Magazines
La cession annoncée des magazines de Mondadori France à Reworld Media est le prélude à une nouvelle ère de la performance et du branding pour la presse magazine. Sans cartes de presse.

Franck Riester, le nouveau ministre de la Culture, n’était pas encore nommé que les syndicats de Mondadori France phosphoraient déjà, le 15 octobre, à propos de l’entrée de l’éditeur italien en négociations exclusives avec Reworld et de la menace qu'elle ferait peser sur les 700 emplois du groupe. « On essayera que ce soit l'un de ses premiers dossiers, c’est le problème de la presse magazine dans son ensemble », confie Yves Corteville, membre de l’intersyndicale. « Où s’arrête la presse, où commence le branding ? Ce n’est pas tout à fait la même chose en termes d’aides. Les pouvoirs publics doivent se positionner » poursuit le délégué SNJ-CGT. Ce jeudi 18 octobre, les salariés du troisième groupe de presse magazine ont décidé de se faire entendre devant les fenêtres du ministère de la Culture, rue de Valois.

Des « marques formidables »

Les griefs sont connus. Pascal Chevalier, le patron de Reworld, et son directeur général Gautier Normand, font craindre une transformation brutale du modèle des magazines. « On a la chance d’arriver dans un marché où les acteurs de la presse print ont du mal à comprendre... n’ont pas envie d’aller sur internet, pour plein de raisons, et donc on rachète un paquet de marques formidables : du Marie France, du Auto Moto, du Campagne Décoration… », expliquait le patron le 12 octobre sur le site Frenchweb (il n’a pas répondu à Stratégies). À l’en croire, les choses sont simples : Reworld arrive avec sa culture d’ingénieur, ses technologies, et met la main sur des « marques fortes » qu’il renouvelle en produisant plus de vidéos que d’articles écrits et davantage en direction du mobile que pour le papier. Mais « la grosse transformation, c’est dans les régies. On passe dans un marché où on fait 90 % de notre chiffre d’affaires à la performance », ajoutait-il.

Voilà pour la théorie. Dans la vraie vie, ce modèle a un coût humain et éditorial important. Sur 150 salariés des huit titres de Lagardère rachetés par Reworld en 2014, neuf seraient aujourd’hui encore au sein du groupe. Pour une partie faisant jouer la clause de cession – pour laquelle Lagardère aurait versé 15 millions d’euros – les autres n’ont pas leur place dans la nouvelle organisation. « Le but est d’avoir le moins de cartes de presse possible et de réduire les coûts chaque année, raconte un ancien salarié. On sous traite le magazine à des agences extérieures – comme Relaxnews – ou à de jeunes journalistes prêts à tout qui facturent en auto-entrepreneurs et connaissent, bien sûr, beaucoup moins bien leur secteur. D’où une baisse de la qualité ». Be – qui n’avait pas obtenu de Lagardère la licence internet – et Pariscope ont arrêté de paraître. 

Grande braderie 

À Mondadori France, Dominique Carlier, représentant de l’intersyndicale, parle de « coup de poignard dans le dos ». Les syndicats se préparent à « une bagarre longue » se refusant de voir « brader » pour une cinquantaine de millions d’euros – voire 30 selon la Lettre A - un groupe vendu 545 millions d’euros en 2006. Un prix très bas, certes lié à la chute des diffusions et de la publicité, mais aussi corrélé à la nécessité d’assumer des coûts sociaux. « Le fait que Mondadori, après Emap, se retire montre qu’on a changé de période, la presse magazine est le segment le plus attaqué, et je ne serais pas étonné que Reworld procède à des cessions comme Science & vie qui s’effondrerait s’il n’était pas traité avec sérieux », confie Jean-Marie Charon, sociologue des médias. La Lettre A indique que le pôle nature (Le Chasseur français) n’entrerait pas dans le périmètre de Reworld qui se concentre sur les féminins-cuisine, maison-jardin et auto-sport… Sur le papier, l’addition des deux groupes ferait de Reworld-Mondadori le numéro 1 de la presse magazine avec un chiffre d'affaires de 484 millions d’euros et 15 % de part de marché sur la diffusion payée.

L'e-commerce l'emporte sur l'édito

Une chose est sûre. Avec Tradedoubler, sa filiale suédoise de marketing digital qu’il contrôle après avoir pris 30 % de son capital, Reworld tire ses 87,1 millions d’euros de recettes au premier semestre (-8 %) de ses deux mamelles que sont la performance et le branding. Tradedoubler a pour modèle les leads à la performance et l’affiliation à un réseau de 180 000 éditeurs de site. « Si BMW lance une nouvelle voiture. On fournit des leads qui sont des test drive », expliquait Pascal Chevalier à Frenchweb. Un modèle qui tire avantage à être référencé dans des marques médias comme Auto Moto pour toucher une audience captive. Seul souci, la dimension e-commerce l’emporte parfois sur l’aspect éditorial quand un article signé de la rédaction de Marie France, par exemple, contient un lien hypertexte qui oriente directement vers une plateforme commerciale (bsp-auto.com).

Régie et rédacteur en chefs

Côté branding, la régie propose un « contenu adapté aux annonceurs » ou des « solutions publicitaires intégrées ». Pour ce faire, une agence de brand content, Squad, et une agence vidéo, Atelier B, née de l'absorption de Sporever, ont été créées. « Avec la sous-traitance de la fabrication des magazines, il ne reste plus qu’un rédacteur en chef dont le rôle est de seconder la régie en l’accompagnant devant les clients et en l’aidant à vendre des opérations de content publishing », raconte un ancien cadre de la rédaction. Cette stratégie est, selon lui, « plutôt maligne » mais elle se fait « avec des sites rudimentaires, à l’économie, avec de l’achat d’audience et une pression constante ». Pire, assure-t-il, « on ne peut pas être créatif et développer sa marque ». La marque du média, s’entend…

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