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Managers, créatifs, planneurs, écoliers… tout le monde se presse en cours de programmation informatique. Un mouvement de fond.

Des cadres supérieurs d'Orange, La Poste, Yves Rocher ou Allianz qui suivent des cours de code chez Simplon.co à Montreuil (93), 50 étudiants d'HEC qui participent à une semaine d'initiation au code, à l'école 42, ou encore, des dizaines de salariés de l'agence Les Gaulois qui se réunissent les vendredis midis pour une formation au code... Les initiatives se multiplient. Et cela devrait s'amplifier: du 11 au 17 octobre a lieu la 2e édition de la code week, avec plusieurs centaines d'événements aux quatre coins de l'Europe. En parallèle, les coding goûter essaiment en France et le code pourrait bientôt faire sa rentrée à l'école, appuyé par un rapport du Conseil national du numérique (CNN). S'agit-il juste d'un phénomène de mode ou d'un mouvement plus profond lié à la transformation numérique de la société? Comment agences et entreprises prennent ce virage?

La mue numérique de la société est tellement profonde, qu'il semble normal de devoir apprendre une nouvelle langue qui corresponde à ce nouveau monde. Car le code est une véritable clé d'entrée dans le monde informatique: coder permet de créer un logiciel, site Internet ou application mobile. Donc, la programmation informatique n'a rien d'un phénomène de mode. Du coup, les dirigeants qui ont intégré cette nouvelle donne et compris que la maitrise de l'HTML, du PHP ou du Java Script était cruciale, augmenteront les chances de survie de leur entreprise.

Décoder le monde

Déjà une poignée de grosses sociétés et d'agences envoient leurs cadres, planneurs stratégiques et professionnels du marketing en cours de code. Si tout le monde ne codera pas demain, en revanche chacun devra être capable de comprendre comment cela fonctionne et d'échanger avec les développeurs. Exemple avec Simplon.co, entreprise à vocation sociale qui propose d'abord à des demandeurs d'emplois ou des porteurs de projets entrepreneuriaux des formations de six mois, mais s'adresse également à des cols blancs: «Nous assurons des cours de code pour des cadres dirigeants de grands groupes (La Poste, Leroy Merlin, Yves Rocher...)», précise Frédéric Bardeau, fondateur de Simplon.co. Le code permet de savoir comment fonctionnent les machines. «Comprendre le code, c'est comprendre le monde dans lequel on vit. Un ingénieur, technicien d'intervention ou conseiller client doit pouvoir dialoguer avec des développeurs», souligne Ludovic Guilcher, DRH adjoint du groupe Orange France.

De nombreuses entreprises font les yeux doux à ce temple du coding qu'est l'école 42: «Nous avons reçu beaucoup de groupes sur le campus, de L'Oréal à la Société générale..., précise Nicolas Sadirac, le directeur de l'école. Soit lors de tables rondes avec les étudiants, ou de Hackathons (NDLR: défis où les étudiants peuvent par exemple créer une application pour une entreprise).» Sans compter les visites d'Apple ou de la Nasa, cette fois-ci pour recruter des étudiants. Au-delà de la programmation, les entreprises y voient des enjeux managériaux et collaboratifs. Plusieurs organisent ainsi des ateliers code réunissant cadres, designers, DSI, responsables media sociaux...

En amont

«Il faut dire aussi que la technologie est beaucoup plus accessible, constate Sabri Mezghiche, directeur du planning stratégique Human to human, agence spécialisée en e-réputation. Par exemple, il y a quelques années, c'était compliqué de créer un GIF animé, maintenant il y a des applications pour le faire». La Poste a ainsi envoyé des cadres chez Simplon.co: l'ensemble des collaborateurs de la branche numérique (une centaine de personnes), dont Nathalie Andrieux, directrice générale adjointe membre du ComEx, ont suivi un «cours» sur ce langage du code, puis des exercices. «Il s'agit de démystifier cette langue étrangère qu'est le code, et rendre les gens à l'aise avec le numérique», estime Sylvie Joseph, directrice du programme de transformation interne pour la branche numérique de La Poste.

