Chronique

Amoco Cadiz, Exxon Valdez, Deepwater Horizon… trois des plus grands accidents industriels des quarante dernières années. Des scandales qui ont marqué les mémoires et changé les consciences : des oiseaux mazoutés, des baleines mortes, des plages sous le bitume. Sur ces années, de 1974 à 2010, quelles étaient les premières capitalisations boursières au monde ? La moitié des dix entreprises les plus riches et les plus puissantes étaient des compagnies pétrolières, l’or noir alimentait la précédente révolution industrielle, celle des voitures et des usines. Aujourd’hui en revanche, une catégorie d’entreprise représente à elle seule sept des dix premières : la tech, avec Apple, Amazon, Microsoft, Alphabet (Google), Tencent, Alibaba et Facebook. Si les compagnies pétrolières ont été remplacées par ces géants aux Etats-Unis et en Chine, et si l’or noir de notre nouvelle économie est la donnée... alors, les marées noires d’aujourd’hui ne s’appelleraient-elles pas désormais Cambridge Analytica ?

Des start-up trop loin dans le fake

Vous me voyez venir avec mes gros sabots : la devise de Spiderman, « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Les start-up, anciennes et nouvelles, sont devenues des entreprises comme les autres. C’est une excellente nouvelle et elles ne demandaient pas mieux. Mais ces deux dernières années ont vu la posture du « fake it until you make it » (1) aller un peu trop loin. Prenons le scandale Theranos. Cette start-up qui disait avoir conçu un nouveau système de test sanguin et dont la dirigeante, la plus jeune femme milliardaire, a été la coqueluche de la presse économique du monde entier jusqu’à ce que la FDA et la SEC jouent leur rôle de gendarme pour éviter un nouvel Enron, cet autre scandale qui avait provoqué la disparition d’une des marques les plus puissantes et respectée du capitalisme mondial : Arthur Andersen. Uber aussi a montré un visage qu’on ne prêtait pas aux gentilles petites start-up, une entreprise qui espionne, dont le fondateur manque de respect à ses chauffeurs, reconnaît des pratiques managériales déviantes, des cas de harcèlement nombreux... à peu près en même temps que le mouvement #MeToo.

« Do good » vs « don’t be evil »

Ce n’est pas étonnant que le règne du « move fast and break things », du « passage à l’échelle » des entreprises qui ont érigé la mission, la culture d’entreprise, le culte des fondateurs et les stock-options en opium du salariat présente ses limites, son côté sombre. C’était un passage obligé et nous ne devons certainement pas regretter l’ordre précédent, ni souhaiter un nouveau statu quo. Merci à ces start-up, nous avons sans l’ombre d’un doute tous gagné à leur succès. Mais, c’est vieux comme le monde, la roche Tarpéienne est proche du Capitole, et quand on est arrivé aussi haut, la redescente est inéluctable. D’autres modèles émergeront et les champions d’aujourd’hui deviendront bien nos compagnies pétrolières de demain. Qui sont les suivants ? La Chine déjà, l’Inde bientôt. Les communs font consensus comme un modèle de propriété et de partage alternatif. Les ICO, dérivées de la blockchain, promettent une économie encore plus décentralisée et moins réglementée. Enfin l’économie sociale et solidaire s’impose pour deux raisons simples : elle s’attaque au problème à la racine, et dans la bataille des talents qui a fait gagner la guerre aux entreprises de la tech, elle attire des jeunes gens brillants qui souhaitent donner encore plus de sens et d’impact à leur activité.

Le RGPD, une chance à saisir

Mais surtout, la messe n’est pas dite et de nombreux scandales sont évitables. Pour construire mon quotidien un pied chez les start-up, un pied auprès des grandes entreprises, je sais que ces dernières, championnes d’hier, possèdent aujourd’hui des chartes éthiques, des règles claires de lancement d’alerte et de protection de ceux qui en ont le courage. Aussi, pour revenir sur le point de l’impact sur l’environnement, des pratiques et des ressources qui n’ont rien de ringard et dont les champions d’aujourd’hui et de demain seraient bien inspirés de reprendre à leur compte : l’ère de la « user-centricity » et du « hooking » pour rendre l’utilisateur accro à ses services a encore de beaux jours devant elle mais ne durera pas toujours. Seule certitude : c’est que ceux qui auront douté le plus tôt et élargi leurs champs de responsabilité en conséquence seront les mieux préparés. Le RGPD en est un excellent exemple. À nous tous de saisir cette chance de distribuer le futur de manière plus équitable, sans que les scandales nous y obligent.



 





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