Le 15 février, France 5 diffusera sur son portail Internet la première thématique de son appel à projets : quatre web-documentaires qui donneront leur vision de la Chine d'aujourd'hui. «C'est pour nous l'aboutissement d'un projet fou né il y a à peine un an», s'enthousiasme Aurélie Hamelin, responsable nouveaux supports à France 5 (lire l'encadré).
A l'origine de ces «Portraits d'un nouveau monde», il y a une rencontre entre la chaîne de télévision et la société de production Narrative, dont les fondatrices Laurence Bagot, journaliste de presse écrite, et Cécile Cros, ancienne directrice générale de l'agence Textuel-La Mine (TBWA), ont eu très tôt la conviction que de nouvelles écritures allaient éclore sur le Web. «Il y a encore un an, personne ne comprenait ce qu'on voulait faire car le web-documentaire ne ressemble à rien de ce qui a été fait jusque-là», se souvient Laurence Bagot. Son inspiration est venue d'outre-Atlantique, grâce au photojournaliste Brian Storm, créateur du site Mediastorm, à qui on attribue la paternité des documents multimédias dès 2005. France 5, la chaîne du documentaire, parie malgré tout sur ce nouveau format encore peu répandu en France. En quelques semaines, l'appel reçoit d'ailleurs cent soixante et un projets de plus de trois cents auteurs, signe qu'un besoin d'expression journalistique se fait plus que jamais sentir.
Dans le même temps, des médias comme Arte ou lemonde.fr se lancent également dans ces récits multimédias. Pour la plus grande joie de cette nouvelle génération d'auteurs, qui mêlent sans complexe photo, audio et vidéo dans un même documentaire. Du jamais vu.
«La place allouée à la photographie se réduit de plus en plus dans la presse écrite. Ces petites œuvres multimédias donnent une nouvelle exposition à nos reportages», explique Elodie Ratsimbazafy, photojournaliste et auteur d'un web-documentaire sur le «cosplay» (contraction de «costume» et «playing») pour le site du Monde.
Jouant sur l'interactivité, ces récits multimédias proposent une arborescence très fine. L'internaute peut cliquer sur un thème du récit qui l'intéresse particulièrement, découvrir une galerie de photos supplémentaires et/ou l'interview d'un interlocuteur. Les déclinaisons sont infinies. «La multiplication des médias utilisés me permet de ne pas avoir à faire de choix entre l'un ou l'autre, ce qui était toujours pour moi une frustration», raconte David Castello-Lopes, journaliste ayant réalisé le web-docu Parcours d'œufs sur lemonde.fr et qui fait partie des auteurs choisis par France 5.
Un tremplin pour les auteurs
«Si les nouveaux outils techniques du Web permettent beaucoup de choses, la force du récit initial doit rester la chose essentielle», nuance Laurence Bagot. Ce ne sont pas les auteurs de web-séries qui vont contredire la journaliste. En effet, cet autre genre de récits multimédias – également en pleine explosion sur Internet – amène lui aussi un nouveau type d'écriture, fictionnelle cette fois. En France, des séries comme DRH ou Le Visiteur du futur ont été déjà vues des millions de fois sur la plate-forme Daily Motion.
Un nouveau format initié par les «nerds», ces passionnés de nouvelles technologies. «Aux Etats-Unis, les web-séries sont déjà un genre très reconnu, à tel point qu'elles possèdent leur cérémonie officielle, les Streamy Awards», explique Ludovic Delaherche, directeur marketing de la plate-forme Eyeka, qui va créer en février une web-série avec la marque Nissan.
«En France, les web-séries sont un tremplin pour leurs auteurs, leur permettant d' avoir ensuite leurs entrées à la télévision», explique Adrien Moisson, fondateur du studio Elegangz, producteur de la web-série L.A. Project en partenariat avec la marque LG.
Des auteurs débutants qui rencontrent ainsi le succès auprès des internautes de 18 à 30 ans, friands de ces formats courts et de moins en moins devant leur écran de télévision. Pour tenter de retenir ce jeune public, certaines chaînes suivent de près ce phénomène. Canal+ a sorti récemment une web-série futuriste, Kali, et diffuse sur son site l'excellent Kaïra shopping.
Réactifs, certains annonceurs parient aussi sur le succès de ces web-séries. En septembre 2009, Hasbro a ainsi fait appel au collectif de réalisateurs Kourtrajmé pour Nerf. Chaque semaine, SFR diffuse sur son portail un nouvel épisode de Guillaume Tel. «Ces productions à petit budget, avec peu d'acteurs et de décor, tirent d'emblée les exigences de création vers le haut», estiment les auteurs, Guillaume Denaiffe et Matthieu Robert.
Seul point noir, en effet, l'économie de ces nouveaux formats reste compliquée… Les coûts de production d'une web-série représentent, en moyenne, 50 000 à 200 000 euros. Ceux d'un web-documentaire varient de 5 000 à 250 000 euros. Ces nouvelles œuvres multimédias sont certes soutenues par des financements du Centre national du cinéma (CNC), mais leur modèle économique est encore très fragile. Difficile pour les auteurs d'en tirer des revenus conséquents. Faute de moyens, il serait dommage que le web-documentaire ne devienne qu'un simple mode de production «low cost», alerte la photojournaliste Elodie Ratsimbazafy.
Encadré
«Portraits d'un nouveau monde» sur france5.fr pendant six ans
Au total, ce sont vingt-quatre documentaires multimédias qui vont décrypter les grands enjeux du XXIe siècle. Si la première thématique (Chine) démarre le 15 février, la diffusion sera étalée sur neuf mois. Les web-documentaires resteront même «en ligne pendant six ou sept ans», promet France 5. Un pari ambitieux, d'autant que la chaîne ne table a priori sur aucune audience minimum. «C'est une première, on ne sait pas comment le public va réagir», ajoute Aurélie Hamelin, responsable nouveaux supports de la chaîne. Pour attirer les internautes, la collection fera toutefois l'objet d'un plan d'autopromotion d'envergure aussi bien sur l'antenne de France 5 que sur les divers sites du groupe France Télévisions.