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Usbek & Rica, nouveau trimestriel vendu en librairies, est lancé par un jeune sociologue de vingt-six ans qui a monté un projet mélangeant audace et idées simples.

Tout simplement au culot. Voilà comment Jérôme Ruskin, vingt-six ans, a décroché un texte de Salman Rushdie pour Usbek & Rica, sa revue trimestrielle à paraître le 3 juin. «J'ai trouvé l'adresse e-mail de Rushdie via son agent new-yorkais, la Wylie Agency, raconte Jérôme Ruskin. Je lui ai expliqué que nous partagions des valeurs raisonnables et exaltées, qui ont pour nom liberté et démocratie. Mon discours l'a touché.» Sans doute, car l'auteur des Versets sataniques a autorisé la parution d'une nouvelle, Des hommes du Sud, uniquement publiée dans le New Yorker.

«Lorsque j'ai lancé mon projet, j'étais très naïf par rapport à la création d'entreprise», raconte le directeur de la publication d'Usbek & Rica, diplômé de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) en sociologie politique et des médias. Voilà qui n'a pas duré. Après un master en entreprenariat, le jeune homme commence à démarcher les investisseurs afin de mener à bien un projet qu'il porte depuis des années: «Démocratiser la culture et le savoir. L'EHESS, par exemple, est un kibboutz intellectuel extraordinaire, mais restreint à une élite.» Dans un premier temps, Ruskin pense plutôt à lancer un gratuit – «quoi de plus démocratique ?» –, mais abandonne vite l'idée, «faute de modèle économique». Et voilà qu'apparaît XXI, la revue phénomène de l'éditeur Laurent Beccaria et du grand reporter Patrick de Saint-Exupéry. «Ça a été une bouffée d'oxygène extraordinaire !, s'enthousiasme Jérôme Ruskin. Dès lors, j'ai pris mon bâton de pèlerin, XXI sous le bras.» Le jeune homme le reconnaît: cette revue a défriché le terrain et rendu les investisseurs moins rétifs. D'autant qu'une fois encore, Jérôme Ruskin a une idée simple mais efficace: «J'ai surfé sur la loi Pépin de 2007, qui permettent aux personnes soumise à l'ISF de bénéficier de réductions fiscales si elles investissent dans une entreprise en création.» Autre astuce, tout aussi efficacement simple: le choix d'être vendu en librairie, et non dans les kiosques, ce qui permet de ne pas être confronté aux problèmes d'invendus. «Nous sommes vendus dans 1 200 points de vente très performants, alors que nous serions noyés en kiosques», détaille-t-il.

Deux personnages au regard faussement naïf

«Nous sommes les enfants de XXI», reconnaît le fondateur d'Usbek & Rica. Si l'on trouve chez l'un comme chez l'autre une direction artistique soignée, une grande place faite à la photographie et à la bande dessinée, «XXI est plus journalistique, avec des textes au long, alors que nous nous voulons plus prospectifs et plus analytiques». Au fur et à mesure des pages, deux personnages de bande dessinée guident le lecteur: les fameux Usbek & Rica, protagonistes des Lettres persanes de Montesquieu, ici représentés par le dessinateur François Olislaeger sous la forme d'un rasta à dreadlocks et d'un petit monsieur bedonnant à la neigeuse moustache. «Ces personnages portent sur le monde un regard étranger et faussement naïf, et créent, par leurs joutes oratoires, la contradiction.» Jérôme Ruskin a fixé la durée de vie de la revue, vendue 15 euros et dont l'équilibre est fixé à 22 000 exemplaires, à douze numéros d'ici à trois ans. Et compte faire vivre sa marque, incarnée par les deux compères, sur d'autres supports: ils pourraient faire l'objet d'un film d'animation, «un South Park à la française».

La référence à Montesquieu est décidément maligne. Elle aura valu à la jeune équipe d'Usbek & Rica un autre invité prestigieux: le philosophe Michel Serres, dont Les Lettres persanes est le livre de chevet. «Il nous a accueillis chez lui en pantoufles avec une grande humilité, en nous tendant la main et en disant, “Bonjour, je suis Michel Serres”.» La simplicité, toujours.

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