Tribune
Quand tout a l'air pareil, qu’on se replie derrière les mêmes études consommateurs, qu’on veut s’adresser à tout le monde mais qu’on ne parle à personne en particulier, et qu’on puise son inspiration sur la planète Instagram, qu’est-ce qui fera la singularité d’une marque ?

La page blanche, le point de départ du créatif, le moment où il se lance, où il ose, est en voie de disparition. La Toile est devenue le grand bazar mondial de l’inspiration et de la création universelles. Résultat : mêmes logos, mêmes produits, mêmes promesses, mêmes mots et mêmes pubs. Les codes identitaires finissent par être partout les mêmes. Qui ne s’est jamais fait la réflexion qu’une voiture ressemble à une autre voiture, qu’un téléphone ressemble à un autre téléphone, qu’un opérateur ressemble à un autre opérateur, qu’un hôtel ressemble à un autre hôtel, qu’un Airbus ressemble à un Boeing ou qu’une compagnie d’aviation ressemble à une autre compagnie d’aviation ? Même champagne, même plateau-repas, même siège, même film à bord. Bref, c’est un cauchemar.

Brooklynisation

En un clic, on découvre et l’on copie ce qui a déjà été vu et liké par tous les internautes. Plus besoin de sortir pour s’inspirer d’une expo ou d’aller respirer au vert, de voyager pour goûter une cuisine exotique… Tout est accessible dans l’immédiat. Les avis des consommateurs sont vos nouveaux mentors. En surfant sur la même vague, vous serez à peu près certains de ne pas leur déplaire, au risque de ne pas vraiment leur plaire.

La communication s’est mondialisée et banalisée. Mais le design, qui est là pour différencier les marques, n’est hélas pas en reste. Les signes, les typos, les couleurs, les visuels, les symboles sont devenus universels. Un exemple type : la brooklynisation. Grand comptoir façon bar, ampoules à filaments qui pendent du plafond, carrelage vintage, cloisons en bois aggloméré et meubles en palettes… Le nouveau Brooklyn est à Paros, Melbourne ou dans le Marais. Le langage, la cuisine, la musique feront-elles la différence ? Pas si sûr. Le vocabulaire et la bande-son se sont uniformisés, jusqu’à imprégner la pensée. Comme on aime partout la même chose, autant penser la même chose. Attention danger, la lassitude menace.

À force d’être devenues trop souveraines, trop jupitériennes, les marques se sont souvent éloignées de leurs publics. Aujourd’hui, ce n’est plus aux gens de s’adapter aux marques, mais aux marques de s’adapter aux gens, en répondant à leurs nouveaux usages. C’est dans l’histoire, la géographie et la culture que l’on trouvera l’antidote à cette triste uniformisation, en renouant avec son territoire d’origine. Être né quelque part ! Rompre avec l’immédiateté pour prendre le temps de regarder son parcours, d’analyser ses succès et ses échecs, pour mieux s’affirmer avec sensibilité et s’ancrer dans l’avenir. Le designer doit être intransigeant dans ce combat contre la facilité ambiante de céder à l’air du temps, car le design est avant tout dans l’utile et dans la lisibilité de la marque, de ses offres produits et services. Il doit rendre unique la différence et la singularité de la marque.

Vent frais

Le monde bouge, la France bouge. S’il y a seulement trois mois, un nom de marque comme les Gilets jaunes, symbolisé par les ronds-points, avait été testé, le résultat des études aurait sans doute été sans appel : « Eh les gars, on va tourner en rond ! », « jaune cocu ? », alors que le jaune est la couleur de la rupture et de l’optimisme. Et pourtant, ce mouvement aux codes improbables a fait vaciller le gouvernement en le mettant en marche vers la transformation de la société. Son langage et ses signes ont apporté un vent d’air frais et donné un coup de vieux au vocabulaire des lieux communs comme les effets waouh, ADN de la marque ou autre écosystème. C’est en puisant dans son histoire, sa culture et son origine que la marque trouvera l’imagination et l’audace qui fera sa différence et sa préférence.

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