Numérique
Le vote de la directive européenne qui permet la collecte d’un droit d’auteur sur internet et de droits voisins en faveur des éditeurs de presse ouvre une nouvelle ère dans la répartition de la valeur.

Quand il évoque la situation qui prévaut encore entre les plateformes et les éditeurs de presse, Pierre Louette, PDG du groupe Les Echos-Le Parisien, cite Coluche : « Donne-moi ta montre, que je te donne l’heure ». Ce 11 septembre, dans l’auditorium du groupe de presse, deux jours avant le vote par le Parlement européen de la directive sur le droit d’auteur à l’ère numérique, les langues se délient. Jean-Marie Cavada, député européen, veut en finir avec « une espèce de religion qui veut que tout soit gratuit » et « le droit de voler » des géants du Net. Marc Feuillée, le directeur général du groupe Figaro, parle de « monnaie de singe » quand chaque éditeur fabrique dans son coin un accord pour promouvoir ses contenus sur des plateformes.

Mais cette fois, il croit à un droit voisin pour la presse. Un sondage Harris Interactive a montré que les Français étaient favorables à une rétribution des œuvres et de l’information sur les plateformes et, pour la première fois, les journalistes sont de la partie : « Ils ont enfin compris que nous n’étions pas que des éditeurs cupides ». Restait à convaincre les eurodéputés. Sitôt le vote exprimé, l’agence Elan Edelman faisait savoir qu’elle avait accompagné un collectif d'associations culturelles pour la campagne « Europe for Creators », visant à mobiliser citoyens, créateurs et décideurs en faveur de la directive européenne.

Lobbying contre-productif

En face, il semble que le lobbying des Gafa se soit révélé contre-productif : mails bien adressés accusant les partisans de la directive d’être liberticides, tweets sponsorisés, mobilisations tapageuses… « L’argent dépensé a attiré l’attention sur eux, observe Pascal Rogard, directeur général de la SACD. Les gens savent bien aujourd’hui qu’ils ne payent pas leurs impôts et qu’ils rejettent le système européen. » Dans cette victoire qui lui rappelle le vote de 2013 du Parlement européen consacrant l’exception culturelle, le défenseur des intérêts des auteurs-compositeurs voit la possibilité d’asseoir une rémunération proportionnelle aux recettes d’exploitations des plateformes, via l’article 14 bis. Les ayants droit qui ne disposent d’aucun accord avec les géants du Net pourront alors bénéficier de la directive sitôt qu’elle sera transposée dans les législations nationales.

« Faire monter la pâte »

Mais combien peuvent espérer toucher les différents acteurs de la chaîne de valeur ? « On ne sait jamais combien ça peut rapporter, répondait Olivier Bomsel, professeur d’économie à Mines Paris Tech, le 11 septembre. On donne ce droit et ensuite il faut négocier. Alors se construit un front de la négociation qui va valoriser les droits ». Plusieurs points restent à éclairer. D’abord, le périmètre concerné. Les Gafa – Google et Facebook – bénéficient d’une exception au droit voisin sur les courts extraits (« snippet »). Or, selon Marc Feuillée, la moitié des contenus de presse partagés sur les réseaux sociaux entrent dans ce cadre. Ensuite, il reste à s’entendre sur la répartition de la valeur. Les journalistes profiteront-ils directement de la manne, au même titre que les éditeurs ? « Avant de partager le gâteau, il faut faire monter la pâte, répond Jean-Michel Baylet, PDG de La Dépêche, les journalistes toucheront par leurs accords de droits d’auteurs, mais ils ne peuvent pas toucher deux fois. »

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