L'année des médias 2011
Les séries TV se sont installées dans le PAF et savent faire preuve d’audace, à l’image de Mad Men et son agence de publicité des années 1960. Moins connues, mais plus proches de nous, d’autres séries TV anglo-saxonnes auscultent avec ironie le monde de la communication et des médias du XXIe siècle.

Série américaine au remarquable succès critique et populaire, Mad Men restitue pourtant un univers très éloigné du nôtre dans le temps et l'espace, celui de la publicité aux États-Unis dans les années 1960. «La publicité est un moyen extrêmement puissant pour étudier les mœurs d'une époque, explique Pierre Sérisier, journaliste et écrivain, qui tient un blog spécialisé dans les séries TV (Le Monde des séries) et vient de publier Sériscopie*. À travers elle, Matthew Weiner (créateur de la série Mad Men) raconte les années 1960 de manière beaucoup plus efficace qu'une approche chronologique de la grande histoire. Par ricochet, on s'interroge sur notre époque.»

En France, si l'on connaît bien Mad Men, on méconnaît parfois d'autres séries anglo-saxonnes, diffusées en 2011, qui scrutent d'un œil aiguisé le monde de la communication et des médias de notre temps. Elles décrivent notamment une presse instrumentalisée. «Dans les séries, rares sont celles qui montrent des médias qui jouent le rôle de quatrième pouvoir, estime Pierre Sérisier. Chose étonnante, les Américains n'ont jamais puisé dans l'histoire des deux journalistes du Washington Post qui ont fait tomber Robert Nixon pour créer un feuilleton.»

Diffusée depuis le mois d'octobre 2011 sur la chaîne Showtime (Dexter, Californication, The Tudors, etc.), la série Homeland met en scène un soldat américain qui est l'objet de toutes les attentions médiatiques. Nicholas Brody est en effet revenu au pays après avoir été retenu prisonnier en Irak par Al-Qaida pendant huit ans. «Face aux médias qui font le siège devant chez lui, il n'assume pas son statut de héros au début, raconte Pierre Sérisier. Puis il s'adapte, et c'est son agenda qui détermine alors celui des médias. La télévision américaine est comme convoquée, car celle-ci a impérativement besoin d'images pour rendre compte de l'actualité.»

Ce système de convocation des médias se retrouve aussi dans une autre série qui a commencé au mois d'octobre, la bien nommée Boss, diffusée sur la chaîne Starz (Party Down, Spartacus, etc.). Il s'agit d'une variation sur la vie de Richard Joseph Daley, maire de Chicago pendant plus de vingt ans, transposée à notre époque. Ses petites et grandes manipulations sont dévoilées au fil des épisodes. «Il mène tout le temps le jeu, observe Pierre Sérisier. À la suite d'une affaire de pollution, le maire de Chicago distille des indiscrétions aux journalistes afin que leurs articles mettent l'accent sur le comté voisin dans lequel la pollution s'est répandue.»

Cette vision américaine colle-t-elle à la réalité? «Dans l'affaire DSK, la presse a été convoquée par l'adjoint au procureur, et le site du New York Times a suivi quasiment en temps réel cette conférence», observe Pierre Sérisier. Cette mise en évidence du rôle de caisse de résonance n'est d'ailleurs pas isolée. Avec une approche quasi documentaire, voire ethnographique de la criminalité dans la ville de Baltimore, la série The Wire a été créée par David Simon, ancien journaliste du quotidienBaltimore Sun. Produite par la chaîne HBO (Rome, The Sopranos, Sex and the City, etc.) et diffusée dans l'Hexagone par France Ô sous le nom de Sur écoute, cette série pose des questions cruciales sur le journalisme. Qu'est-ce que le métier de journaliste? Pourquoi certains se contentent-ils de répéter des communiqués de presse? «Dans la cinquième saison de The Wire, David Simon démontre que depuis que les communicants élaborent des stratégies de communication, les journalistes se laissent glisser sur une grande pente, analyse Pierre Sérisier. Le reproche formulé est le suivant: les journalistes ne sortent plus de leurs salles de rédaction, ils ne cherchent plus de sujets, ils les attendent. En creux, si la presse n'enquête pas pour mettre au jour l'information intéressante, elle ne remplit pas son rôle démocratique.»

Un constat similaire est dressé au sujet de la couverture du sport par les médias, comme en témoigne Friday Night Lights. Produite par NBC, l'un des principales chaînes américaines (30 Rock, À la Maison Blanche, My Name is Earl, etc.), cette série a pour décor une ville de l'Amérique profonde et pour sujet le rêve d'une carrière professionnelle dans le football américain. Les radios locales couvrent les matchs de championnat et leurs journalistes ne dévoilent pas le côté le plus reluisant de leur métier. «Le rôle qu'ils tiennent est celui de donneur d'opinion, de commentateur de faits qui n'ont pas d'importance, sans aucune recherche d'information, estime Pierre Sérisier. On peut établir un parallèle avec les émissions de radio françaises sur le football, car on recrée l'illusion du débat démocratique en faisant parler des auditeurs, sans leur donner les informations nécessaires à une discussion argumentée.»
Autre aspect des médias abordé par les séries, l'industrie du divertissement est joyeusement décryptée par Entourage, produite par HBO et diffusée en France par la chaîne TPS Star, qui raconte l'histoire de quatre amis venus de New York pour vivre le rêve hollywoodien. On y découvre les coulisses du milieu du cinéma et de ses médias, en particulier les hebdomadaires Variety (publié par Reed business Information, l'éditeur de Stratégies) et The Hollywood Reporter. Il s'en dégage une vision utilitariste des médias et notamment de leur dépendance aux people. Lorsque le personnage principal, l'acteur Vincent Chase, se retrouve en fâcheuse posture dans la demeure d'un producteur hollywoodien, le premier conseil de son entourage est d'étouffer l'affaire par l'intermédiaire de son attachée de presse.

