Chronique

Didi Chuxing, Xiaohongshu, Rappi, Weebi... vous connaissez ? La première tient 90% du marché des VTC en Chine avec 550 millions de clients. La deuxième est une plateforme d’e-commerce comptant plus de 100 millions d’inscrits, la troisième est un service de livraison à la demande en Colombie qui affiche 20% de croissance par mois. Et la dernière est une start- up de Dakar, récompensée par la Société Générale, qui développe une application de tenue de compte sur tablette pour les commerçants de l’économie informelle. 

Depuis près de cinq ans, dans le cadre d’un cours intitulé « Stratégie de marques et pays émergents », des étudiants de l’École du management et de l’innovation de Sciences Po Paris issus de différentes nationalités travaillent sur des marques locales et internationales dont personne ne parle et qui pourtant comptent des clients par centaines de millions !

En 2013, le PIB issu des pays émergents a dépassé pour la première fois les 50% du PIB total des pays de l’OCDE.

Le moment était donc venu de quitter nos certitudes et de sortir des cas de branding, 1000 fois rabâchés, pour se mettre à l’écoute d’une autre réalité, celle de pays et de marchés qui, n’ayant connu les marques qu’en tant qu’anciennes colonies ou nouvelles terres de conquête, se prennent au jeu du développement de leur économie et de la valorisation de leur actif immatériel. Ce mouvement valide les thèses du professeur Juan A. De Castro de l’Université de Madrid qui, après une longue expérience des organismes internationaux, est arrivé à la conclusion qu’il fallait que chaque pays émergent invente son propre modèle de développement fondé sur la connaissance, la créativité et le digital.

Quels premiers enseignements retirer de ces nouveaux champs d’explorations ?



La remise en cause du dogme de la marque globale. Un rééquilibrage est en train de s’opérer. Un peu partout, l’aura de la marque globale s’amenuise aux bénéfices d’acteurs locaux qui, dans des marchés aussi vastes que l’Inde ou la Chine, peuvent acquérir rapidement des tailles de leaders mondiaux. C’est ce qui fait dire à des dirigeants comme Emmanuel Faber, président de Danone, que la croissance des marques locales dans le secteur de l’agro-alimentaire est quatre fois supérieure à celle des marques globales ! « Vous ne regardez pas là où il faut », dit-il en substance aux analystes et investisseurs.

Beaucoup de pays émergents sont d’ores et déjà de puissants incubateurs de marques, qui s’installent en profitant de l’évolution des moyens de communication. Il serait temps que les classements internationaux reflètent une réalité nouvelle qui saute aux yeux, et qui engendre de nouveaux choix et de nouvelles possibilités pour les consommateurs.



Le foisonnement des start-up. Comme l’a montré la dernière édition de VivaTech avec sa section AfricaTech, on constate notamment en Afrique un dynamisme entrepreneurial exceptionnel dans les émergents. Ce dynamisme, favorisé par la multiplication des échanges via internet, conjugue nouveaux systèmes de valeur avec nouvelles approches à la création d’entreprise. Des incubateurs comme Jokkolabs à Dakar et MEST à Accra font un travail remarquable de détection et de monitorat. Des personnalités comme Claude Grunitzky, fondateur de la plateforme True Africa, sillonnent le continent pour partager leur expérience et comprendre les nouveaux modes de vie. De nombreux concours initiés par des multinationales (Orange, Ecobank, Google...) mettent à l’honneur des milliers de start- up créées par de jeunes entrepreneurs en leur permettant de découvrir les plus grands clusters internationaux et de participer à des événements comme Slush à Helsinki.



Les pays émergents deviennent eux-mêmes des marques. Beaucoup des jeunes cadres dans les ministères ont été envoyés dans les universités et grandes écoles d’Europe ou des États-Unis. Ils en reviennent avec la volonté farouche de valoriser et défendre l’image de leur pays. Ainsi, la Corée du Sud a-t-elle créé dès 2008 au plus haut niveau de l’État un comité dédié à sa stratégie de marque, y consacrant près de 100 millions de dollars par an. Nous sommes loin de la marque France et de ses errements.

Il y a donc un vent nouveau qui souffle dans le monde des marques. Un vent du sud qui nous invite à revoir les recettes issues du mass market de l’après-guerre et à expérimenter de nouvelles règles du jeu. On est souvent à des milliers de kilomètres de Cupertino et c’est tant mieux !

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