Interview
Fins connaisseurs de la vidéo, Giuseppe de Martino et Arnaud Maillard vont proposer avec Johan Hufnagel un nouveau média en ligne, Loopsider, en janvier 2018.

L’avenir de la vidéo en ligne réside-t-il dans la vidéo virale, envoyée sur les réseaux sociaux pour être partagée, commentée et likée ?

Arnaud Maillard : La mécanique de partage est primordiale pour la vidéo en ligne, puisque l’on est passé d’un monde de rareté des contenus à un monde de rareté de l’attention. D’où le rôle essentiel des réseaux, et en partie de Facebook. Il faut en comprendre le fonctionnement, et notamment celui des algorithmes, même si on ne veut pas subir à tout prix ce système. Il ne faut pas non plus céder à toutes les tactiques de « clickbait », de pièges à clic.

Giuseppe de Martino : L’idée de notre projet est plutôt de tirer vers le haut les contenus, et donc le public. Mais nous avons le pragmatisme d’une petite équipe. Reste que ce pas de côté est primordial. D’où notre nom, Loopsider, qui reflète également notre position d’outsider. Prenons l’exemple de cette photo du CRS en feu lors des manifestations du 1er mai 2017, qui avait fait la une des médias : nous préférons l’histoire de son photographe, un reporter syrien, de Raqqa, borgne, blessé par un sniper, travaillant en France et qui ne parvenait pas à comprendre pourquoi on attaquait un policier.

Où en êtes-vous dans la préparation de votre média ?

G.D.M. : Loopsider est encore en phase bêta. Nous testons des numéros zéros, des angles, des formats, avec une partie de l’équipe, qui se compose de journalistes, de designers, de permanents, de pigistes et de prestataires, dont l’agence Upian. Pour l’instant, aux côtés de la société JAG, qui nous réunit Arnaud Maillard, Johan Hufnagel et moi-même, l’actionnariat se compose de Bernard Mourad et Franck Papazian. Avec un investissement de départ d’un million d’euros, le projet peut vivre pendant une bonne période sur ce périmètre-là. Mais nous ne nous interdisons pas d’accueillir de nouveaux alliés si nous sentons que leur intention entre dans nos critères : souplesse, envie d’avancer et compréhension du projet.

A.M. : Bernard Mourad et Franck Papazian ont très vite cru à notre vision éditoriale, qui n’existe pas vraiment sur le marché français, mais plutôt aux États-Unis. En Europe, seul l’opérateur catalan PlayGround s’en approche. Notre idée remonte au début de l’année 2016, quand j’ai regardé des dossiers d’investissements pour le groupe Discovery, où je travaillais alors.

Mais le pure player Brut a démarré avant vous.

G.D.M. : Et nous l’avons vu arriver avec plaisir, c’est une bonne façon d’éduquer le marché. Mais ce sont des anciens de Canal +, donc des gens de télé qui viennent sur le web, univers dans lequel nous évoluions déjà. Ils ont gardé le côté grinçant du Petit Journal, alors que notre modèle est plus du côté de NowThis ou Vox. La force de notre projet réside aussi dans l’équipe, avec ses webdesigners et des webjournalistes qui ont travaillé aux États-Unis, où on leur demandait de surprendre et d’innover, l’inverse de ce que l’on demande dans les médias français.

A l’instar de Brut, envisagez-vous de traiter une première thématique puis d’en ajouter de nouvelles, ou voulez-vous avoir une approche d’emblée généraliste ?

A.M. : Nous voulons parler du monde et des questions que se posent les 18-30 ans, traiter de politique, mais en évoquant la parité, l’environnement et même la géopolitique. Loopsider veut s’attaquer aux sujets qui créent des fractures fortes, générationnelles, ne pas se limiter aux petites phrases. Mais il ne sera pas généraliste : il n’y aura pas de sport ou d’infotainment.

G.D.M. : Il ne s’agit pas de s’adresser seulement au petit écosystème parisien. En faisant notamment du sociétal et en utilisant un outil technologique qui permet d’être présent sur les différentes plateformes pour toucher les millennials, mais aussi les autres générations qui se sont mises au digital. Avec une écriture spécifique pour chaque canal.

Les vidéos se ressemblent souvent, mélangeant info et divertissement, sous-titrées, avec un montage très rythmé. Comment se différencier ?

AM : Tout le monde copie tout le monde. Nous ferons donc le pari du pas de côté. Le format dominant va de 50 secondes à 1 minute 30 ; nous, nous irons du 6 secondes au 6 minutes. Il faut de la variété dans l’offre.

Outre la diffusion de vidéos en ligne, le live représente-t-il une piste pour Loopsider ?

A.M. : Il faut se méfier, et surtout ne pas recréer des talk-shows, cela n’apporterait pas grand-chose au schmilblick. Prendre Rémy Buisine comme l’a fait Brut, c’est très bien. Faire du live pour interagir avec le public a de l’intérêt. Mais si c’est pour faire du sous-BFM TV, à quoi bon ?

G.D.M. : En revanche, nous voulons de l’incarnation, avoir des jeunes reporters capables d’être devant la caméra. Même chose avec les designers, qui auront chacun leur style, pour permettre à l’internaute de les suivre.

Reste-t-il encore de la place sur un marché occupé par des opérateurs, internationaux et français, digital natives et historiques se déclinant en éditeurs de vidéos virales ?

G.D.M. : Nous le pensons, vu l’accueil des annonceurs, des agences, des médias… Nous sommes même étonnés par les demandes de contacts. Preuve que les réponses apportées jusqu’ici ne suffisent probablement pas.

A.M. : Même si le risque de saturation est une vraie question, nous estimons avoir une véritable vision, que nous allons confronter au public.

Outre l’audience, y aura-t-il de la place pour tous sur le marché publicitaire ?

A.M. : Loopsider sera complémentaire des autres opérateurs sur ce plan. On veut plutôt aller vers le programmatique, car dans un contexte assez problématique de brand safety, les annonceurs recherchent pour beaucoup de la sécurité.

G.D.M. : Les marques ont besoin de contenus de qualité pour y associer leur publicité. Mais notre levée des fonds doit d’abord permettre de développer notre marque, son audience. La priorité absolue dans un premier temps ne consiste pas à monétiser cette audience ; convainquons d’abord le marché, et ensuite nous proposerons des contenus de qualité pour le programmatique, plus axés sur le sponsoring.

Sur quels territoires envisagez-vous de vous installer ?

G.D.M. : Notre but est d’imposer notre modèle, de le valider en langue française pour, dans un second temps, aller plus loin. Il est difficile d’exister sur le seul marché domestique. Mais avoir plusieurs bureaux, je sais ce que cela signifie comme perte d’agilité. Notez que PlayGround est resté à Barcelone et est pourtant entré dans le top 10 mondial en utilisant l’espagnol, l’anglais et le portugais.

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