REPUTATION
La capacité à discuter librement d’options contradictoires lors d’une crise permet de gérer celle-ci, surtout dans ses premiers instants.

La compagnie aérienne américaine United Airlines a gravement endommagé sa réputation par une communication de crise qui a viré au crash. Un exemple spectaculaire des effets pervers de la rareté voire de l’absence de parole libre dans les entreprises.

48 heures. Il aura fallu 48 heures à United Airlines pour sortir de sa torpeur et prendre en compte l’immense émotion que suscitait, sur les médias sociaux, le débarquement manu militari d’un passager d’origine asiatique sur l’un de ses vols intérieurs aux Etats-Unis. 48 heures pour se caler sur la réaction qu’un client ordinaire, un salarié ordinaire ou un journaliste ordinaire aurait probablement eu en voyant la vidéo du débarquement violent évoqué. Cet épisode a eu un impact profond sur la réputation de la compagnie aérienne, avec une couverture de presse mondiale et une reprise massive de la crise sur les réseaux sociaux. Et il pourrait avoir des conséquences business significatives sur le développement de l’activité en Chine, en particulier, où l’affaire a soulevé une grande colère.

Dans les premières heures de sa communication, United Airlines a en effet minimisé l’émotion que suscitait la crise, se retranchant derrière le respect des procédures internes et assurant bizarrement les salariés de son soutien. Pas un mot sur les conditions violentes d’évacuation du client ni sur l’émotion qu’elle suscitait auprès de l’opinion publique en général. En un mot, United Airlines ajoutait la crise à la crise par une communication inappropriée, indécente et choquante.

Encombrante «bulle interne»

Le caractère contre-productif de la réaction en termes de communication de crise était explicite dès le début. Il ressemblait à un cas d’école des pièges traditionnels de la communication de crise. L’absence de prise en compte du caractère grave des faits reprochés, la tentation de minimiser les faits, de les euphémiser, ou encore une formulation des événements selon une grille de lecture autocentrée sont en effet un piège qui pend au nez d’une cellule de communication de crise.

Prise dans le feu des premières heures d’une crise, celle-ci a en effet naturellement tendance à adopter une posture défensive, surpondérant les arguments internes, faisant coller la réalité des événements aux valeurs de l’entreprise, cherchant à s’exonérer au maximum de ses propres responsabilités.

La tentation est toujours grande, en effet, de formuler une réponse qui n’adresse pas le sujet par rapport à l’externe (les clients, les parties prenantes, les médias, l’opinion publique de manière plus générale), mais par rapport à l’interne (le respect d’équilibres politiques internes, la difficulté à reconnaître des faits mettant en cause le top management). Dès lors, les équipes de communication doivent produire un effort permanent pour éviter ce biais et faire preuve de beaucoup de caractère.

La crise avait par ailleurs touché United Airlines après une série de récompenses récentes concernant la qualité de ses relations publiques. Cela n’a certainement pas aidé les équipes à faire preuve de l’indispensable lucidité par rapport aux faits. Il aura fallu des centaines de milliers de réactions sur les réseaux sociaux pour que l’entreprise change son fusil d’épaule et se confronte à la réalité. Dans l’intervalle, la «bulle interne» et l’autosatisfaction des semaines précédentes empêchait la compagnie de réagir de manière adéquate.

Cellule de communication de crise composée différemment

Qu’a-t-il manqué à la cellule de communication de crise dans les tout premiers moments, décisifs, de réaction à la crise? Une culture du dissensus, la capacité à discuter librement d’options contradictoires qui permette d’éclairer la prise de décision et qui évite le crash absolu d’une mauvaise ligne stratégique. Pour les entreprises, cela passe par une acceptation de l’expression des divergences beaucoup plus affirmée qu’aujourd’hui. La composition de la cellule de communication de crise pourrait aider à installer cette culture en faisant participer bien entendu les responsables de la RSE (s’ils ne sont pas intégrés à la direction de la communication), mais aussi des parties prenantes (un administrateur salarié, un client impliqué dans un programme premium avec la marque, un responsable d’ONG avec lequel l’entreprise a noué un dialogue exigeant et franc?).

Car l’expression d’un «non» par rapport aux premières réactions proposées peut changer le cours des choses et en définitive aider à la protection de la réputation de l’entreprise ou de la personnalité. Rappelons-nous le film Douze Hommes en colère, où Henry Fonda interprète de manière inoubliable les vertus du dissensus et le courage qu’il implique. Pour une entreprise, une institution ou une personnalité, avoir le courage de se regarder en face quand une crise survient, c’est l’assurance de réagir d’une manière qui permette d’adresser le problème et non… de l’aggraver. C’est la responsabilité du top management des entreprises que, non seulement de tolérer, mais d’encourager cette culture du dissensus, qui devient une valeur cardinale de protection de la réputation dans le monde globalisé et interconnecté qui est le nôtre.

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