Naming
Trouver le bon nom pour une entreprise ou un produit n'est pas une sinécure. Olivier Auroy, directeur général de Kantar Added Value, livre ses conseils.

J’exerce la profession d’onomaturge (créateur de noms) depuis deux décennies et, à mon grand étonnement, la création de noms n’a toujours pas la considération qu’elle mérite. Pourtant, n’en déplaise aux Cassandre, le règne de l’image et des émojis n’a pas remis en question la nécessité du nom: il faut un mot pour démarrer sur Google.

Au commencement était le cahier des charges. Quand mon client a terminé de formuler sa requête, je lui demande de prendre une feuille de papier et de me dessiner un bonhomme. Quatre fois sur cinq, son bonhomme se résume à une grosse patate et des bâtons mal tracés en guise de membres. Pas mieux qu’un enfant. Le client ne sait pas dessiner. En revanche, quand je lui demande de donner un nom à son bonhomme, il devient prolixe. Démonstration est faite: le client respecte le designer parce qu’il ne sait pas dessiner, mais il a peu de considération pour l’onomaturge, parce que donner un nom, ça paraît si simple.

Les ordinateurs créent les noms, vaste supercherie. Quand j’ai commencé ma carrière, le génial Ivan Gavriloff et ses acolytes avaient conçu un logiciel d’aide à la création, Brainbooster. Ce formidable outil permettait de générer des cohortes de mots à partir d’autres mots-clés. Un point de départ, jamais une panacée. En 2017, certaines applications vont beaucoup plus loin. Elles ne se contentent pas de sélectionner les mots pertinents, elles en inventent en croisant les syllabes et les sons. On en conclurait hâtivement que les machines ont remplacé l’homme. Erreur. Sans le flair et l’expérience de l’onomaturge, les mots ne sont rien. Il reste le seul à pouvoir dire quand le mot peut devenir marque.

La création de nom gérée en interne peut être une périlleuse loterie

Oui, chers patrons, il est tentant, en ces temps de bienveillance et d’économie collaborative, d’associer votre personnel à la création du futur nom. Malheureusement, sans l’accompagnement d’un professionnel, la création de noms en interne peut se solder par un cuisant échec. Les collaborateurs sont invités à participer à un brainstorming, ils sortent des mots qu’ils trouvent géniaux. Après vérification du département légal dans les classes de l’INPI concernées, ces mots s’avèrent inutilisables. Incompréhension et frustration du personnel. La super idée de motivation des équipes finit en fiasco et il faut repartir de zéro. Les séances de créativité en interne ont le mérite de créer du lien et de montrer combien il est difficile de produire un nom. Elles impliquent, elles expliquent, mais elles sont rarement efficaces.

Dites-moi comment vous décidez et je vous dirai si nous aboutirons

Plus il y a de gens à décider, moins il y a de chances de parvenir à un résultat. C’est comme ça. L’ennemi du créateur de nom, c’est le comité de sélection. Le potentiel d’un nom est dilué dans la multiplicité des avis exprimés. Les noms les plus forts que j’ai vu naître ont été le choix du maître. La sélection d’un nom n’est pas un exercice démocratique, loin de là. Les noms les plus osés en leur temps (Orange, Virgin) sont l’expression d’une audace, de l’intuition d’un visionnaire. Et pour compliquer encore les choses, beaucoup de noms sont maltraités par les tests qui privent les candidats de leur substance et de ce qui aurait pu faire leur personnalité et leur force: leur aspérité. À l'époque, Twingo de Renault ou Amen de Thierry Mugler n’ont pas donné de bons résultats en test mais les entreprises concernées ont cherché intelligemment à savoir pourquoi, sans les sanctionner directement.

En création de noms, le coup de cœur n’existe pas

En 20 ans, ça ne m’est arrivé qu’une seule fois. À Versailles, la SVTU (Société Versaillaise des Transports Urbains) cherchait un nom plus séduisant pour asseoir ses ambitions. Le brief avait de quoi déboussoler: mobilité, transports urbains, ville de Versailles, Louis XIV, bleu… Et puis je me suis souvenu de ce surnom que l’on donnait à Louis XIV: Phébus (le roi soleil). La directrice de communication fut enthousiaste et malgré les réticences (trop intello?) et les résistances (des chauffeurs), le nom s’est imposé à tous. Phébus est un petit miracle. En général, un nom se jauge, s’apprivoise et s’installe après plusieurs réunions successives.

