Technologie
Les opérateurs chinois s’emparent de la reconnaissance faciale pour révolutionner la relation client.

Et si vous faisiez vos courses les mains dans les poches ? À Shanghai, chez Hema, c’est possible. La chaîne de supérettes, création du mastodonte du commerce en ligne Alibaba, expérimente le paiement par reconnaissance faciale dans l’un de ses magasins au nord de la ville. Les terminaux de paiement sont équipés de caméras 3D, comme sur le dernier iPhone X. Après avoir enregistré votre visage, dont Alipay – le portefeuille électronique d’Alibaba, qui compte 520 millions d’utilisateurs – vérifie la conformité avec votre carte d’identité, vous pouvez faire vos courses sans téléphone ni portefeuille. Pratique si vous avez les mains pleines de sacs. Mais vous pouvez également préférer voyager léger, et vous faire livrer chez vous en moins de trente minutes. 

Offline to online

Le géant de l’e-commerce n’a pas choisi Hema par hasard. Ces boutiques se veulent un exemple de la stratégie de « new retail » (nouvelle distribution) du groupe, dont le credo est l’intégration du numérique et du physique : offline to online (O2O). Dans ces épiceries plutôt haut de gamme, on trouve des produits de consommation courante, des produits importés, du frais, et même des homards vivants. Les clients peuvent scanner les codes-barres des produits pour obtenir plus d’informations sur leur provenance. Et, grâce à une application dédiée, ils peuvent retrouver facilement leurs produits préférés depuis leur lieu de travail ou leur salon, et commander en ligne pour être livrés rapidement dans un rayon de trois kilomètres. 

Le terrain était donc particulièrement propice au lancement d’une nouvelle technologie. Ne restait plus qu’à expliquer le dispositif aux clients. À la sortie de Hema, des employés sont là pour les aider à installer la fonction de reconnaissance faciale : la procédure est rapide, à condition d’avoir un compte Alipay. Il suffit de scanner son visage, en le tournant d’un côté et de l’autre face à la caméra 3D. Une jeune femme, venue déjeuner dans cette épicerie-restaurant, paie avec son visage. Elle trouve la fonction de paiement par reconnaissance faciale « amusante », mais pas vraiment plus efficace que le paiement mobile, lui aussi rapide et déjà répandu en Chine. Pour l’instant, une fois votre identité reconnue par la machine, il vous faut encore entrer votre numéro de téléphone. Une double vérification imposée par la loi chinoise : le paiement par reconnaissance faciale est en effet encore en phase de test, précise la communication d’Ant Financial, branche financière d’Alibaba, qui gère Alipay. 

Une tendance forte

En Chine, la reconnaissance faciale est de plus en plus envahissante. Déjà largement utilisé pour la sécurité publique, l’outil se diffuse dans le privé. Dans bien des immeubles de bureaux, il remplace le badge pour autoriser l’accès ou contrôler les allées et venues des employés. Installée dans les dortoirs des universités, cette technologie se substitue aux concierges. L’été dernier, une utilisation inattendue du système a fait les gros titres. Des toilettes publiques de Pékin ont été équipées pour lutter contre le vol de papier : pas plus de 60 cm toutes les neuf minutes pour une même personne. D’autres toilettes 2.0 ont suivi dans le pays… Surfant sur cette tendance forte, deux start-up chinoises, SenseTime et Megvii, travaillant à la fois pour la police et des entreprises privées, sont devenues des licornes cette année, dépassant le milliard de dollars de valorisation. Megvii est d’ailleurs derrière la technologie utilisée dans les magasins Hema. 

Comme Alibaba, nombreux sont ceux qui parient sur la reconnaissance faciale pour prendre de l’avance. Cet été, six mois avant Amazon Go, la start-up Bingo Box a testé avec le Français Auchan un petit magasin entièrement automatique utilisant la reconnaissance faciale, la vision par ordinateur et des puces RFID sur les produits. Finalement, le partenariat a tourné court, et Auchan va développer son propre magasin automatique. Mais Bingo Box ne devrait pas s’arrêter là : la jeune pousse a réuni l’équivalent de 65 millions d’euros lors de son second tour de table cette année, avec comme soutien de poids Fosun, l’un des principaux conglomérats chinois. 

Début janvier, JD.com, principal concurrent d’Alibaba, a ouvert son premier magasin automatisé. Un concept très similaire à Bingo Box, mais moins avancé qu’Amazon Go, puisque, une fois scanné votre visage, ce sont des puces RFID collées sur chaque produit qui assurent le suivi du panier. Il n’empêche, l’expérience, que Stratégies avait pu tester dans les locaux de JD.com à Pékin deux mois avant le lancement officiel, est encourageante. En sortant du magasin, un écran vous rappelle les produits que vous avez achetés. Sauf objection, ils sont facturés automatiquement à travers l’application maison. JD.com espère remplacer dans un futur proche les puces RFID, qui doivent être collées une par une, par la reconnaissance d’objets par ordinateur. Le système est adopté par de plus en plus d’enseignes chinoises. Suning, vendeur d’électroménager, a ainsi lui aussi ouvert à Shanghai son premier magasin automatique. 

Des applications multiples

Les possibilités de la reconnaissance faciale paraissent sans fin. Baidu, principal moteur de recherche chinois, teste ainsi l’accès à des sites touristiques sans ticket grâce à cette technologie. Xiaozhu, une start-up soutenue par Alibaba qui se veut la réponse chinoise à Airbnb, teste des verrous connectés permettant d’enregistrer ses clients auprès de la police locale, une obligation légale en Chine. Des restaurants s’y mettent pour reconnaître leurs clients et souffler leur nom aux serveurs. 

D’autres applications, développées par Alibaba et JD.com, proposent aux commerces physiques de reconnaître les acheteurs, diffuser de la publicité ciblée ou encore observer leur comportement en magasin pour voir quels produits attirent les regards… Dans la course pour révolutionner le commerce grâce aux applications de l’intelligence artificielle, la Chine, peu préoccupée de la protection des données personnelles, prend de plus en plus d’avance.

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