Programmes TV
Quatre experts en agences médias analysent les grands chantiers des programmes sur les principales chaînes : la fiction, l'information, l'access prime time et les grands divertissements. Les grilles de rentrée passées au crible.

Comment les experts médias jugent-ils les nouveautés de la rentrée TV ? Stratégies en a interrogé quatre à propos des grandes dominantes thématiques des chaînes : la fiction française, le renouvellement de l'info, la bataille de l'access et les grands divertissements. Les points de vue d'Isabelle Vignon, directrice médias de Dentsu Aegis, de Philippe Nouchi, directeur de l'expertise média de Publicis Media, de Philippe Bigot, directeur du département media vidéo de Havas Media France, et de Julien Levy, trading manager chez GroupM.

 

Le boom de la fiction française

 

France Télévisions en a fait un objectif prioritaire d'ici à 2020 : augmenter de 50% sa part dans la production de téléfilms et de séries pour arriver à 600 heures de fiction, avec un budget annuel de 260 millions d'euros. En ce sens, le groupe s'attelle à un futur feuilleton quotidien pour France 2 dans ses studios de Montpellier pour la rentrée 2018. Mais dès à présent, l'offre de fiction est accentuée sur la chaîne avec une augmentation de 11% des soirées dédiées à des fictions inédites et plusieurs nouvelles séries : L'art du crime, Le chalet, On s'aime, Un peu beaucoup... Fanny Rondeau, directrice de l’unité fiction de France 2, évoque une trentaine de série de 52, voire 90 minutes, « soit à l’antenne, soit en production, soit en écriture ». En 2016-2017, les fictions ont rassemblé 4,1 millions de téléspectateurs en moyenne pour 16,1% de PDA, selon France 2, pour une PDA de la chaîne de 12,5% pendant la saison. 

 

Les groupes TF1 et, de façon plus récente, M6 (en version longue), investissent aussi massivement le genre. « C'est une tendance lourde dans le monde », explique Isabelle Vignon (Dentsu Aegis). « On constate une vraie appétence pour les fictions historiques de prestige, les thrillers ou les séries sur le grand banditisme. Les chaînes françaises n’y coupent pas : elles trouvent du savoir-faire, des castings de bonne qualité... Dix pour cent, Sam ou le Secret d’Elise en attestent, la France n’a rien à envier aux séries américaines. L’avantage pour nous, c’est que ce sont des audiences stables en général et l’assurance d’un écrin de diffusion, en cohérence avec nos publicités ». La fiction présente aussi l’atout d’avoir une deuxième vie en télé de rattrapage. « L’offre délinéarisée à J+7 permet 15 à 20% de consommation supplémentaire sur une fiction et de rajeunir le public de dix ans », confiait en juillet Xavier Couture, le directeur général délégué aux programmes de France Télévisions. Pour des mediaplanners qui ont accès à une mesure d’audience 4 écrans de Médiamétrie depuis un an et qui se préparent au « GRP 4 écrans », c’est une donnée clé: « De plus en plus de programmes vont se consommer presque autant sur du replay », constate Isabelle Vignon. « Pour Mr Robot sur France 2, c’est par exemple 60% ». Cet été, le feuilleton Demain vous appartient de la Une a trouvé 20% de sa consommation sur le replay.

 

Depuis qu'il ne peut plus s'abreuver en Mentalist, aux audiences déclinantes aux États-Unis, le groupe TF1 mise donc sur la fiction réalisée en France, sachant que 27 des 30 meilleures audiences de fictions en 2017 ont été des œuvres hexagonales. « La fiction française est un genre en excellente santé. Elle est au cœur de notre stratégie » explique Fabrice Bailly, directeur des programmes de TF1. La chaîne a ouvert le bal le 4 septembre avec La Mante (6x52 mn) avec Carole Bouquet. « Le résultat est décevant », juge Julien Levy (GroupM). « La chaîne aurait dû attendre un peu pour programmer cette fiction prestigieuse ». Il faut dire que la concurrence de L’amour est dans le pré reste rude. Pour la première soirée, TF1 était leader sur les 4 ans et + [23,1%] mais deuxième derrière M6 sur la femme RDA -50 ans [23,2%]. La chaîne en attendait mieux. Elle a baissé ses tarifs publicitaires dans la foulée de la première soirée de 100 000 euros à 82 000 HT en brut pour une diffusion à 21H et pour la coupure durant le 2e épisode, le prix est passé de 110 000 à 75 000 euros.

