Digital
Très recherchés par les entreprises en quête de compétences rares et mobilisables rapidement, les free-lances experts du digital restent difficiles à trouver et évaluer. Une lacune que des plateformes cherchent à combler.

Serait-ce un raz-de-marée free-lance ? En dix ans, le nombre de ces travailleurs indépendants aurait augmenté de 120 % et ils seraient déjà 830 000, selon une étude de l'agence Malt. Ils pèsent déjà 4 % des 19,3 millions d'emplois du secteur privé. Au sens large, le numérique fournit une grande partie de cette immense cohorte, estime Laurent Levy, PDG du groupe Inop's, qui développe une plateforme « XXE » qui connecte les entreprises avec des experts : « J’estime qu’il y a environ 100 000 free-lances du numérique en activité et que leur volume va augmenter de 20 à 25 % sur les cinq ans à venir. »

Marché libre

Sur le secteur plus restreint de l'IT [Information Technology], Christophe de Becdelievre, PDG de la plateforme de mise en relation Le Hibou, estime entre 30 000 à 40 000 le nombre de free-lances. À ses yeux, leur croissance rapide tient à une raison simple : « Ce type d'emploi permet aux entreprises de trouver des compétences sans avoir à supporter les frais de structure des ESN [entreprises de services numériques] ou des agences, et aux free-lances d’avoir des revenus supérieurs de 40 % à 50 % à ceux qu’ils auraient en étant salariés. » L’émergence des nouveaux métiers du digital (community manager, UX ou growth hacker), dotés de filières de formations moins structurées, ont accéléré le phénomène en suscitant des vocations, en particulier parmi les jeunes.

Avec un moteur aussi puissant, ce marché « libre » suscite bien des convoitises et les initiatives se multiplient. Fin mai, la start-up Comet, qui met en relation des grandes entreprises avec des travailleurs indépendants spécialistes de la tech et de la data, a levé 11 millions d’euros. Lancée en 2017, elle revendique un vivier de 1500 freelances, plus de 100 clients, et envisage déjà de s’implanter au Royaume-Uni et en Irlande dès 2019. 

Cap sur les consultants

Comet aura sans doute fort à faire pour déloger des concurrents bien installés qui affichent des viviers plus fournis. La plateforme Yoss revendique ainsi 4 000 freelances et compte atteindre le palier des 10 000 dès 2020. Le Hibou, une marketplace spécialisée dans l’IT, revendique 14 000 consultants et table sur 30 000 dans les 18 prochains mois. Navigant dans les mêmes eaux, XXE affiche une base de 13 000 free-lances et annonce une moyenne d’acquisition de 2 000 à 2 500 nouvelles recrues chaque mois. « Fin 2018, nous serons à plus de 20 000 et comptons être leader sur le numérique en France », annonce Laurent Levy.

En s’élargissant, le digital a en outre donné naissance à des domaines toujours plus spécialisés dans lesquels s’affrontent un nombre réduit d’acteurs. La plateforme Le Hibou se consacre ainsi à l’IT pur et dur. Ses free-lances sont spécialisés dans trois domaines : les infrastructures, les progiciels (SAP, Oracle) ou les programmes spécifiquement développés pour une entreprise, et le conseil dans le cadre de l’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO).

L’équipe du Hibou rencontre chacun de ses consultants, lui fait passer des tests techniques et des tests de personnalité, et gère l’ensemble du volet juridique. Les missions sont suivies par un account manager qui intervient en cas de problème. Si elle se présente comme un modèle hybride entre une marketplace et une société de services de type ESN, Le Hibou se distingue nettement de ces dernières, souligne Christophe de Becdelievre : « Nous n’avons pas les contraintes d’une ESN à qui les périodes dites “inter-contrats” coûtent cher et qui est donc poussée à “staffer” ses consultants coûte que coûte. »

Les grandes entreprises peu prisées

XXE déclare, de son côté, traiter 850 domaines de compétences, dépassant ainsi largement le cadre classique de l'IT, et cible un large spectre couvrant les ETI [Entreprises de taille intermédiaire], les ESN [Entreprises de services du numérique], les start-up ainsi que les agences de communication. Au printemps, cette plateforme a lancé les Yellow Angels, un service qui permet aux free-lances de facturer leur prestations à la minute. Une façon de valoriser le temps de travail alors que les freelances sont encore rémunérés à l'acte, ce qui permet certes d'organiser sa vie professionnelle, mais en mordant de plus en plus sur sa vie personnelle.

Quant à Yoss, la plateforme cible en priorité les grandes entreprises en misant sur une relation directe. « Notre algorithme de recommandation et de matching prend en compte les caractéristiques de la société, du département demandeur ainsi que de la personne qui effectue la recherche afin d’assurer une bonne relation inter-personnelle », explique Guillaume Herrnberger, l’un des cofondateurs de Yoss. En assurant le paiement du freelance quatre jours après la validation de la facture sans perturber les processus comptables habituels des grandes entreprises, la plateforme compte rapprocher ces deux univers. « C’est un enjeu car 70 % des free-lances préfèrent aujourd’hui travailler avec des start-up et des PME », affirme Romain Trébuil, l'autre cofondateur.

ENCADRÉ – Avis d'expert…



« Une explosion de la demande »



Laurent David, consultant en management de transition chez Robert Walters, spécialisé dans le digital, les médias, l’entertainment et les télécoms.

« Nous observons une explosion de la demande de free-lances spécialistes de l’IT, et notamment de cadres expérimentés qui ont déjà effectué une partie de leur carrière en CDI. Le marché de l’emploi est relancé et l’enjeu actuel n’est plus de trouver un poste mais des compétences. Le contexte de transformation digitale favorise la sollicitation des free-lances, ce qui est renforcé par une évolution sociétale. Faire toute sa carrière dans une seule entreprise n’a plus cours. Les millennials sont plus volatils et préfèrent le mode projet. Internet a aussi fluidifié le marché en rendant les offres et les candidats bien plus visibles et afacilité les échanges. Tous ces facteurs favorisent le recours à des experts sur des durées limitées.

Historiquement, le management de transition était surtout sollicité dans trois domaines – la finance, les RH et l’industrie – essentiellement pour des restructurations et des plans sociaux. La transformation digitale a fait naître le besoin de profils 360°, capable d’entrer en interaction avec l’ensemble des directions opérationnelles. Elle génère aussi une forte demande de spécialistes techniques pointus, ou plus orientés marketing e-commerce et data.

Les plateformes automatisées d’intermédiation peuvent être utiles pour des développeurs aux compétentes bien précises mais elles ne conviennent pas pour des profils de managers. Même avec des CV présentant les mêmes compétences, le pourcentage de réussite des missions peut varier considérablement en fonction des personnalités. L’une va matcher avec la culture de l’entreprise et l’autre pas ».





ENCADRE



L'enjeu de la fidélisation 

Pour attirer et fidéliser les free-lances, les plateformes développent des services spécifiques. À ceux qui souhaitent franchir le pas, le plus souvent des salariés, XXE propose des outils pour les aider à créer leur propre structure. Yoss a de son côté créé un éco-système de services basé sur quatre « verticales » : le « daily » (espaces de coworking et services de restauration), le « care » (offre de mutuelle ou systèmes de garantie pour louer ou acheter un appartement plus facilement) ; le « safe » (conseil juridique) et le « grow » (pour développer ses compétences). Comet propose un éventail de services similaires comprenant des assurances santé, des garanties logements ou encore des formations.

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