BD
Née au Liban, elle s’installe avec ses parents journalistes à Chypre à 8 ans. L’île devenant trop oppressante, elle part de son côté vivre sa propre aventure. La bande dessinée est sa première étape, elle ne garantit pas encore où mènera son parcours jusqu'à la ligne d’arrivée.

« Le Liban est vraiment un théâtre. Tout ce qui est raconté dans ma BD est le miroir de ce qui s'y passe, résumé en une nuit », lance Tracy Chahwan. L'histoire de la jeune femme, 25 ans, commence alors que, étudiante en master à l’Académie libanaise des beaux-arts, elle voit se présenter l'occasion de créer sa première BD. Inspirée par la chronique nocturne et foutraque de Martin Scorsese, After Hours, elle sort en 2016 Beirut Bloody Beirut. L’intrigue repose sur la rencontre à la sortie de l’aéroport entre deux filles, issues de mondes totalement opposés. L’une d’elles est bourgeoise et maronite [chrétiens catholiques orientaux], l’autre, plus libérée, se distingue par son épicurisme. Elles se rendent à Jounieh, une ville côtière à un jet de pierre de Beyrouth, et décident de partager un taxi. « J’avais envie de montrer Beyrouth, donc l’idée d’un road trip me permettait de passer d’un quartier à l’autre », justifie l'artiste. S’ensuivent de multiples péripéties avant d’arriver à destination.

D'un extrême à l'autre

Au fur et à mesure de l’écriture, Tracy Chahwan se rend compte de la complexité de son pays, où la violence est monnaie courante et où, dans le même temps, la place de la famille reste très importante. Elle se fait donc aider par la chercheuse Carla Calargé pour raconter la vie d’une génération qui, trop souvent, a perdu la mémoire de son Histoire. « Que ce soit chez les riches ou les pauvres, le point commun des Libanais c’est l’excès. D’un côté, tu les vois dans les excès de la drogue, l’alcool, et de l’autre, tu les retrouves dans la religion et les partis politiques », pointe l'artiste. Un moyen pour cette jeune génération, née après la guerre, de s’anesthésier. « Ils ne comprennent pas pourquoi c’est le bordel dans leur pays, c’est très frustrant », ajoute-t-elle. Peu de chances sont laissées aux jeunes talents. Contrainte de réaliser des maquettes pour des marques ou de dessiner des affiches en guise de gagne-pain, elle avoue la difficulté à trouver un travail dans l’illustration. 

Voyager est, depuis quelques années, devenu son quotidien afin de trouver d’autres opportunités professionnelles, même si son pays de naissance restera toujours sa source d’inspiration. Elle ne s’interdit pas non plus d’utiliser son art afin de faire évoluer les mentalités. Dans sa dernière BD Don't You Know Who My Mother Is ?, Tracy Chahwan renverse ainsi les clichés et porte la gent féminine au pouvoir. Les traits y sont grossis, mais son coup de crayon reste juste pour dénoncer ces inégalités. « Il y a toujours un point de vue féminin dans mes histoires, les femmes sont trop peu représentées dans la culture arabe et restent cantonnées à des rôles iconiques », s’indigne l’illustratrice. À l'image de son caractère, ses personnages n’ont pas froid aux yeux, elle aimerait se lancer dans le récit d’aventure, « un peu comme Tintin mais en plus trash ».

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