Le latin reste d’une étonnante modernité

Les marques que vous connaissez sont souvent issues de mots latins et vous ne le savez pas. Avis (l’oiseau), Volvo (je roule), Valeo (je vaux), Nivea (couleur de la neige), Acer (l’érable), Arena (le sable) et j’en passe: leurs vieilles racines ont donné des appellations d’une étonnante modernité. L’intérêt du latin, c’est qu’il donne à la marque une autorité, une crédibilité, un aplomb. De plus, étant à l’origine de beaucoup de langues européennes, il permet d’éviter plus facilement les obstacles d’ordre linguistique. J’invite tous les onomaturges à explorer les langues anciennes. Elles regorgent de trésors inattendus.

L’art de traverser les frontières

Il y a les marques qui ne s’embarrassent pas trop (pensez à ce que signifie Nike en français et en arabe, ou Sega en italien) parce qu’elles ont le pouvoir et les moyens de se polir, de faire oublier leurs imperfections à grands coups de communication. Et puis il y a les autres. Pour celles-là, la globalisation est un défi. À certaines langues, rien ne résiste: le chinois, le japonais, le finnois… et le basque. Il faut des experts aux quatre coins du monde pour valider les hypothèses et trouver des alternatives, quand cela est possible (on ne sanctionne pas un très bon nom sur la base d’un seul pays problématique). Et attention, la linguistique ne suffit pas, il faut veiller à la dimension socio-culturelle. Un exemple: cette société américaine, au début des années 90, qui voulait nommer ses biscuits Grégory.

Arrêtons de croire que le nom peut tout dire et tout faire

Il n’est qu’une des composantes de la marque, il n’est que le début d’une histoire. C’est la principale cause d’échec de la création d’un nom: la croyance selon laquelle le nom doit porter et exprimer de façon évidente et exclusive les qualités du produit ou de l’entreprise. C’est irréaliste. Le nom est une pierre précieuse que le design (le logo) sertit pour en faire un bijou. Le nom est une promesse que la communication rendra irrésistible. Il faut donc que l’agence de création de noms ou l’onomaturge travaille main dans la main avec les autres agences partenaires du client (branding, design, communication, RP), sans quoi le résultat s’avère décevant.

Il est facile de se moquer d’un nom de marque

C’est malheureusement l’exercice préféré du décideur. Il oublie trop souvent que Mercedes est le nom d’une fille espagnole ou que Nokia est une rivière de Finlande. Aurait-il appelé sa société informatique Apple? J’en doute. Pour ça, il faut avoir de l’imagination, du courage et de la vista. L’onomaturge est un chercheur d’or. Les pépites, ces noms magnifiques qui n’attentent plus qu’on les choisisse, il les connaît déjà. Faut-il que le décideur en soit convaincu. Donnons-lui un coup de main. Le nom doit être mis en scène. Il est illusoire de penser qu’un nom puisse se choisir sur une feuille A4. Le nom doit être placé dans son environnement naturel: sur un packaging, dans une plaquette, sur un rayon… Il doit s’incarner. Devenu concret, vivant, il ne sera plus un sujet de moquerie.

Le juridique est un épouvantail

Oui, les classes de l’INPI sont encombrées. Oui, les services juridiques ne veulent pas prendre de risques. C'est la même ritournelle depuis vingt ans. De bons noms sont trop souvent écartés pour de mauvaises raisons. Le juridique est l’alibi parfait, parce qu’il effraie, parce qu’il a cette dimension objective et rationnelle dont l’objet de création est dépourvu. Trop facile. Un nom est déjà pris? Dans quelles classes, depuis quand, par qui? Pourrait-on négocier? La présence du service juridique aux premières présentations des noms est essentielle. Elle permettra d’éviter bien des malentendus et d’ouvrir de nombreuses pistes.

L’effet de mode pour ne plus avoir peur

Avoir peur d’être différent, d’être les premiers. En création de noms, comme dans beaucoup d’autres domaines liés à la création, la crainte de l’échec pousse au conformisme. Il suffit qu’une société adopte une sonorité pour que tout le monde suive, et que toutes les marques finissent par se ressembler. Il y eut la mode des noms qui finissent par «is» (feu Itineris), la mode des noms qui finissent par «oo» (Wanadoo) et maintenant la mode des noms finissant par «eo». Tous les secteurs de la communication sont touchés par cette maladie d’imiter les autres.

L’enjeu de la mémorisation

«Faites-moi n’importe quel nom, pourvu qu’il se retienne»: c’est la meilleure directive qu’un client m’ait jamais donnée. Là réside l’essentiel, au-delà du sens et du message: être retenu, coûte que coûte. Les recettes existent, je vous en donne une: les allitérations. Les noms dont les sonorités se répètent se retiennent plus facilement. On les appelle les noms «écho» et ils fonctionnent à merveille. Coca-Cola, Kit-Kat, les exemples ne manquent pas. Dans l’actualité récente, Panama Papers et Paradise Papers (allitérations en «pa») doivent aussi leur succès à l’efficacité de leur nom de code.

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