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Sans se substituer aux recruteurs, l’IA peut avoir un rôle à jouer dans les processus de recrutement des entreprises. Outre un gain de temps dans la phase de pré-sélection des candidats, elle peut servir aussi de formidable accélérateur de diversité.

La diversité suscite la curiosité et l’intérêt des organisations qui commencent à comprendre tout le bien qu’elles en pourraient tirer. Les discours d’intention la portent aux nue ; les éloges pleuvent comme un ciel de novembre. Mais dans les faits, quels sont les outils mis en place pour la promouvoir? Et que fait-on, concrètement, sinon louer un principe qu’on ne parvient pas à appliquer? Paradoxalement, c’est du côté de l’intelligence artificielle (IA) qu’il faut chercher de l’aide. Celle-là même qui effraie les gardiens du temple parce qu’elle appelle de nouvelles pratiques et de nouveaux modes de fonctionnement. L’idée ne va pas de soi, et pourtant l’IA peut être un formidable accélérateur de diversité, en particulier dans le domaine du recrutement.

D’après Helen Poitevin, analyste chez Gartner, cabinet de conseil spécialisé dans les nouvelles technologies, «le marché des solutions de recrutement nourries à l'intelligence artificielle devrait représenter près de 2 milliards d'euros dans le monde d'ici 2020». Cette forte croissance, même ramenée à la moitié de ces prévisions, désigne clairement le cap pris par les acteurs du recrutement digital comme un chemin d’avenir. Un avenir qui ouvrirait l’entreprise à plus de diversité, parce que les algorithmes introduits dans les solutions de recrutement affranchiraient les candidats des biais humains qui peuvent, parfois, peser sur eux.

Le recrutement innovant favorise la diversité

Si la pertinence de l’IA appliquée au recrutement est accueillie avec un certain scepticisme de la part de recruteurs privilégiant une approche plus traditionnelle, c’est d’abord faute de preuves tangibles. A eux, on peut leur soumettre l’exemple du géant de la grande consommation Unilever, qui a dévoilé auprès de Business Insider les résultats d’un an d’expérimentation d’une solution de recrutement vidéo. De juillet 2016 à juin 2017, 250 000 candidats, de 69 pays différents, ont passé les mêmes types d’entretiens vidéo en phase de présélection. Ils étaient notés de 1 à 5, en fonction de la qualité de leur entretien. Outre le gain de temps considérable (le temps moyen passé par les recruteurs à examiner les demandes a diminué de 75%), le groupe a salué une augmentation «significative du nombre de candidats non-blancs», ainsi qu’une diversification de l’origine sociale des candidats.

Ce constat posé, quels enseignements peut-on en tirer? Que le recrutement digital favorise effectivement la diversité des candidats, que les entretiens vidéo libèrent les recruteurs d’une course épuisante – et parfois ingrate – à la présélection et les incitent à retenir des talents que des considérations sans rapport avec leurs compétences auraient peut-être écartés sur le papier. Bref, que l’humain peut tirer profit, pour autrui et pour lui-même, de la boîte à outils digitale qui s’offre à lui, et que le cocktail «logique/intuition» du bon recruteur n’est peut-être plus le meilleur garant d’un bon recrutement.

Mais alors, que va apporter l’IA aux solutions d’entretiens vidéo? Du sel, de la subtilité dans l’analyse qui va attirer l’attention des recruteurs sur des aspects qui les amènent habituellement à une bonne ou mauvaise impression générale, sans qu’il leur soit toujours possible d’expliquer pourquoi. Surtout, les algorithmes vont venir entériner, au sens étymologique de «rendre complet», la réduction des biais fondés sur l’âge, le genre ou le diplôme. L’ère de la diversité vient frapper à la porte.

Comment ça marche?

Très concrètement, les solutions d’entretien vidéo enrichies par des algorithmes vont analyser le comportement des candidats pendant leur entretien. Cette analyse est alors comparée à celle de candidats précédemment recrutés en se concentrant sur quelques critères clés: qualité d’expression (richesse lexicale, vocabulaire choisi, registre de langue), prosodie (rythme, ton), manière d’être (souriant, dynamique, nonchalant ou désinvolte)... Sur la base des meilleurs talents recrutés, la solution recommande ceux qu’elle considère comme les meilleurs candidats. Ni plus, ni moins.

Alors bien sûr, ce «deus in machina» effraie les tenants de procédés plus classiques qui crient à la toute-puissance, forcément arbitraire, des algorithmes, à la menace qui s’ensuit pour les recruteurs, au risque du clonage et de la reproduction. Comme l’IA est conçue par des hommes sujets aux biais, ces biais auront tendance à se reproduire - mais de manière très atténuée, comme si le recruteur bénéficiait, pour chaque candidat, de l’avis d’un panel de recruteurs.

Venir à bout de ces inquiétudes ne sera pas sans mal. Le CV papier est un outil qui a vieilli et qui est limité par sa nature même. Il semble essentiel de lui apporter aujourd’hui le soutien d’outils digitaux qui fonctionnent et qui ont fait leur preuve. Les algorithmes ouvrent le recrutement à plus de diversité, domaine dans lequel la France est à la traîne. Les Anglo-Saxons considèrent depuis longtemps que les compétences sont transversales. En France, il est bien rare de voir, par exemple, un salarié des fonctions support passer sur des fonctions commerciales. Et l’on ne verra jamais un docteur en sciences humaines intégrer une fonction support en entreprise. Pourquoi? Parce que nous ne croyons pas aux avantages de la diversité. La formation et l’expérience sont toujours préférées à la motivation et à la curiosité.

Intelligence (complémentaire) avec l’ennemi

L’intelligence artificielle, ce n’est pas Pac Man : elle ne va dévorer ni l’intuition des recruteurs, ni l’autorité des managers, ni la direction des entreprises. Bien utilisée, elle va tout au contraire faciliter le travail de chacun. Le problème, c’est l’opposition systématique «intuition vs analytics», brandie par ceux qui se fient un peu trop à leur propre jugement.

L’un n’a pas vocation à se substituer à l’autre, il peut en corriger les défauts. Les algorithmes mettent sur les rails du recrutement les bons candidats, ceux qui objectivement conviennent le mieux – sans égard pour leur âge, sexe, formation, expérience (précisément ce par quoi un recruteur sous 150 CV aurait tendance à commencer, faute de temps). Mais il y a toujours un recruteur qui intervient dans un second temps et qui choisit non pas au regard des seuls résultats chiffrés, mais bien selon ses affects et son expérience, son intuition et sa logique. Et il a le temps de recevoir comme il faut chaque candidat retenu, puisqu’il n’a pas perdu son huile et sa peine dans des phases de présélection sans fin.

Quant au risque de clonage, il n’a pas attendu les algorithmes pour se manifester ; il existe de toute façon, et la reproduction irrigue la société dans toutes ses composantes. Autant favoriser et valoriser une forme de clonage tempéré ou corrigé par la dualité des acteurs engagés dans le processus de recrutement. Une dualité qui tend à élargir le spectre des candidats reçus, comme l’éventail des horizons perçus, bref, qui offre de voir plus loin. Et mieux.

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