Analyse
Sémiologue, professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle - Paris III et spécialiste des médias, François Jost pose un regard assez inattendu, disruptif, voire clivant sur l’événement et la communication événementielle. Les professionnels apprécieront… ou pas !

On attribue de nombreuses significations à l’événement. Comment le définissez-vous ?  

François Jost. La différence entre l’événement tel qu’on l’utilise dans l’information et l’événementiel, c’est que l’événement en information est la construction du discours autour d’un fait alors que dans l’événementiel, c’est la construction du fait et non du discours. Dans l’événementiel, le fait ne s’impose pas, il est construit par l’organisateur de l’événement. 

L’événement est-il un média ? 

Un média est une institution qui donne à des destinataires des contenus. Or un événement est un moyen de véhiculer des « choses » mais ce n’est pas une institution au même titre qu’une radio ou la télévision. On distingue le medium qui serait la voie matérielle utilisée pour passer un message, cela peut être l’image, le son, la parole… et le média qui représente toute une organisation économique pour faire passer des messages. En général, les marques font appel aux médias et l’événement serait plutôt un medium. Il serait excessif de parler de média pour qualifier l’événement. 

Dans une société de plus en plus digitalisée, quelle place occupe ce medium ? 

Un des premiers événements de communication événementielle est le Tour de France. Il est créé en 1903 par le magazine l’Auto pour fidéliser et attirer des lecteurs. La pratique remonte donc à loin dans le temps. Ce qui a changé avec le numérique, c’est la communication de l’événement [avant, pendant, après]. Le numérique peut être une plateforme, un lieu de distribution vers des événements, avec différentes manifestations de communication comme un QR code vers la marque ou une information sur les réseaux sociaux pour indiquer l’organisation d’une manifestation dans un lieu donné. Mais ce qui reste commun à hier et aujourd’hui, c’est le fait d’aller à un endroit pour se réunir ou pour voir quelque chose d’exceptionnel.

Le digital et notamment les réseaux sociaux ont-ils amplifié le besoin de rencontres ?  

Je ne crois pas. Il y a un besoin anthropologique de se réunir qui est lié à l’être humain. De façon générale, les aspects anthropologiques s’incarnent différemment suivant les époques mais les besoins de se réunir ne changent pas. Si je prends l’exemple de Meetic aujourd’hui, il a été précédé par les petites annonces, le téléphone rose… Fondamentalement, le besoin de former un couple à un moment est toujours le même. Néanmoins, il est évident que les réseaux sociaux peuvent faciliter les rencontres et étendre la réunion de gens. En revanche, ce qui a changé, c’est le fait que ce sont les marques qui créent l’événement et non plus forcément tel ou tel acteur de la société, les politiques… Aujourd’hui, on construit des événements alors que d’une certaine façon, dans la vie, on les subit.    

Avez-vous néanmoins constaté un changement ?    

Pour certains événements de marque ou d’entreprise, la réussite, c’est de devenir un événement comme les autres. Ce glissement montre que, par le biais de l’événementiel, on peut arriver à faire parler de la marque à travers, par exemple, un journal télévisé, ce qui a beaucoup plus de force que n’importe autre dispositif de marketing. Quand les stades deviennent des marques (naming), ils font partie du monde de la consommation au titre d’événements marketing. Ils entrent dans l’information et en deviennent des acteurs.  

Quelle est l’incidence des médias sur l’événement ? 

Aujourd’hui, l’ampleur de l’événement a changé avec l’arrivée des chaînes d’information en continu. On va faire d’un micro-événement ou d’un événement banal, un événement pour intéresser les téléspectateurs. D’une certaine façon, cela rejaillit sur la conception de l’événement marketing car dans une société où il y a tout le temps de l’événement, on est obligé de les multiplier et d’en inventer de nouveaux pour maintenir l’intérêt des téléspectateurs. Aujourd’hui, il arrive même qu’on parle d’un événement qui n’existe pas encore pour créer du contenu et de l’intérêt, on va parler de plus en plus sur ce qui va se passer. 

Le mot « événement » n’est-il pas trop galvaudé aujourd’hui ? 

Fondamentalement, il y a toujours une différence entre rendre compte d’un événement et faire l’événement. La communication événementielle fait événement, elle le construit. Il y a une déperdition par rapport au sens de l’événement et un usage abusif à en parler sans arrêt dans les médias. Une des explications de son utilisation excessive pourrait être liée à la connotation améliorative du terme : c’est flatteur pour une marque d’organiser un événement et de le faire savoir. Mais tout ce qui arrive à une marque ne sera jamais aussi important qu’un événement au sens de l’information, un volcan en éruption, une annonce du président de la République… Dans bien des cas, le terme n’est donc pas approprié. 

L’événement est partout. Qu’est-ce que cela dit de notre société ? 

Deux choses. La première, que nous sommes dans une société de concurrence très dure où il faut réussir à se sortir du banal, trouver un moyen d’être différent des autres et meilleur que les autres. La deuxième, à l’heure des chaînes d’info en continu, c’est que tout fait événement et on est toujours en train d’inventer des événements. Prenons l’exemple des villes, elles en créent et en organisent pour être attractives, se valoriser… On parle aujourd’hui d’événements et non plus de manifestations, un terme qui est perçu comme péjoratif.  

La société n’est-elle pas devenue un « spectacle » permanent ? 

J’aborde dans un chapitre de mon dernier livre (1)La Société du spectacle telle que la définissait Guy Debord. Il disait que la vie était devenue dans notre société un spectacle où on transformait le vécu en images. Cela reste encore plus vrai aujourd’hui qu’à cette époque. Il faut désormais trouver des choses visualisables pour faire événement et une façon originale de représenter une manifestation pour la montrer. Nous le savons : ce qui n’est pas transformé aujourd’hui en images, les gens n’y croient pas.  Nous sommes passés à une société où seul ce qui est visualisable est réel. 

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.