#StrategiesLes15 / Francis Morel
La diffusion dans les points de vente de presse présente l'avantage d'apporter beaucoup plus de valeur que l'abonnement numérique. Il est temps de revoir la loi Bichet pour créer des réseaux de vente différents.

Tous les matins, à 8 heures, Alain G sort de son domicile à côté de la Place de Clichy, et va au kiosque qui fait l’angle de sa rue. Il y achète Le Parisien et va ensuite à son café pour prendre son petit déjeuner en lisant le journal et en commentant l’actualité avec le patron. Pour lui, une journée ne peut pas commencer sans ces moments. Et ce, depuis près de 20 ans. L’information ? Oui, bien sûr, mais aussi l’échange, la proximité et la convivialité. C’est tout ça qui est retrouvé et partagé à ce moment-là.

Et pourtant, au niveau national, la tendance du kiosque est à la baisse forte. En dix ans, les ventes au numéro de la presse ont diminué de plus de 50%, passant de 1.090.000 ex à 466.000 exemplaires. Sur le plan global, si nous étudions toutes les formes de vente, l’image est différente : la baisse n’est que de 25%, grâce aux abonnements papier (baisse de moins de 20%), et surtout au développement d’une nouvelle forme de diffusion : les abonnements numériques, qui n’existent vraiment que depuis trois ans environ et représentent déjà plus de 25% de la diffusion totale de la presse.

Le numérique détrône le papier

Le numérique, le mot est lâché ! Et son poids se retrouve dans l’analyse des chiffres d’audience : la consultation des titres de presse a augmenté pendant ces dix dernières années. En 2016 et 2017, l’audience des principaux titres de PQN a même augmenté de plus de 20%. Mais l’audience a également beaucoup changé dans sa structure : la première consultation d’un titre de presse se fait désormais à 53% par le numérique, détrônant pour la première fois la lecture Papier. Et grâce au numérique, les titres sont maintenant lus par des jeunes (xxx) qui avaient abandonné la Presse.

Alors, la diffusion de la presse serait-elle en train d’être sauvée par le numérique qui tuerait le papier ? C’est probablement beaucoup plus compliqué ; certes le numérique permet de trouver de nouveaux lecteur. Mais à quel prix ? Ou plus exactement avec quel revenu ? Le New York Times qui a maintenant 2.6 millions d’abonnés digitaux les a trouvés en faisant des offres d’abonnement tout cet été à .... 1 dollar par mois pendant 6 mois !

Difficile de résister ! Et aujourd’hui, ces offres (qui ne sont plus à ce niveau) sont encore et toujours proposées avec 50% de discount (sur le prix habituel d’abonnement) plus des cadeaux particuliers très appréciés (faire des mots croisés sur tablette ET les recettes de cuisine du NYT par exemple) ce qui amène l’abonnement, selon la formule, entre 4.63 dollars/ semaine... ou même 7.50 dollars / mois .

Des offres encore très attractives... Mais aucune information n’est publique sur les taux de renouvellement de ces formules d’abonnement (quand le prix repassera à des niveaux normaux). Le volume, c’est certain, mais la valeur ? Même en tenant compte des économies liées à l’absence de coûts de distribution et d’impression, il faut 1 abonné digital et demi pour compenser la perte d’un abonné papier... à condition que le prix de l’abonnement digital soit à un niveau acceptable, (c’est à dire pas à 1 dollar par mois par exemple).

Le problème du prix de vente

En fait, « le numérique est un fantastique outil de recrutement de nouveaux clients mais le prix de vente est toujours un problème car très discounté ; il n’y a pas aujourd’hui d’abonnement digital possible au prix habituel d’un abonnement papier », comme le confie un éditeur français. Les tentatives de revalorisation des abonnements digitaux (les Échos ou le FT par exemple) sont encore très rares et limitées à des titres s’adressant à des cibles particulières.

Revoilà l’uberisation de l’Economie. Et, dans ce domaine, les initiatives ne devraient pas manquer. Guillaume Monteux, responsable du kiosque numérique de SFR envisage d’abandonner les offres numériques d’abonnement liées aux abonnements téléphoniques, (suite au changement de TVA applicable décidé par le gouvernement) mais n’abandonne pas l’idée générale ; il projette de lancer de nouvelles propositions originales : « Il faut multiplier les initiatives car les titres de presse ont besoin de nouveaux canaux de distribution, dit-il, il faut aller chercher les lecteurs partout où on peut les trouver , même si aujourd’hui on ne sait pas encore ce qui va fonctionner ».

Dans le digital, la rentabilité n’est pas encore là partout. Les initiatives déployées avec Facebook par exemple n’ont pas donné de résultats probants : les premiers résultats s’avèrent même assez décevants (sur Instant Articles, on constate une captation d’audience par Facebook, sans monétisation ni conversion en abonnements). Ce qui amène les éditeurs à réfléchir à nouveau à la vente au numéro.

Les prix de vente pratiqués au numéro permettent en effet, même avec les taux d’invendus actuels, une rentabilité intéressante. La baisse de la vente au numéro s’explique aussi , (en partie seulement certes mais en partie quand même ), par la baisse très importante du nombre de points de vente : en moins de 10 ans le réseau de points de vente est passé de 29.000 marchands à moins de 23.000.

Trouver un journal certains jours, en particulier le dimanche, est devenu si difficile qu’il ne faut pas s’étonner de la baisse de la diffusion à certains moments ou dans certaines villes.

La première action pour permettre à la vente au numéro de repartir serait probablement de sortir du cadre strict de la Loi Bichet, cette loi de 1947 qui règlemente toujours, 70 ans après sa création, la distribution de la presse selon des règles édictées à la libération ! On peut permettre par exemple la mise en vente de certains titres dans des points de vente particuliers (supérettes pour la presse quotidienne, titres spécialisés dans les points de vente adéquats ...).

La vente au numéro est une vitrine pour les titres ET une rentabilité intéressante. Il y a en fait besoin de réseaux de vente différents, qui seront complémentaires de ceux existants, sachant que l’acheteur digital est différent de l’abonné papier, lui-même très éloigné de l’acheteur au numéro.

Alain G va continuer à aller acheter son journal tous les matins. Mais son fils, pourtant journaliste (...), n’achète jamais un journal papier. Pour l’existence même de la presse, il faut faire en sorte que ces besoins différents restent satisfaits. La Loi Bichet revisitée façon Macron y aura un rôle important à jouer, mais la presse, et en particulier la vente au numéro, le méritent. N’oublions pas le début de la journée de Alain G: la presse, c’est l’information et le lien, la convivialité.

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