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L’arrivée de la chaîne de sport d’Al-Jazira déstabilise Canal+. Be in Sport s’installe avec beaucoup d’ambition sur l’un des terrains privilégiés de la chaîne cryptée: le sport.

«Quand on gagne, on gagne avec passion». Dans son premier spot publicitaire diffusé le week-end dernier, Be in Sport donne le ton. La chaîne de sport, lancée vendredi 1er juin à 19 heures par le groupe média qatari Al-Jazira, ne vient pas pour participer, mais pour l'emporter. Et comme dans cette compétition, le concurrent s'appelle Canal+, et qu'il a fait du sport l'un des piliers de son succès, autant dire que la bataille sera rude. La chaîne du groupe Vivendi n'a-t-elle pas déjà gagné deux batailles, face à TPS et Orange?

Alimentée par les milliards de dollars des fonds qataris, Be in Sport représente pourtant une tout autre menace pour Canal+. Jeudi 24 mai, dans les salons, archi-combles, de l'hôtel Hyatt de la rue de la Paix à Paris, Nasser Al-Khelaïfi, le directeur général d'Al-Jazira Sport, et le journaliste Charles Biétry, vice-président de Be in Sport France, ont, légèrement, levé un coin du voile.

Be in Sport débute avec un important portefeuille de droits, mais très marqué «football»: intégralité de l'Euro 2012, huit matchs en exclusivité de la Ligue 1 et les deux autres en différé, matchs de la Ligue des Champions et de la Ligue Europa (seconds choix), championnats espagnol, allemand et italien. Derrière, exceptée la NBA, les autres sports sont moins «sexy», avec du rugby à XIII, du volley-ball et du handball... féminin. Be in Sport diffusera aussi le basket, le handball et le tennis des JO de Londres.

 

Vers l'équilibre financier en 2016

Question modèle économique, les dirigeants n'ont pas été loquaces. «Notre objectif est d'avoir autant d'abonnés que possible», a lâché Nasser Al-Khelaïfi. En février dernier, la banque Natixis avait estimé que la chaîne pouvait viser 1,5 million d'abonnés en 2016... avec un tarif mensuel de 22 euros. «A un peu moins de 11 euros, comme cela a été annoncé, ce chiffre sera plus élevé, pourquoi pas entre 3 et 4 millions, confie Jérôme Bodin, analyste chez Natixis. Leur portefeuille devrait également augmenter plus rapidement.»

A ce compte, et avec un coût de grille un peu supérieur à 300 millions d'euros, Be in Sport pourrait atteindre l'équilibre vers 2016, soit «dans quatre ou cinq ans», selon Nasser Al-Khelaïfi. Sur les 11 euros d'abonnement, la chaîne toucherait directement 7 euros. Le reste est pour les distributeurs. «Be in Sport devra essuyer un peu plus de 600 millions d'euros de perte d'ici cette échéance», observe Jérôme Bodin, de Natixis.

Des chiffres qui n'effraient pas le groupe qatari. L'objectif ne serait pas la rentabilité immédiate, mais le rayonnement du pays. La France est le premier pays où se lance Be In Sport, dans un groupe qui possède déjà 18 chaînes sportives sous la marque «Al Jazira Sport». La chaîne Be in Sport nord-américaine s'ouvrira cet été, «avec des droits importants bientôt annoncés», indique-t-on en interne. La cible suivante serait l'Europe de l'Est.

Contrairement aux réseaux continentaux, comme Eurosport ou ESPN, Be in Sport sera multiterritoire, avec des programmations propres par pays. Les synergies avec les chaînes sportives du groupe sont assurées par Frédéric Chevit, l'ancien patron des sports de France Télévisions.

Be in Sport est donc un poids lourd et, en dépit des apparences, une forte crainte semble gagner Canal+. D'autant que la chaîne qatarie préparerait une campagne publicitaire massive (TBWA Paris et OMG) de recrutement. Sur ce point, Natixis estime que le risque de désabonnement pour Canal+ est «limité». Le financier affirme même que les économies réalisées sur l'achat des droits sportifs, une cinquantaine de millions d'euros, permettrait de muscler la programmation de la chaîne dans d'autres genres, en particulier la fiction.

«Nous ne sommes vraiment pas sur le même créneau, martèle de son côté Charles Biétry, de Be in Sport. Canal+ n'est pas une chaîne de sport!» La vision n'est pas la même au sein de la chaîne cryptée, qui accuse Be in Sport d'un «débauchage massif» et a envoyé les huissiers au nouveau siège de la chaîne, à Boulogne-Billancourt, comme l'a révélé Libération. Au total, 22 journalistes auraient fait le transfert. Le match du sport est lancé. Celui de l'info arrive (voir sous papier). Et si Al-Jazira avait aussi des velléités dans le cinéma?

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