Dossier Presse magazine
Pour des grandes marques en quête d’un environnement sécurisé pour communiquer, le papier retrouve à leurs yeux bien des vertus. Les éditeurs en engrangent déjà les premiers résultats en espèces sonnantes et trébuchantes.

Un dessert aux fruits va-t-il changer le destin de la presse magazine française? En décidant de zapper la télé au profit d’une campagne en presse magazine pour lancer en mai 2018 son dernier-né, Gourmand & Végétal, la marque Andros a rompu avec les habitudes d’un secteur qui ne jurait jusque-là que par le petit écran. «La marque Gourmand & Végétal est passée de 0 à 9% de parts de marché en quelques semaines», se félicite Philipp Schmidt, directeur exécutif de la régie du groupe Prisma Media, dont les titres ont accueilli, avec ceux de Lagardère et Mondadori, les visuels créés par l’agence Change. «Grâce, en grande partie, au print, mais aussi au digital, les annonceurs peuvent, avec un budget souvent 30% moins cher qu'en la télévision, parvenir à des résultats supérieurs», avance-t-il.

 

Investissements en baisse

Voilà qui sonne comme un message d’espoir pour un secteur qui accuse une forte érosion de ses recettes publicitaires en valeur nette. Selon l’Irep, ces dernières sont en chute libre, à –10,8 % sur les neuf premiers mois de l'année 2018 pour la presse magazine. Ce chiffre ne prend pas en compte les reports de campagnes sur le digital, une lacune que l’Irep pourrait combler lors de son prochain bilan en mars 2019, d’après sa directrice déléguée Christine Robert. «Selon nos propres prévisions, le papier est en baisse en termes d’investissements publicitaires, de l’ordre de 5 à 7% pour l’année 2018, et cela continuera aussi en 2019», confirme Hervé Ribaud, head of value team et head of audio à l’agence Havas Media. En cause, selon sa collègue Aurélie Irurzun, head of video and publishing au sein de la même agence, «un contexte où les annonceurs sont en recherche de performance, ce dont pâtit la presse, qui n’en est pas le levier le plus contributeur». Reste que selon ces spécialistes, «l’intention de papier » progresse chez les annonceurs.

Pour l’instant, «il s’agit surtout d’un désir de marque plus que d’investissements réels», constate Hervé Ribaud. «Les annonceurs cherchent de la brand safety -partout, alors il pluggent des advérificateurs sur le digital, mais ils n’ont pas besoin de le faire en presse, gage de sécurité absolue», ajoute-t-il. Brand safety, le mot est lâché. Les sorties au printemps dernier des responsables de P&G ou d’Unilever contre les fake news ont donné le ton. «Le lien entre les marques et les consommateurs est précieux et fragile, et elles ne peuvent pas prendre le risque de le casser avec une communication intrusive et inappropriée dans un environnement potentiellement dangereux», confirme Didier Beauclair, directeur stratégies et médias de l’Union des annonceurs (UDA).

 

Alliances

Reste au secteur de la presse magazine à profiter de ce vent favorable. L’exemple de l’alliance entre Mondadori, Lagardère et Prisma, Food Brand Trust, est significatif: la solution peut venir d’un effet de masse. La mise en commun des datas au sein de l’alliance Gravity ou l’offre commerciale Skyline du Monde et du Figaro en sont d’autres exemples, sur le digital. «Ce qui se passe aujourd’hui, c’est une concentration des volumes sur quelques grandes marques fortes, constate Aurore Domont, présidente de la régie Media Figaro. On remarque chez nos clients un retour à la raison, une prise en considération de la qualité de la contextualisation. On parle toute la journée de datas ou de clusters, on essaye par tous les moyens technologiques d’identifier des populations qui ont les mêmes centres d’intérêt, mais il y a quelque chose qui le fait déjà à merveille, c’est la presse magazine.»

Frédéric Sitterlé, directeur du développement du groupe Challenges, sent ce frémissement. «On voit un retour vers des campagnes qualitatives en print ; on l’observe sur la pagination. Les annonceurs recherchent de l’innovation, ce que le digital leur apporte, mais aussi de la sécurité et le statut du papier», dit-il. «Aujourd’hui, on livre une bataille de l’attention, décrypte Delphine Royant, éditrice du magazine Vogue Paris. Or un post sur les réseaux sociaux, c’est 0,5 % de mémorisation, alors que la presse est le lieu où la mémorisation des publicités est la plus forte». Selon elle, «le mot d’engagement est aujourd’hui à la mode mais on ne peut pas comparer les likes d’une photo sur Instagram avec l’engagement d’un lecteur quand il passe une heure avec son magazine et le reprend quatre fois en mains en moyenne, ce qui est le cas de Vogue.» Pour Brigitte Bizalion, déléguée générale marketing et publicité du Syndicat des éditeurs de presse magazine (SEPM), «la maturité à laquelle on est parvenu sur les réseaux sociaux peut faire que le regard se porte ailleurs, et notamment sur le média presse».

 

Une mesure fiable

Philipp Schmidt, de Prisma, fait remarquer que la presse est le seul média acheté au coût pour mille (CPM) diffusion, les autres l’étant au CPM audience. «Or la plupart des magazines sont lus entre cinq et dix fois par exemplaire vendu, c’est un énorme cadeau du print», note-t-il. Stéphane Bodier, vice-président de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), met en avant un autre argument en faveur de la presse magazine: la fiabilité de la mesure. «Grâce à l’ACPM, la presse a des chiffres qui sont vérifiés et contrôlés, ce que Facebook et Google ne font toujours pas», souligne-t-il.

Pour Gwenaelle Thebault, directrice générale adjointe du groupe Marie Claire, «il n’y a pas de fatalité» à la situation de la presse magazine. «J’ai eu l’occasion de lancer une nouvelle formule pour Marie Claire et pour Marie Claire Maison et, à chaque fois, cela a été l’occasion de redévelopper le chiffre d’affaires [CA] publicitaire et de générer de nouveau une attractivité réelle puisqu’on a été rallié par de nouveaux annonceurs, notamment du luxe», souligne-t-elle. « Nous sommes en croissance sur le CA global de la régie Prisma Media Solutions en 2018», savoure aussi Philipp Schmidt, qui écarte toute «gestion du déclin» et annonce de nouveaux lancements food en presse magazine cette année.

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