La communauté des community managers est en émoi, à juste titre. Facebook teste la mise à l’écart des posts organiques des marques dans les fils personnels. Concrètement, cela pourrait signifier que toutes les entreprises, médias ou associations qui ont dépensé une énergie considérable depuis des années à maintenir des pages, les faire vivre, attiser les foules, trouver des fans… ont fait tout ça pour rien.
L’idée testée par Facebook dans six pays consiste à séparer en deux fils distincts les publications d'amis et les publicités d'un côté, et de l'autre les posts organiques de médias, d'associations ou d'entreprises. Ces derniers posts seront ainsi concentrés dans un fil à part ; libre à l’internaute d’aller les voir en cliquant sur cet onglet séparé.
Instinctivement, même sans être un utilisateur assidu de Facebook, on peut imaginer que la fréquentation d’un onglet regroupant uniquement des posts de marques risque d’être plus que limitée avec pour conséquence une forte baisse des interactions.
Expéditeur ami
Les internautes fans de Facebook ou plutôt les mobinautes - l’usage de Facebook étant à 90% mobile - se réveillent le matin en regardant pour une grande majorité la vidéo des premiers pas de la petite nièce qui vit à l’étranger, la recette de cuisine du jour postée par la meilleur copine et la photo de vacances du cousin Pierre. S’ils trouvent en plus une vidéo de chaton ou de fusillade en Californie (nous savons tous que ce qui fontionne le mieux, ce sont les bébés animaux et le trash…), ils la regardent ; celle-ci alimente la boulimie de nouveautés qui amène un grand nombre d’utilisateurs à ne pas rester trop longtemps éloignés de leur téléphone. Cette vidéo est regardée d’autant plus attentivement que son expéditeur est un «ami».
Les marques qui acquièrent des fans se doivent de les «animer», de les solliciter en permanence, de leur fournir de la matière affinitaire pour créer une relation affective. Et l’efficacité de cette démarche repose en grande partie sur le fait que le message arrive au milieu de ceux des vrais amis, de la vraie famille.
Plus de proximité
A l’écart, dans un autre fil, Pepsi pourra continuer à envoyer des vidéos de glisse extrême, Hugo Boss des photos de la Fashion Week. Leur consommation se fera dans un état d’esprit différent ; le message ne sera pas celui d’un proche.
C’est d’ailleurs la posture de Facebook, qui affirme que les gens veulent plus de proximité et d’accessibilité pour les posts privés, ce qui implique d’éloigner les posts des marques. En tant qu’internaute lambda, je m’interroge cependant sur un point : qu’est-ce qui fait qu’un post organique de Nike ou Coca m’éloigne de ma famille, mais pas un post payant ?
En tant que consultant du digital, j’aurais tendance à penser que Facebook tire surtout profit de sa position forte et en évolution rapide dans le secteur des médias digitaux. Le duopole qui s’installe entre Facebook et Google draine une part croissante des investissements marketing et prend une importance majeure dans le développement des marques et leurs dispositifs d’acquisition. Facebook a réduit progressivement le reach des posts organiques au profit de son offre publicitaire ; ce dernier changement de cap lève définitivement l’ambiguïté : Facebook, c’est payant.
Augmenter la rentabilité
Pour les professionnels du marketing, quelques questions se posent. En nettoyant le paysage de nos fils des posts gratuits de marque, Facebook donne mécaniquement plus de visibilité aux posts payants, ce qui aurait tendance en première analyse à accroître leur efficacité, d’autant que ces posts assument leur statut de pub et sont plus commerciaux. Améliorer le status des posts commerciaux devrait augmenter leur rentabilité pour les annonceurs, et donc encourager l’investissement chez la marque au F bleu.
A contrario, pour les marques qui ont joué à fond la carte du social média, et pour lesquelles l’efficacité de la pub sur Facebook devait pas mal à la proximité créée – et entretenue – en amont, la pilule risque d’être plus difficile à avaler. Elles deviendront des pourvoyeuses de pub comme les autres dans l’univers de Facebook. Et à ce jeu, les marques qui disposent du plus gros budget publicitaire regagnent un avantage, compte tenu de la masse de visibilité qu’ils pourront se payer.
In fine, cette nouvelle fonctionnalité sonne le glas des «growth hackers» au profit de la publicité pure, en tous cas sur Facebook. Et à condition que le test soit validé et déployé bien sûr. C’est officiel : Facebook ne fait plus dans le social.