Presse magazine
En un an, les annonceurs du luxe ont désinvesti de 12% la presse magazine. État des lieux d’une récession aux allures de mutation structurelle et de redistribution des cartes.

Et si les investissements des grands acteurs du luxe devenaient aussi volatils que les effluves de leurs plus ensorcelants parfums? C’est le cauchemar qui hante les éditeurs de presse depuis qu’ils voient leur chiffre d’affaires publicitaire décroître. «Si l’on regarde les données de pression en brut de 131 annonceurs luxe (mode, parfum, beauté, automobile, horlogerie) qui ont communiqué dans la presse magazine entre janvier-septembre 2016 et janvier-septembre 2017, l’activité publicitaire a ralenti, analyse Zaïa Lamari, analyste chez Kantar Media. On note un désengagement de certaines marques comme Audi (-43%), Ralph Lauren Couture (-45%), Shiseido (-60%) ou Dior (-9%). Le décrochage des annonceurs est indéniable: en janvier-septembre 2015, on était à 276 millions d’euros brut, en 2016 à 270 millions et l’on tombe à 238 millions en 2017. Soit une baisse de près de 12% en un an. Pour une presse magazine qui se porte mal depuis la crise de 2008, ces données témoignent de la souffrance de certains titres.» Une situation d'autant plus délicate pour ces journaux que leur business model s’est construit sur deux piliers: toucher les lecteurs et séduire les annonceurs, alors que 740 kiosques ont fermé en France en 2016, soit 4% du parc.

Le P.-D.G. de Condé Nast France (Vogue, Glamour, Vanity Fair, GQ), Xavier Romatet, le reconnaît: «Pour la première fois, il y a très clairement une baisse significative des investissements de l’industrie du luxe dans la presse magazine, dit-il. Une baisse à deux chiffres. Alors que ces annonceurs préservaient jusque-là le segment de la presse grand public, une digue a sauté à l’automne 2016 et l’effet se poursuit en 2017. Notre premier groupe d’annonceurs, ce sont LVMH, Chanel, L’Oréal, Richemont, Kering, Armani, Prada, Dolce & Gabbana. Certaines marques ont connu des difficultés comme les italiennes. Leur variable d’ajustement, c’est de réduire les investissements publicitaires ou de les concentrer vers les zones en croissance: les Etats-Unis et l'Asie. Les marques vont davantage vers la télé et le digital, pour accroître leur e-commerce. Mais on ne va pas vers une nouvelle répartition du gâteau publicitaire entre des acteurs qui seraient toujours les mêmes. Les investissements digitaux se font au profit de Google et Facebook.»

De l'offre globale au 100% digital

La solution? Proposer des offres print et digitales. «Notre croissance de revenus sur le digital pour Vogue sera de 35% cette année et de 16% pour le groupe en 2017. Mais en volume, on perd plus en print (-10% des revenus pub ) qu’on ne gagne en digital», confie Xavier Romatet. Le groupe Condé Nast passera à l’offensive en 2018 en proposant un hub international basé à Londres avec une mutualisation de la production et de la distribution de tous ses contenus digitaux (rédactionnels et commerciaux) pour chacune de ses éditions internationales, soit un investissement de 20 millions d’euros par an. L’autre réponse, c’est le développement du brand content et des opérations spéciales comme le Vogue Fashion Festival et le futur Vogue Expérience en 2018.

De son côté, Caroline Pois, directrice générale déléguée du pôle féminin haut de gamme de Lagardère Active, estime que «le secteur du luxe est historiquement le secteur socle de la publicité dans la presse féminine haut de gamme». Elle est le titre qui capte le plus d’investissements publicitaires du luxe en France (cf. tableau). Son top 5? LVMH, L’Oréal, Chanel, Richemont et Kering. Pour elle, cette baisse est conjoncturelle. «Au niveau international, le secteur du luxe a subi les conséquences du terrorisme, de la crise économique, de la volatilité du marché chinois, du Brexit et des élections américaines. Tous ces événements engendrent de fortes incertitudes sur les marchés et donc une contraction du marché», souligne-t-elle. D’un point de vue quantitatif, les investissements bruts du secteur mode et beauté en presse magazine sont en baisse continue depuis 2014. La baisse est surtout marquée sur le segment beauté avec -17% sur janvier-septembre 2017 vs 2016. «Mais pour le magazine Elle, ajoute la dirigeante, c’est le hors captif (alimentaire, boisson et automobile) qui explique la légère baisse du chiffre d’affaires publicitaire. Ces annonceurs se tournent vers la télé et la radio.» L'équipe mise sur des opérations sur mesure en partenariat avec les marques, comme avec Bonpoint dans la boutique dans le 6e à Paris. Une opération spéciale avec Jaguar aura aussi bientôt lieu.

Mais certaines marques boycottent carrément le print pour basculer 100% de leur budget en digital. Un choix fait par Audemars Piguet en 2017. Des marques cosmétiques comme NYX de L’Oréal se sont lancées en 100% social media. Pour Michel Campan, président de McGarry Bowen, agence luxe de Dentsu Aegis Network, l’exemple chinois est à scruter de près: «Aujourd’hui, 40% du luxe est consommé par la clientèle chinoise. Là-bas, le Vogue ou le Elle proposent moins aux annonceurs des insertions dans leur magazine que le développement de communautés d’influenceuses créées et animées autour d’une marque.»

La concurrence des hebdos des quotidiens 

Reste une concurrence à scruter pour les magazines féminins, celle des hebdos proposés par les quotidiens en fin de semaine. L'air de rien, ils grignotent des parts de marché des annonceurs du luxe. La plus belle réussite éditoriale et commerciale? Celle de M Le Magazine avec 276662 exemplaires en diffusion France payée en 2016-2017, soit +3,21% (cf. tableau). «Grâce à ce lancement en septembre 2011, le journal Le Monde a multiplié par sept son chiffre d’affaires publicitaire. Nous sommes très haut en pagination et l’on offre un statut et une puissance aux annonceurs. Forcément, on a pris ces campagnes à d’autres», reconnaît Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde.

Du côté des Echos, Bérénice Lajouanie, éditrice, l'avoue sans fard: «Capter les annonceurs luxe est l’un des objectifs de développement pour notre groupe. Le lancement du magazine Les Echos Week-end répondait à cet objectif: proposer un support pour les marques de luxe, avec lesquelles on avait une petite expérience avec le mensuel Série limitée. En 2017, comme en 2016, nous sommes au-dessus de nos objectifs en pub, mais nous sommes encore en conquête. Les Echos Week-end prouve l’appétence d’une offre qualitative, sur une cible mixte.» Vendu à 128000 exemplaires dont deux tiers auprès d’abonnés, il permet aux Echos d'obtenir un gain de diffusion en kiosques de +40%, voire +50% par rapport aux autres jours. Parer les coups et se réinventer, non plus un luxe mais une nécessité pour les éditeurs de magazines! 

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