« - Appelle Shauna pour contrôler l'histoire.

- Trop tard. TMZ a déjà le contrôle.»
Propriété du groupe de médias Time Warner, TMZ est un site Internet people qui s'est fait connaître en étant le premier à annoncer la mort de Michael Jackson en 2009.

Outre les médias, la communication des hommes politiques est un sujet phare des séries TV. Les scandales de mœurs en particulier suscitent un vif intérêt. «Les journaux télévisés ont tendance à transformer en fiction ce genre d'affaires qui passionnent les gens, si bien que les séries TV se nourrissent de ces reportages», considère Pierre Sérisier. Dans Parks & Recreation, une série de NBC qui évoque de manière sarcastique l'activité du service des parcs et des loisirs d'une ville imaginaire en Indiana, plusieurs épisodes raillent ces affaires de mœurs à travers la vie politique locale. L'illustrent des flashs d'information d'une télévision locale. Extrait: «Une nouvelle révélation dans cette interminable histoire. Le conseiller Dexhart aurait aussi eu un rapport avec une prostituée dans une limousine à l'aller et au retour de la conférence de presse au cours de laquelle il s'est excusé d'avoir une liaison.»

Mais les plus mordants en la matière semblent être les Britanniques. Produite par la BBC (Doctor Who, Extras, The Office, etc.), la série The Thick of It (terminée en 2009) met en scène le conseiller en communication d'un Premier ministre anglais, un personnage ressemblant étrangement à Alastair Campbell, qui joua ce rôle auprès de Tony Blair. En filigrane transparaît la question des limites de l'exercice: jusqu'où doit aller un conseiller en communication pour protéger et sauver un homme politique? «Les séries anglaises examinent souvent le risque de perte de libertés individuelles, si l'on ne respecte pas les règles démocratiques», analyse Pierre Sérisier.

Les feuilletons prolongent-ils ce regard critique jusqu'à se projeter dans l'avenir? «Les séries TV sont un miroir de notre temps, elles constatent ses évolutions, mais n'anticipent pas des tendances», juge Pierre Sérisier. Un avis partagé par Ian Edelman, producteur et scénariste américain, qui a travaillé sur Entourage et créé How to Make it in America sur HBO. «Ma série est un portrait du New York des années 2010 et de son centre-ville», souligne-t-il. Celle-ci transpose le mythe américain du «self made man» dans les quartiers des «hipsters» (jeunes branchés) et sa deuxième saison sera diffusée en exclusivité en France par la chaîne Orange Ciné max (bouquet Orange cinéma séries) en février 2012. «Je l'ai écrite afin d'évoquer la vie de jeunes gens qui s'approchent de la trentaine et sont confrontés au passage à la maturité, précise Ian Edelman. Pour autant, c'est une histoire intimement liée à la ville de New York, même si les thèmes abordés s'adressent à chacun d'entre nous. La question de l'identité est au cœur du sujet.»

How to Make it in America décortique ces aspects à travers deux histoires parallèles, librement inspirées de la vie des stylistes Calvin Klein et Ralph Lauren. La principale raconte la création d'une marque de mode, appelée Crisp, par deux jeunes New-Yorkais, tandis qu'en arrière-plan le cousin de l'un des deux tente de faire connaître une boisson énergisante du nom de Rasta Monsta. «Mon but n'était pas vraiment de mettre l'accent sur la publicité, mais puisque les personnages de la série rêvent de créer des marques à succès, le monde de la communication entre en jeu», explique Ian Edelman. Une scène restitue bien cette dimension, lorsque ledit cousin, repris de justice, rencontre pour la marque Rasta Monsta une agence de publicité new-yorkaise, branchée et sophistiquée. Durant un brief hautain, les publicitaires lui conseillent de choisir comme ambassadeur une icône des sports extrêmes:

«Ils font des cascades de folie en portant votre logo. Vous enregistrez la cascade, la diffusez sur Internet. Les gamins font tourner la vidéo à leurs amis, et ça se gère tout seul. Il faut quand même produire la vidéo et compter les frais d'agence, bien sûr. [...] Mais par rapport à une pub TV, ça ne coûte rien. [...] Le plus cher est de payer l'athlète.»

Pour Pierre Sérisier, c'est une fiction de crise, qui pourrait aussi s'appeler «Comment sortir de son Brooklyn natal». À ces séries qui racontent notre société de communication se joindra bientôt Mad Men, si l'on en croit les récentes déclarations de Matthew Weiner au site américain grantland.com. «Je veux qu'on quitte la série à un moment que le spectateur connaît», conçoit-il. C'est-à-dire en 2011. Don Draper, le charismatique publicitaire des années 1960 et personnage principal de Mad Men, aura alors quatre-vingt-quatre ans.

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