le risque réputation peut surgir de n’importe où… et la concurrence aussi. «Jamais les frontières des métiers de la communication n’ont été aussi poreuses, résume Dimitri Granger, directeur général PR & Social Media chez Publicis Consultants. Tout le monde “hacke” tout le monde.» Le métier des RP est convoité aussi bien par les agences conversationnelles et digitales que par le marketing relationnel, la publicité ou encore les cabinets d’avocats… Même les médias proposent dorénavant aux marques des packs de visibilité.

Une menace qui peut se transformer en opportunité. «Cela montre que notre métier de la relation est devenu central et stratégique», considère Benoît Désveaux, directeur général d’Hopscotch Global PR Group. Emmanuel Bachellerie, directeur du pôle institutionnel de Thomas Marko & Associés abonde: «Cette difficulté peut se transformer en aubaine, car pour faire vendre et faire savoir, les RP restent les meilleurs.»

Pour défendre la valeur de leurs métiers, l’intégration est la clef, jugent les agences de RP. A savoir, la capacité à faire rayonner ensemble des relations publics, du digital, de l’événementiel, de la création…

Concernant les médias, l’on assiste, selon Cécile Missildine, directrice Europe de Text 100, à une «uberisation» des RP: «Les canaux digitaux ont mis sur le même plan journalistes, consommateurs, blogueurs et salariés. Impossible dorénavant d’en privilégier un par rapport à l’autre.»  D’ailleurs, les relations médias ne participent plus qu’à 50% de l’activité chez Text 100, contre 80% il y a deux ans et un tiers estimé l’an prochain.

Toutes les agences ne sont pas aussi radicales et continuent de penser à l’instar de Thomas Marko, patron de Thomas Marko & Associés, que «la relation au journaliste reste et restera fondamentale. Cela représente toujours 55% de l’activité et ça ne devrait pas baisser, mais notre façon de les appréhender, de plus en plus sur les réseaux sociaux, et de leur fournir un contenu de plus en plus qualitatif – infographies, sons, photos, contenus vidéos, etc. – a changé.» «On aide nos clients à ne plus fournir aux journalistes de la communication mais de l’information», complète Manuel Lagny, président de Meanings.

Consolidation

Pour séduire les e-influenceurs, c’est parfois l’inverse. «Si l’on cherche de la visibilité, les blogueurs peuvent être rémunérés, ose Julien Monet, directeur de Monet + Associés, précisant que «le ticket moyen se situe entre 400 et 800 euros» et que la rémunération peut monter «jusqu’à 10 000 euros pour les blogueurs du Top 10 français». Selon les agences, la pratique serait rare…

Elles sont en revanche toutes d'accord avec Nathalie Bernard, directrice d’Hopscotch Paris, pour considérer que «la vraie tectonique des plaques dans nos métiers, ce sont les contenus» et s’échinent donc à faire de leurs clients et de leurs marques des médias. Avec quelques difficultés et beaucoup de tâtonnement, notamment sur les réseaux sociaux où certaines commencent à expérimenter, pour réduire les coûts, l’automatisation de contenus. «Une solution émergente intéressante, particulièrement pour générer de la conversation», juge Benoit Désveaux, d’Hopscotch, qui recrute de plus en plus d’ingénieurs. Le métier se robotisera-t-il?

En attendant, le besoin de conseil semble plus important, au vu de la complexité de l’environnement. «Les clients achètent des équipes et des talents avant d’acheter des idées, constate Elisabeth Coutureau, coprésidente de Clai et présidente de l’AACC Corporate. Aussi, toutes les agences consolident leur expertises.» Certaines ne survivront pas. Premières concernées, «les agences intermédiaires franco-françaises qui ont mal anticipé le virage digital et l’intégration», selon Franck Louvrier, vice-président de Publicis Consultants. Benoît Viala, d'Havas Paris, renchérit. «Toute révolution a ses morts, et celle que nous vivons entraîne une consolidation du marché entre agences RP, événementielles, digitales et publicitaires.»

Pascale Azria, de Kingcom, également présidente de la commission digital du Syntec RP, confirme cette tendance du marché, avec toutefois la conviction que «cette consolidation inévitable ne se fera peut-être pas au profit des grosses agences internationales, car les clients ont besoin plus que jamais d'agilité et de proximité».  

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.