Création
Quels sont les défis d’un directeur de la création en 2017? Comment rester créatif quand les contraintes financières se resserrent? Baptiste Clinet, directeur de la création d’Herezie, donne son opinion.

Etre un directeur de la création, aujourd’hui, ça veut dire quoi?

Baptiste Clinet. Là où un président d’agence fournit des prévisions sur l’année, le directeur de la création doit prévoir les cinq prochaines minutes, il doit donner la direction en temps réel, dans l’instant. Le directeur de la création doit avoir un regard sur le recrutement, la stratégie. C’est aussi un manager, il doit être au plus proche de son équipe, connaître tous ses talents, leurs forces et faiblesses, comprendre les métiers afin d’être capable de faire évoluer ses équipes en permanence. Le directeur de la création, c’est donc un chef d’équipe qui, contrairement à l’entraîneur, joue sur le terrain. C’est un métier au côté très dual: dans le département de la création, je gère aussi bien la partie commerciale que la production.

Les directeurs de la création n’ont jamais été autant sous pression…

B.C. La réussite de l’agence repose plus que jamais sur nous: chaque pitch devient décisif et le directeur de la création a une énorme pression financière sur les épaules. Il faut veiller à ne pas se faire rattraper par cette pression, qu'elle ne nous paralyse pas, ne nous incite pas à éviter toute prise de risque en ne proposant que des idées «safe». Les demandes des clients aussi ont évolué. Les clients structurants, ceux avec lesquels on travaille sur le long terme, sont moins nombreux. Nous sommes de plus en plus sollicités pour des opérations «one shot»: les clients cherchent une agence pour un instant T. Dès le début, nous savons que la relation ne sera que de courte durée. Le plus intéressant, c’est bien sûr de travailler avec les marques au long cours. On peut les aider à construire une identité, c’est ce que j’avais fait avec Allianz lorsque j’étais chez Ogilvy. Cela a abouti à des travaux innovants et créatifs, qui ont été récompensés à de multiples reprises.  

Comment définissez-vous un bon créatif?

B.C. Quelqu’un qui va vite. Je laisse très peu de temps de conception à mes créatifs, jamais plus de 48 heures. J’attends d’eux qu’ils arrivent avec plusieurs idées, et à partir de là, de fil en aiguille, on arrive à la bonne idée. Un créatif doit avoir un mode de fonctionnement itératif: il doit tester le planning stratégique sur la création, les idées. Du coup, le process est un peu plus long, mais ça nous permet de nous améliorer. Et l’on n’arrive jamais au résultat que l’on avait en tête au début.

Moins d’argent, moins de temps, est-ce un frein pour la créativité?

B.C. Le fait d’avoir des clients «one shot» avec des budgets plus serrés et des «deadlines» toujours plus courtes, on pourrait penser que c’est une contrainte compliquée. Je pense qu’au contraire, ces limites sont les braises de la créativité, qui doit aller vite. En revanche, ne pas avoir de visibilité, cela pose un problème, en termes de développement, aux agences. Notre manière de réfléchir a changé: en embauchant un CDI, on sait que l’on prend un risque, on a du mal à investir… A chaque début d’année, nous avons l’obligation de réaliser le plus rapidement possible notre chiffre d’affaires annuel pour avoir de la visibilité pour la suite.

Recruter un créatif, comment ça marche?

B.C. Pour ma part, je fonctionne au coup de cœur. Le plus important, c’est l’humain. Nous serons amené à travailler tellement de temps ensemble qu’il faut que le courant passe tout de suite. Je ne crois pas au talent… A proprement parler, tout le monde peut être créatif, c’est comme la grammaire, ça s’apprend. Et si le candidat est motivé, impliqué et réellement passionné, je le prends. J’interroge en entretien les candidats sur leur culture générale publicitaire, leur film préféré, la campagne qui les a marqués dernièrement… Je suis un «geek» de la pub, je regarde tout, alors, avant même que les candidats me répondent, j’ai déjà quelques idées en tête.

Quels sont vos mentors dans ce métier?

B.C. A mes débuts, j’ai eu la chance de travailler avec les fondateurs de l’agence Fred & Farid. Ils sont parmi les meilleurs créatifs du monde, et malgré cela, ils ont pris le temps de m’apprendre les techniques, de me transmettre cette culture de la publicité. Je dis tout le temps aux jeunes créatifs: vous devez être des éponges, les deux premières années dans la pub, c’est comme maths sup maths spé, votre monde ne doit tourner qu’autour de la publicité. En échange, je leur donne du temps, mon objectif étant qu’après chaque réunion, les jeunes créatifs ressortent grandis. Cela veut dire prendre le temps d’argumenter, d’expliquer pourquoi une idée est bonne ou mauvaise.

Les prix ont-ils toujours de l’importance dans ce travail?

B.C. Avec mon team créatif – Florian et Nicolas –, nous avons remporté le Prix Stratégies des jeunes créatifs en 2011 et deux ans après, nous avons été distingués par les Young Guns. Nous étions très jeunes et grâce à ces prix, nos travaux ont été mis sur le devant de la scène, ils nous ont indirectement permis de passer directeur de création. Ensuite, en tant que directeur de création, j’ai eu la chance de gagner beaucoup de Lions, 32 exactement. Quand j’étais chez Ogilvy, j’étais le huitième créatif du monde en 2015. Bien sûr, tout ça flatte l’ego, ça fait plaisir, mais c’est quand même un métier où l’on se classe, on se compare en permanence les uns aux autres et je ne crois pas que ce sont les récompenses qui nous amènent des clients. Alors, oui, je pense que les prix sont importants quand on est jeune ou une petite agence, mais je crois surtout que ça crée de l’illusion. Ce n’est pas pour autant que j’irai embaucher un team plus titré qu’un autre, je préfère juger leurs campagnes.

Son parcours en bref

2007. Diplômé de l’Iscom.
2007. Concepteur-rédacteur junior chez Fred&Farid.

2010. Créatif chez Ogilvy&Mather.

 

2011. Son team (avec Nicolas Lautier et Florian Bodet) remporte le Prix Stratégies des jeunes créatifs.
 

2012. Directeur de création, puis directeur de la création d’Ogilvy.
 

2014. Meilleure team créatif du monde de moins de 30 ans au Young Guns Awards.
 

2016. Directeur de la création de Darewin.
 

2017. Directeur de la création du groupe Herezie.

 

Herezie

Le groupe Herezie compte quelque 150 personnes. Il est composé de l’agence de publicité éponyme, dont l’effectif total est de 80 personnes, avec un département de la création de 20 collaborateurs. Le groupe détient également l’agence digitale 5ème Gauche (une cinquantaine de personnes). Sans oublier l’agence marketing et événementielle Vaudoo (une vingtaine de salariés). 

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