Communication
Dotés d’interfaces directement inspirées des applications grand public, les outils conversationnels comme Slack ou Mattermost suscitent l’engouement. Leur efficacité reste cependant tributaire de la culture et des pratiques des utilisateurs.

Lentement mais sûrement, le bon vieux mail cède du terrain devant les réseaux sociaux d’entreprise (RSE). Les grandes entreprises ne se posent plus la question de l’opportunité de l’outil: 58% en sont déjà équipées, et 26% envisagent de le faire. Seul souci: ces applications débarquent dans un environnement déjà bien encombré et des usages bien ancrés. La messagerie électronique reste en effet indémodable et l’homo faber digital ne semble pas prêt d’y renoncer.

Selon une étude récente de Lecko, seuls un quart des managers utilisent un réseau social d'entreprise au quotidien. Les grandes sociétés ont trouvé la parade, explique Pierre-Julien Grizel, fondateur et dirigeant de Numericube, une agence spécialisée dans la création d’applications dans le cloud: «Sans un animateur, le RSE classique perd rapidement de son attrait et n’est plus utilisé. Les grands groupes ont donc créé des postes de facilitateurs pour favoriser l’adoption de ces outils, mais ce type de solution est inenvisageable dans les PME.» Dès lors, rien d’étonnant à la progression relativement lente des RSE. Alors qu’ils sont apparus dans les années 1990, ils n’ont vraiment décollé qu’à partir de 2010.

La mort du «plat de spaghetti»

Prenant acte de la hauteur de la marche, d’autres acteurs, comme Slack ou Mattermost, ont su se faire une place au soleil. Le succès grandissant de ces «outils conversationnels» (voir Stratégies n°1853) tient à une conjonction d’atouts. Leur ergonomie, directement inspirée des applications les plus récentes, facilite l’appropriation. Ensuite, contrairement au mail traditionnel, tous les messages restent sur un serveur, accessibles en permanence à travers un navigateur ou une application, et ils sont classés dans des chaînes ou channels.

Une approche qui signe la fin du traditionnel «plat de spaghetti», ces mails aux innombrables destinataires qui suscitent réponse sur réponse au point de rendre inintelligible le déroulement et le sens des échanges. Plus structurés et plus clairs, les outils conversationnels facilitent le management humain d’un projet, souligne Pierre-Julien Grizel: «Les nouveaux arrivants accèdent à tous les messages et trouvent facilement les tenants et les aboutissants d’une décision en effectuant une recherche.» Reste à choisir le bon outil: «Slack est un outil prometteur et son UX est plus abouti que celui de Mattermost, poursuit le dirigeant de Numericube, mais l’utilisateur n’a aucun accès au code. Pour ce qui est des données, elles sont stockées sur des serveurs situés aux USA et ne sont pas entièrement récupérables. Celles échangées sur les channels privés ne sont pas restituées aux utilisateurs du service. Et Slack est uniquement en anglais, ce qui limite l’usage.» Selon lui, Mattermost est plus proche des utilisateurs et facilite l’intégration des applications extérieures grâce à l’accès au code.

Facilité d’utilisation ou contrôle des données?

Malgré la qualité de son ergonomie, Slack a donc des inconvénients. C'est aussi ce qu'explique Benoît de Benedetti, administrateur système Linux de l’Université de Nice-Sophia-Antipolis: «C’est un service externe, ce qui pose un problème de fuite ou de perte des données sensibles et de l’historique des échanges.» D’où le choix de Mattermost, open source et gratuit. Mais encore faut-il disposer des compétences et des ressources techniques pour installer, configurer, maintenir, voire adapter l'application.

Si tel n’est pas le cas, il est possible de recourir à des acteurs comme Framasoft, un réseau de diffusion de solutions en open source, qui propose d’utiliser un Mattermost déjà prêt à l’emploi sur ses serveurs. Avec une différence de taille par rapport à Slack, précise Pierre-Yves Gosset, son délégué général: «Nous sommes une association loi 1901, et nous avons pris l’engagement moral de ne faire aucune exploitation commerciale de ces données.»

Mais les outils conversationnels peuvent-ils rivaliser avec un RSE classique? «Il y a encore une opposition entre le paradigme du stock et celui du flux, même si les deux approches sont complémentaires, souligne Isabelle Reyre, présidente de Arctus, cabinet spécialisé dans la transformation digitale interne. Les entreprises qui ont une histoire longue, des pratiques bien ancrées, un savoir-faire qui s’enracine dans le management et les processus, ont d’autres besoins que les start-up, qui fonctionnent sur un mode “bouillonnement” et n’ont pas à gérer un stock de connaissances de même envergure.»

Ces outils restent par ailleurs limités à un nombre d’utilisateurs restreint, souligne de son côté Pierre-Julien Grizel: «Ils deviennent complexes à gérer à partir de cent personnes. Il y a alors trop de canaux et on perd la dimension humaine initiale qui convient à ce type d’outil.» Slack, Mattermost et consorts seraient-ils consacrés aux start-up et aux équipes réduites chargées de gérer des projets dans les grandes entreprises? «Les RSE ont déjà des outils conversationnels, constate Jean-Pierre Grizel. Je crois que Slack ou Mattermost sont plus indiqués dans une configuration où ils seront interfacés avec des outils métiers.»

Retour d'expérience: Slack pour une utilisation éphémère

 

Romain Lamaison, fondateur et dirigeant de Quanta Computing, société spécialisée dans l’amélioration des performances de sites de commerce en ligne

 
«Slack a été très rapidement adopté chez Quanta grâce à une UX bien étudiée. L'organisation des messages en channels est un réel progrès par rapport à Skype, que nous utilisions avant. Le deuxième gros avantage de Slack est d’y intégrer des données provenant d'applications extérieures: nous recevons automatiquement des notifications lorsqu'un nouveau client s'inscrit ou qu'un paiement a été réalisé. Slack est devenu notre hub de circulation de l’info, aussi bien interne qu’externe. Nous utilisons aujourd'hui la version gratuite qui, bien que limitée en termes d'historique de conversation, correspond à 90% à nos besoins. Il n'est pour l'heure pas prévu de passer sur une version payante, le rapport coût/bénéfice n’étant pas assez intéressant. A titre de comparaison, la première offre payante de Slack coûte 50% plus cher qu'un abonnement Google Apps for Work qui inclut une suite logicielle complète. Que l’application soit propriétaire n’est pas un souci car nous en avons une utilisation “éphémère”: toutes les informations importantes ou qui doivent être conservées dans la durée sont transmises et stockées avec d’autres applications.»

 

 

Quand la greffe ne prend pas…

Chez Mozoo, toutes les conditions semblaient réunies pour assurer une franche adhésion à Slack. Cette agence spécialisée dans le marketing mobile compte une centaine de collaborateurs répartis entre Paris, Londres, Hongkong et San Francisco, qui baignent en permanence dans la culture digitale la plus avancée. Jules Minvielle, CEO de Mozoo, y voyait un outil capable de favoriser le team building. Introduit fin 2015, Slack a été bien accueilli mais son usage n’a jamais décollé.

«Les équipes n’étaient pas habituées à cet usage. Slack n’a pas trouvé sa place entre Jira, pour gérer les projets, et le mail classique, pour communiquer», constate Jules Minvielle. Convaincu de l’intérêt d’un outil conversationnel, il a décidé de retenter l’expérience avec Facebook at work. Les automatismes acquis dans la sphère privée seront-ils suffisants pour susciter une franche adhésion? Réponse dans quelques mois.

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