En agences aussi, le code est au programme: «Des chefs de projets, créatifs ou planneurs suivent notre cours de code en Mooc, poursuit Frédéric Bardeau. Pour les chefs de projets et créatifs, comprendre le code permet de mieux briefer les web agencies, mieux monter ses recommandations ou appels d'offres.» Chez Ogilvy, le code devient une compétence cruciale. «On fait souvent évoluer des développeurs vers des fonctions de creative technologist ou user experience designers. Et chez nos jeunes recrues, beaucoup ont déjà codé, précise David Raichman, directeur de création chez Ogilvy One, et directeur du Ogilvy Lab à Paris. Nous avons aussi organisé avec le planning stratégique une journée dédiée à la robotique et aux objets connectés.»

Chez Les Gaulois aussi, les formations au coding se poursuivent: «Il y a 35 à 40 personnes qui viennent régulièrement, et désormais nous travaillons plus sur des projets personnels, liés aux objets connectés, comme une imprimante à tweets», détaille Guillaume Cartigny, le creative technologist de l'agence. D'autres agences sont tombées, toutes petites, dans la marmite du numérique. C'est le cas de Nodesign selon son cofondateur Uros Petrevski: «Je programme énormément, c'est indispensable pour créer des prototypes, inventer de nouveaux objets (connectés...).» Idem au sein de l'agence web technique, the coding machine: «Avant, le développement informatique était considéré comme une fonction pas très sexy, aujourd'hui il y a une démystification du métier et cela s'accompagne de l'arrivée de nouveaux profils moins technos», relève Jean-Guillaume Dujardin, fondateur de The Coding machine.

Enfin certaines écoles de commerce, marketing ou communication se convertissent aussi au coding. Le groupe Ionis a ainsi proposé à ses étudiants en marketing/communication (ISEG, ISG) de s'initier: «Nous avons mis en place un “summer code camp”, auquel a participé une cinquantaine d'étudiants, précise Yannick Lejeune, directeur internet. Apprendre à coder pour apprendre à décoder...»

 

Code à l'école : le rapport du Conseil national du numérique

Le Conseil national du numérique (CNN) va remettre dans quelques jours son rapport sur la transition numérique de l'école, et il milite pour l'entrée du code à l'école. «En primaire, nous proposons que le milieu associatif monte des offres sur le temps périscolaire sur les rudiments de la pensée informatique, avec des éducateurs associatifs, précise Sophie Pène, qui pilote les travaux éducation du CNN. Au collège, nous recommandons un cours d'informatique d'un an en troisième, centré sur la programmation et l'algorithmique. Et au lycée, nous militons pour que l'option Informatique et Science du Numérique en terminale, soit une vraie discipline informatique avec des professeurs à part entière.» Enfin le CNN plaide pour la création d'un bac «Humanités numériques». La balle est désormais dans le camp de la nouvelle ministre de l'éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem.

 

FOCUS. Les «coding goûters» essaiment en France
Depuis leur lancement en France fin 2011, ils ont essaimé à Paris, Saint-Gratien (95), Lille, Bordeaux, Lyon... Organisés le weekend, ils réunissent à la fois les parents et les enfants qui peuvent littéralement jouer à coder. «Initialement, on a créé les coding goûters pour expliquer à nos enfants ce que l'on faisait. La programmation a un côté amusant, mais c'est aussi une matière attirante pour plusieurs générations», explique Raphaël Pierquin, développeur, un des initiateurs des coding goûters en France. Depuis, le coding goûter s'est imposé comme format pédagogique à part entière, informel, sans formateur. Laurence Bricteux, ex directrice du pôle digital de NRJ, aujourd'hui installée à Marseille (13), s'est aussi lancée dans l'aventure du coding. «J'ai appris à coder, en autoformation grâce à des Mooc, et depuis début 2014, j'organise des ateliers, une fois par mois, pour une dizaine d'enfants avec leurs parents», explique la représentante de Girls In Tech à Marseille. Aujourd'hui ses ateliers sont parrainés par Google for education et elle va lancer des ateliers Apéro du code, début novembre, pour les adultes. Les initiatives foisonnent: à Nancy, Martin Quinson, maitre de conférences à l'université de Lorraine, a lancé une activité dans une MJC locale, baptisée «cod cod coding»...

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