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Sacré «personne la plus influente de l'année» par Time magazine le 21 avril, l'ex-responsable marketing de Google Moyen-Orient est un symbole de la révolution égyptienne qui tient à distance sa propre légende.

«La liberté est un bienfait qui mérite que l'on se batte pour lui.» Ainsi tweete Wael Ghonim après sa libération, le 7 février 2011. Ce jour-là, sur la place Tahrir, au Caire, les manifestants exigeant le départ du président Moubarak ont été violemment attaqués. De son côté, le représentant de Google au Moyen-Orient, qui n'est pas encore une icône de la révolution égyptienne, vient de passer douze jours en détention, les yeux bandés. La «twittosphère» s'est mobilisée pour sa libération, et certains militants l'ont désigné comme leur porte-parole.

Wael Ghonim est aussi l'un des administrateurs supposés de la page Facebook «Koulna Khaled Saïd» («Nous sommes tous Khaled Said»), en hommage à un jeune homme battu à mort par la police en pleine rue. Le soir de sa libération, Wael Ghonim est invité sur une chaîne privée égyptienne, Dream TV, pour une longue interview. À la fin, la présentatrice évoque les martyrs de la révolution, un morceau d'oud mélancolique en fond sonore tandis que des photographies de jeunes gens souriant fauchés par la répression apparaissent. «Une jeunesse en fleurs, commente la présentatrice avant de s'interrompre… Ne pleure pas, Wael!» Le jeune cadre de Google est en effet en larmes. Il présente ses condoléances aux familles et quitte le plateau, brusquement. La vidéo sera largement relayée sur tous les réseaux sociaux. Les larmes et la sincérité du jeune homme touchent et sa détermination à poursuivre la lutte contribuera à convaincre ceux qui craignent que le mouvement ne s'essouffle. Son profil, aussi, rassure de nombreux Égyptiens éduqués et des classes plus aisées, qui ne se reconnaissaient pas forcément dans le mouvement. Le lendemain, place Tahrir, face à une foule en liesse, il trouve les mots justes: «Je ne suis pas un héros, je n'ai fait que taper sur mon clavier… Vous êtes les héros.» La foule l'acclame.

Wael Ghonim signe ainsi le début d'une «carrière» internationale. Pour les médias occidentaux qui ont les yeux rivés sur la place Tahrir, il a tout pour plaire. Son profil est plus «exportable» que celui de Mohamed Bouazizi, le vendeur de rue tunisien qui s'immole dans la ville de Sidi Bouzid. Cadre chez Google, «geek» engagé, il parle parfaitement anglais et est marié à une Américaine. Loin du cliché d'un islamiste barbu. Il a aussi le sens de la formule. Le jeune homme parle de «révolution 2.0», dresse un parallèle entre Wikipédia et ce soulèvement participatif où personne n'est un héros. Pourtant, Wael Ghonim devient bel et bien à l'étranger, un peu malgré lui, une icône de la révolution égyptienne.

Obligé de se défendre face aux rumeurs

En Égypte, ce succès éveille quelques jalousies et soupçons. Le héros doit se défendre et indiquer qu'il n'est pas de nationalité américaine. Le 21 avril dernier, le magazine Time le consacre «personne la plus influente de l'année». Le portrait du jeune homme est signé de Mohamed El Baradei, prix Nobel de la paix et opposant égyptien. Ironie: Wael Ghonim fut l'administrateur de sa page Facebook.

Début mai, il annonce avoir signé un contrat pour la publication d'un récit, intitulé Révolution 2.0, à paraître le 25 janvier 2012 chez Houghton Mifflin Harcourt. Ses détracteurs lui reprochent d'utiliser l'image de la révolution à des fins personnelles. On lui prête des avidités multiples: argent, notoriété, ambitions politiques, etc. Wael Ghonim répond, via Twitter, que tous les bénéfices seront versés à des ONG égyptiennes. Depuis quelque temps, il ne souhaite plus répondre aux interviews, faute de temps, dit-il. Il a quitté ses fonctions chez Google pour un congé sabbatique indéterminé et pense lancer une ONG «utilisant les nouvelles technologies pour aider à lutter contre la pauvreté et pour l'éducation.» Ses tweets se font rares.

Le 12 mai, The New York Times révèle que Barack Obama aurait dit à un de ses conseillers, alors que la contestation battait son plein: «Ce que je veux c'est que les jeunes dans la rue gagnent et que le gars de Google devienne président…» Sur Twitter, certains ne trouvent pas l'idée si bête, mais beaucoup s'insurgent. Wael Ghonim tweetera simplement… en arabe: «Dieu te pardonne, Obama, de m'obliger à parler sur du vide.» Et plus clairement: «Et j'annonce que je n'ai aucune intention de présenter ma candidature pour n'importe quel poste public. Cessons de laisser les étrangers semer la zizanie entre nous.»

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