Une application directement dans son smartphone pour s’informer sur son entreprise au Crédit Agricole, un Mooc pour faire de l’accompagnement au changement pour les managers chez Engie, des newsletters avec de la vidéo intégrée… En matière de communication interne, les entreprises sont en train de faire leur révolution: adoption de nouveaux outils, d’un nouveau langage et même parfois fusion de la communication interne et externe. D’ailleurs, selon Jean-Luc Letouzé, président de Communication & Entreprise, il n’est pas sûr que le concept même de communication interne passera l’hiver (lire l’encadré ci-dessous). La réalité semble plus nuancée. Panorama des dernières tendances.
Discours plus direct et partage de l'info en temps réel
«Dans un contexte de transformation des entreprises, la communication interne est en train de muter et son premier rôle devient la conduite, l’accompagnement du changement, constate Assaël Adary, président de l’agence Occurrence. Une mission aux confins de la com et des ressources humaines.» Or les groupes, tous très impliqués dans la transformation digitale, ont besoin de pouvoir compter sur des équipes et managers engagés, donc motivés. Dans ce contexte, le levier de la com interne semble indispensable. Même si les méthodes d’avant ne fonctionnent plus: adieu la communication uniquement descendante et langue de bois. L’heure est à un discours plus direct et à un partage de l’information en temps réel. D’où la création d’applications dans certains groupes pour s’adresser à leurs collaborateurs. Le Crédit Agricole lancera le 21 septembre une appli destinée à ses 90 000 salariés. Baptisé «6 live» et disponible sur Android et IOS, cet agrégateur de contenus offrira un accès en quatre langues aux informations produites par le service de communication (newsletter quotidienne, comptes Twitter, alertes d'information...).
Nouveaux formats
Autre tendance: des efforts importants pour capter l’attention des salariés à tout prix (en référence à l’ouvrage d’Yves Citton, Pour une écologie de l’attention, Seuil, 2014), selon Assaël Adary:«Les directions de la communication ont progressé dans la qualité des contenus produits et font des efforts de pédagogie (infographie, dataviz...).» Dans cet esprit, certains testent de nouveaux formats de newsletter: «Nous expérimentons dans plusieurs grands groupes un nouveau format baptisé JazzUp, à la croisée du site web, de la vidéo, de l’animation, du Powerpoint et de l’appli mobile, un format court et plus immersif permettant de présenter en quelques écrans ce qu’il faut retenir d’un sujet», décrit Laurence Serehen Amiel, de l’agence Com ci com ça. Data-visualisation et vidéo prennent de l’ampleur. «Les entreprises me demandent beaucoup de vidéos pour remplacer l’écrit sur des sujets métiers, ressources humaines, pour présenter les équipes…», poursuit Laurence Serehen Amiel. Ou encore, les web-séries destinées à l’interne, sur des sujets relatifs à l’entreprise, relève Emmanuelle Bravard-Sarraz, vice-présidente AFCI et responsable communication chez Spie Batignoles.
Le COOC (corporate open online course) a aussi trouvé son utilité comme outil d’accompagnement du changement, par exemple chez Engie (voir ci-contre). À l’inverse, pour le réseau social d’entreprise (RSE), c’est l’heure du bilan. «C’est un moment de vérité pour les RSE, et beaucoup de sociétés se posent la question: faut-il continuer à entretenir ce type d’outils avec si peu de performances?», note Assaël Adary d’Occurrence. La promesse initiale des RSE: transformer le groupe humain qui fait société en groupe humain qui fait communauté. On en est bien loin.
Nouvelle hiérarchie dans la diffusion de l'info
Par ailleurs certaines entreprises choisissent de refondre la communication interne dans une stratégie globale: «Il y a une tendance lourde de fusion entre communication interne et externe dans les contenus», décrypte Assaël Adary d’Occurrence. C’est le cas au Crédit Agricole SA: «En 2013, nous avons refondu l’ensemble du dispositif d’information, en fusionnant l’intranet et l’internet, détaille Denis Marquet, directeur de la communication de Crédit Agricole SA. Aujourd’hui, il y a huit personnes qui constituent une sorte de rédaction interne, chacune suivant un sujet/une thématique, participant à la conférence de rédaction quotidienne et produisant de l’information pour tous les dispositifs d’information du groupe.»
Et le directeur de la communication a établi une nouvelle hiérarchie dans la diffusion des informations, où le communiqué de presse n’est plus roi: «Nous informons les dirigeants du groupe d’abord, puis les personnes les plus concernées, puis tous les salariés, et enfin les médias et réseaux sociaux. Une façon de redonner ses lettres de noblesse à la communication interne…»
COOC en stock chez Engie
L’énergéticien Engie (ex GDF/SUEZ) a misé sur le COOC (corporate open online course, la version entreprise du fameux MOOC) pour former ses managers au changement. «L’idée était d’apporter de l’information à nos 25000 managers sur les enjeux de transformation du groupe et l’innovation digitale, explique Laurent Furedi, directeur du développement, au sein du département communication d’Engie. Nous avons choisi de le faire à travers trois parcours pédagogiques (stratégie du groupe, comportements managériaux et sensibilisation à la culture digitale). Un dispositif à mi-chemin de la communication interne, des ressources humaines et de la formation.»
Le COOC, lancé mi-janvier, a trouvé son public: sur 25000 managers, 17000 se sont connectés, il y a eu plus de 7500 utilisateurs actifs et, au final, 3000 «transformers» (personnes qui ont validé au moins un niveau de cours). Engie envisage d’ouvrir son COOC aux 130000 salariés du groupe en janvier.
Avis d’expert
«Animer les différentes tribus»
Jean-Luc Letouzé, pdt de Communication & Entreprise, directeur de l'IICP (institut international de la communication de Paris).
Estimez-vous que le concept de communication interne est dépassé?
J-L. L. Oui, la communication interne est morte, vive le contenu! Il y aujourd’hui une porosité totale: le salarié est aussi un citoyen, un consommateur, un actionnaire de sa société. La notion de salarié un et indivisible n’existe plus. Je suis par exemple étonné par le nombre de collaborateurs abonnés aux comptes Twitter de leur entreprise. Du coup, la communication interne en tant que telle n’a plus lieu d’être.
Les méthodes de communication doivent-elles évoluer?
J-L. L. Tous les schémas classiques sont bouleversés: d’une communication top/down, nous sommes passés à une communication «peer to peer». Le communicant doit s’inscrire dans une logique de coconstruction: aider l’entreprise à trier, hiérarchiser, être l’animateur de flux conversationnels, donner du sens à l’information… En effet, aujourd’hui, 80% des contenus sur l’entreprise sont produits par d’autres émetteurs qu’elle. Il faut mettre en place une communication par «tribus», animer ces différentes communautés de salariés, clients, fournisseurs, parties prenantes…
