Dossier Formation
Insertion des étudiants, savoirs enseignés, place du design dans la société… Le point avec Dominique Sciamma, directeur de Strate École de design.

L’école créée par Jean-René Talopp en 1993 pour rivaliser avec le Royal College of Art en Grande-Bretagne ou l’Art Center en Californie (design automobile) a bien grandi: elle est passée de 15 à 660 étudiants. Aujourd’hui installée à Sèvres et reconnue par l'État, elle est dirigée par Dominique Sciamma. Ce mathématicien et informaticien a fait toute sa carrière dans l’univers des nouvelles technologies: chez Bull, puis EDS (Electronic Data System), avant de créer les éditions électroniques de La Tribune, puis un logiciel de publication de contenus (CMS) baptisé Rexpublisher. Dominique Sciamma a également longtemps travaillé sur des problématiques d’intelligence artificielle, dès les années 1980. En 1998, il rejoint Strate en mettant en place le département multimédia. Il crée ensuite le département Systèmes et objets interactifs (IOT et IA) en 2007 et l'activité de recherche en 2010, avant de prendre la direction de l’école en 2013.

 

Former un designer en 2017, ça veut dire quoi?

Dominique Sciamma. Nous ne sommes plus une école de design industriel mais post-industriel. Nous avons changé le nom de l’école en 2013, en nous rebaptisant Strate École de design, au lieu de Strate College. L’école a aussi adopté une nouvelle baseline: «Rendre le monde plus simple, plus juste, plus beau.» L’ambition: être une école de transformation du monde qui crée des conditions d’expériences de vie réussies que ce soit au niveau des villes, des quartiers, des chambres des gens et des gens eux-mêmes… Nous voulons former des «humanistes transformateurs du monde» qui maitrisent des savoirs très larges (sciences humaines, anthropologie, sémiologie, philosophie…) et des méthodes spécifiques au design, comme le design-thinking. Le dessin est là pour servir toute la méthodologie: «je réfléchis, je dessine», «j’analyse, je dessine», «je partage, je dessine»…

Ce métier n’est-il pas en train de se faire «uberiser»?

D.S. Non, il y a une extension du domaine du design: il est en train de s’infiltrer partout. Cette année, le slogan de l’école est d’ailleurs «design is the only option». Tant mieux si tout le monde fait du design: du marketeur à l’homme politique… Mais le design sans designer n’existe pas, c’est comme un champ magnétique sans aimant. Le vrai risque est d’imaginer l’inverse: que la pensée suffit, sans le savoir. Le designer doit résister à une tentation hégémonique de l’ingénierie et du marketing. Pour répondre aux enjeux dans un monde complexe, designers, ingénieurs, marketeurs doivent travailler de concert.

Un designer est-il un artiste?

D.S. À mon sens, le designer n’est pas un artiste: l’art est détaché du monde. Il est impossible de transformer le monde en ne s’y frottant pas, au contraire, il faut s’y inscrire. D’ailleurs le design ne doit pas être réservé à des «happy few» et se limiter à construire des yachts de 150 mètres de long pour un client fortuné. Si nos étudiants veulent créer des œuvres destinées à être exposées sur une étagère du Moma, ils se trompent de filière: c’est de l’art, pas du design. Au contraire, les designers doivent être des héros anonymes. Au long de leur scolarité, nous faisons tout pour les inscrire dans des projets d’entreprise: ils passent 12 à 18 mois en stage, réalisent 3 à 5 projets par an dont certains sont fournis par des entreprises. En 2016, cela a abouti à 30 partenariats industriels…

Vous êtes un spécialiste de l’intelligence artificielle: que peut-elle apporter au design?

  D.S. On dit tout et n’importe quoi sur l’intelligence artificielle… y compris beaucoup de bêtises en qualifiant de simples programmes informatiques d’IA. Mais c’est incontestablement l’heure, le moment de son éclosion: la technologie est peu chère, le réseau et la puissance de calcul sont là et les gens sont prêts… La technologie a vocation à rentrer dans les objets du quotidien. L’objet va devenir le corps de l’intelligence artificielle mais il faut dépasser l’interaction pour aller vers la relation. Là, le design a un rôle à jouer: mettre l’IA au service des gens, tout en protégeant leur intimité. Une intelligence artificielle, c’est une sorte de domestique: il peut agir avec tact ou pas, rendre un service de manière très fonctionnelle et pourtant cela peut être totalement raté in fine à cause d’une mauvaise perception… Le designer va travailler sur les scénarios d’usage, les problématiques d’interface, le corps des objets (taille, forme, expressivité, texture de la matière…), car tout cela a un impact direct sur la relation et l’acceptabilité de l’IA.

Où vont travailler vos étudiants?

  D.S. Si au départ l’école formait beaucoup de designers pour l’automobile, aujourd’hui seulement 10% de nos étudiants se préparent à ce secteur. Il existe différentes filières: designers de mobilité (automobile, moto, avion…), produit, espace (architecture d’intérieur, boutiques, musée…), identité (marque au sens large). Côté nouvelles technologies, il y a la filière «designers interaction» et un nouveau cursus depuis un an et demi, avec l’immersive design (réalité virtuelle, augmentée). Le niveau de placement de nos étudiants est de 85% un an et demi après leur sortie (en CDI, CDD ou création de start-up). Preuve que le design est désirable. Ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre des départements design d’entreprises: 60% aujourd’hui contre 50% il y a sept ans. Il faut dire de grands groupes comme Axa, BNP ou Accor en ont crée. La part des créateurs d’entreprises et freelance s’accroit également, mais ils sont moins nombreux à rejoindre les agences. En tous cas, designer est un métier d’avenir: il y en a de plus en plus.

Dates clés

1993. Création de Strate College par Jean-René Talopp.
2008. L’école s’installe à Sèvres (Hauts-de-Seine).
2011. Strate College est racheté par le groupe Galileo/Studialis.
2013. Dominique Sciamma est nommé directeur.
2013. Strate College se rebaptise Strate École de design, change de logo et adopte une nouvelle baseline: «Rendre le monde plus simple, plus juste, plus beau.»
2015. Création de Strate executive education et du MBA management by design.
2017. Projets d’ouverture de deux campus à Singapour et à Bangalore (Inde).

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