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A la suite de l’affaire du bonus de 16 millions d’euros touché par Maurice Lévy, des messages de soutien lui ont été adressés, de manière plus ou moins spontanée. Que dit le droit du travail?

C'est bien connu: on ne peut juger ses amis que dans l'épreuve. Il y a quelques semaines Maurice Lévy, président du directoire de Publicis Groupe, a eu l'occasion de vérifier l'adage. Il était vertement critiqué dans la presse pour avoir touché un bonus différé de 16 millions d'euros. Dans la foulée, certains managers des agences Marcel, Publicis Conseil et Publicis Consultant ont incité leurs salariés à signer des messages de soutien.

L'affaire a été révélée par Rue89.com et dans cet article, Arthur Sadoun, président de Publicis France et Publicis Conseil, précisait: «Maurice Lévy a reçu des e-mails de soutien de l'interne... Des initiatives individuelles ou collectives. Un manager a très bien pu dire qu'il écrivait un e-mail de soutien et demander si quelqu'un voulait s'y associer. Mais rien d'organisé.» Des salariés, eux, parlaient de fortes pressions pour signer une pétition pour dire que «Maurice il est super».

Inciter ses collaborateurs à déclarer leur flamme à leur patron, est-ce prévu par le droit du travail? Ces proclamations collectives sont elles courantes? «Il n'y a pas de disposition dans le droit du travail encadrant la communication des salariés vis-à-vis de l'employeur, constate, amusée, Me Florence Aubonnet, spécialiste en droit du travail, au sein du cabinet Flichy-Grangé avocats. Et s'il y a bien une obligation de loyauté, cela signifie juste "ne rien faire qui puisse nuire au dirigeant ou à l'entreprise", cela ne prévoit pas un soutien inconditionnel au patron.»

Même les cadres supérieurs qui ont une obligation de loyauté renforcée ne pourraient pas être licenciés pour ne pas avoir clamé leur affection à leur patron. Rien de prévu non plus du côté du lien de subordination qui relie le salarié à ses chefs. «Il s'agit plus d'un problème de communication interne que d'un point juridique», dit Me Aubonnet.

Donc rien n'interdit de lancer une pétition et de demander aux collaborateurs de la parapher. Ensuite cela peut soulever des questions juridiques qui ont trait à la liberté d'expression. «Soutenir ou pas son patron malmené, cette question relève de la sphère privée, elle est donc déconnectée du contrat de travail», confirme Morgane Mondolfo, avocate spécialisée en droit sociale au sein du cabinet de Franklin.

Bien sûr, à condition que cela ne se fasse pas dans la contrainte. «Impossible d'imposer cela à des salariés ou de sanctionner les récalcitrants, tout comme, dans un conflit du travail, ils ne pourraient pas être obligés de remplir une attestation pour défendre l'employeur aux prud'hommes», compare Me Morgane Mondolfo.

D'ailleurs, s'il s'avérait au fil du temps que les non-signataires étaient moins bien traités à cause de leur prise de position, et donc décrochaient moins d'augmentations, de bonus ou de promotions, ils pourraient réagir. «Ils seraient fondés à saisir les prud'hommes pour discriminations en raison de leurs convictions», précise Me Olivier Khatchikian, avocat spécialisé en droit du travail.

Mais si l'on se plonge dans l'histoire économique récente, ces mouvements d'amour envers des patrons décriés ont été nombreux. «Ainsi quand Daniel Bouton, le PDG de la Société Générale, a été critiqué après l'affaire Kerviel ou l'affaire des bonus des traders, les salariés ont fait bloc pour le défendre, se souvient Sophie de Menthon, présidente du Mouvement Ethic (Entreprises de taille humaine, indépendantes et de croissance), initiatrice de la journée "J'aime ma boîte". Toutes les sociétés ont besoin d'un chef et de l'admirer, y compris dans l'armée alors que celui-ci les envoie se faire tuer.»

Sophie de Menthon est allée chercher l'idée de «J'aime ma boîte» aux Etats-Unis, où il existe depuis plus cinquante ans une journée «I love my boss», avec des produits dérivés (tee-shirts, tasses...). En France, le concept a plus de mal à prendre, voire est souvent raillé.

Mais il y a des mouvements spontanés. Ainsi, en septembre dernier, des salariés d'une usine Servier de Gidy (Loiret), qui fabriquait le Mediator, ont voulu diffuser une pétition et un appel dans les médias à laisser la justice «faire son travail». En juillet 2002, quand Jean-Marie Messier, PDG de Vivendi, a dû quitter son groupe qui affichait une dette de 13,6 milliards d'euros, il est sorti de l'immeuble du siège au milieu d'une haie d'honneur et sous les applaudissements de sa garde rapprochée...

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