Entreprises
Plus nombreuses, les crises se propagent aussi plus rapidement dans un monde toujours plus digital. La communication de crise s'en retrouve complexifiée mais grâce au numérique, les entreprises disposent en parallèle de nouveaux moyens d'action.

A l’heure des nouveaux médias et de la recherche permanente de responsables, la crise est devenue la norme. Plusieurs raisons l’expliquent. En premier lieu, la mutation des médias: vitesse et sensationnalisme engendrent une spirale déformante de l’information, propice au traitement erroné et superficiel des sujets. En second lieu, l’hyper-médiatisation des entreprises, et ce au travers du prisme hypertrophié des marques et de la personnalisation de leurs dirigeants, qui met une pression quotidienne sur celles-ci, a fortiori lorsqu’elles sont cotées en Bourse.

Du côté du récepteur la sur-information rend les citoyens plus alertes et surtout hyperactifs via les nouveaux médias, révolutionnaires de salon faisant acte militant au travers d’un tweet ou d’un retweet. L’économie et la finance sont par ailleurs entrées dans les centres d’intérêt du grand public, qui suit désormais à la télévision de nombreuses émissions sur le sujet et s’inquiète des aléas boursiers ou de la performance financière des entreprises, ainsi que de leurs multiples conséquences possibles.

Une parole mise en doute

Le contexte est aujourd’hui particulièrement favorable à la crise, qui n’épargne personne. Celle-ci peut être exogène à l’entreprise, comme Monsanto en fait l’expérience avec l’émergence d’une nouvelle réglementation visant à interdire la commercialisation du glyphosate en Europe. Elle peut être au contraire endogène à l’entreprise, lorsque celle-ci doit faire face à un défaut industriel (Dieselgate) ou à une défaillance dans son organisation, à l’instar de Lafarge, accusé d’avoir négocié avec Daesh afin de poursuivre son activité en Syrie.

La parole est mise en doute a priori: la défiance vis-à-vis des discours émis par les entreprises et leurs représentants est devenue systématique. Les patrons sont remis en cause, pris en étau entre des forces contradictoires (les clients, l’interne, les marchés financiers) et confrontés à l’émergence de nouveaux pouvoirs (les syndicats, devenus des as de la communication, les politiques, qui se mêlent de tout etc.). Enfin les marques sont adorées un jour et clouées au pilori le lendemain, régulièrement attaquées et malmenées par la rumeur médiatique, leur politique de greenwashing étant par exemple souvent dénoncée.

D'autres contributeurs

Dernier venu au sein de ce nouvel environnement, le digital joue aujourd’hui un rôle clé dans la gestion de crise et transforme les modes d’action habituels. L’entreprise n’a plus le monopole de l’information, de nombreux autres contributeurs coexistent, et viennent parfois alimenter ou interférer avec les relais traditionnels. C’est là que la crise peut naître, comme on a pu le voir dans l’affaire Vinci fin 2016, avec la diffusion d’un faux communiqué de presse et d’un faux site web révélant l’éviction du directeur financier du groupe suite à la découverte d’irrégularités comptables.

C’est là qu’elle se propage, très vite, comme ce fut le cas lors de l’annonce erronée de la mort de Martin Bouygues début 2015, largement reprise et commentée en une demi-heure seulement. Les différentes possibilités de partage de l’information engendrent par ailleurs une diffusion rapide et incontrôlable de celle-ci, comme en témoigne l’affaire des Paradise Papers avec son lot de révélations de noms de célébrités du sport, de personnalités de grands groupes, avec une confusion souvent abusive entre les notions d’optimisation fiscale, d’évasion fiscale et de fraude fiscale.

Rapport de force inversé

Dans le monde digital le contenu est sans cesse créé, réorganisé, modifié, indexé. Le rapport de force s’est même inversé. Ce qui est le plus difficile à maîtriser, à savoir les «shared media», les réseaux sociaux dont le contenu est co-produit, est aujourd’hui devenu le plus important en termes d’impact immédiat sur le grand public. Qui va encore sur le site web d’une société ou attend de recevoir une newsletter pour s’informer? Les médias sociaux sont devenus la clé de voûte de l’information en temps réel. L’image de l’entreprise est de ce fait beaucoup plus volatile et difficile à contrôler.

La crise se globalise aisément avec le digital. Elle dépasse aujourd’hui rapidement les frontières nationales, même si l’information reste encore localisée, avec des hashtags déclinés par pays, comme ce fut le cas dans l’affaire Weinstein par exemple. Mais la crise se raccourcit également: une nouvelle apparaît chaque semaine et chasse la précédente, le temps de mémoire des crises se trouvant de fait réduit. Toutefois, les réseaux sociaux sont, contrairement à ce qui peut être dit, hypermnésiques: la moindre déclaration ou le moindre commentaire fait il y a plusieurs années peut être ressorti subrepticement.

Nouveaux moyens d'action

Le digital, et notamment les réseaux sociaux, transforme radicalement la gestion de crise car tout va plus vite, touche un nombre toujours plus important de personnes, avec davantage d’interactivité et de capacité de nuisance ; ce qui nécessite de mettre en place des outils de monitoring appropriés et de savoir identifier puis d’entrer en relation avec des personnes aux profils extrêmement hétérogènes.

Le digital complexifie et, en même temps, enrichit la communication de crise car il offre aussi de nouveaux moyens d’action pour les entreprises. Dans tous les cas, ce qui prime encore, c’est d’abord la stratégie à mettre en œuvre, qui prenne en compte toutes les cibles et leurs questionnements, ensuite le message véhiculé et sa déclinaison sous différents formats, enfin la tactique de communication (qui doit parler, quand, comment et à qui, pour dire quoi précisément).

Les fondamentaux de la gestion de crise restent les mêmes mais s’y ajoute une nouvelle dimension, pleine de risques mais aussi d’opportunités. Pas de recette miracle, car en aucun cas la communication de crise ne remplace l’importance d’une communication stratégique globale de l’entreprise, ni ne rattrape les erreurs du manque de préparation en amont. Dans un contexte où le digital devient roi, la surveillance des «signaux faibles» annonciateurs de la crise et la préparation des scenarii potentiels restent donc plus que jamais des impondérables.

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