 

« Même si les chaînes ne gagnent pas à tous les coups, les fictions françaises sont payantes », analyse Philippe Nouchi (Publicis Media). « Elles sont bien faites et inédites : il y a un côté événementiel alors que les gens peuvent avoir déjà vu l’épisode de fiction US. C’est, en outre, l'un des contextes les plus recherchés par les annonceurs : il y a une qualité d’écoute optimale et c’est le signe que la chaîne innove ». Si le genre est ainsi plébiscité, c’est aussi qu’il surperforme sur les femmes de 25-49 ans. « La fiction française est devenue plus audacieuse dans l’écriture et la façon de filmer », reconnait Julien Lévy (GroupM). « Et si Marseille de Netflix n’a pas été un succès sur TF1, la chaîne a l’intelligence d’en faire une locomotive pour TMC, qui la diffusera en intégralité en prime time cette saison ».

 

De même, M6 mise davantage sur ses fictions françaises en prime time cette rentrée. Citons la comédie Quadras (8x52 mn), avec François-Xavier Demaison et le thriller Souviens-toi (6x52 mn) avec Marie Gillain et Sami Bouajila. « La chaîne propose une palette variée d’émotions, de la comédie au drame. Elle est accompagnée d'un médiaplanning adapté, avec des jingles pub en adéquation avec le ton de la série, évalué via un algorithme qui analyse les dialogues. De quoi encore mieux contextualiser le message publicitaire avec un impact supposé renforcé » explique Philippe Bigot (Havas Media). 

 

Guerre de positions dans l'access

 

Autre point fort de la rentrée, la guerre de l’access prime time. Touche pas à mon poste s’annonce plus sage, avec un casting de chroniqueurs experts (Rachid Arhab, Renaud Revel…) et surtout moins débordants tandis que Quotidien se renforce, côté média, avec l’arrivée de Julien Bellver. Quant à la table de C à vous, elle est désormais tenue sur France 5 par la joker Anne-Elisabeth Lemoine, qui ne parvient pas à égaler les scores d’Anne-Sophie Lapix, tandis qu’Yves Calvi prend les rênes de l’access de Canal+.

 

« Quotidien s’impose pour l'instant face à TPMP, mais on ne note pas de mouvement majeur de téléspectateurs. On reste dans la continuité de la saison précédente, côté audience. Il va falloir attendre un peu, pour voir si l’assagissement de TPMP s’installe durablement et si les habitudes de consommation évoluent. Cela se fait toujours lentement, même si la saison dernière, l’installation express de Quotidien a été un contre-exemple » analyse Philippe Bigot (Havas Media). Car du côté de TPMP, certains annonceurs attendent encore la fin du mois pour se positionner, suite aux débordements de la saison dernière. « Si TPMP poursuit sur cette lancée, elle va peut-être grignoter le public de Quotidien », estime Julien Levy (GroupM). « Cyril Hanouna a envie d’attirer un public CSP+ et plus mûr que celui qu’il fédérait l’année dernière ». Philippe Nouchi (Publicis Media) constate de son côté que les annonceurs reviennent sur TPMP mais que la surprise de la rentrée est de voir Barthès devant Hanouna la première semaine, avec 1,4 million de téléspectateurs pour l’un et 1,2 million pour l’autre.

 

Quant à Yves Calvi, qui est la vraie nouveauté de l’access, ses débuts semblent modestes mais le troisième jour de la première semaine a été le plus faible pour Quotidien et TPMP et le plus fort pour lui. Preuve que l’animateur-journaliste a du potentiel ? Isabelle Vignon (Dentsu Aegis) estime que ce choix est habile pour redonner « une identité CSP+ et de fond » à la chaîne et faire oublier « le discrédit sur l’info et le Hanounagate » – comme en atteste aussi l’arrivée de William Leymergie sur C8 -, mais que l’audience de l’émission est plutôt âgée et faible au démarrage, à moins de 200 000 téléspectateurs.

 

Renouvellement dans l’Info

 

Effet de curiosité oblige, Anne-Sophie Lapix s’est imposée le premier jour au JT de France 2 face à celui de TF1, même si la Une a vite retrouvé son leadership la semaine dernière. « C’est un bon transfert », applaudit Isabelle Vignon (Dentsu Aegis) et un choix très judicieux de mettre une femme : « Gilles Bouleau résiste mais je pense qu’elle va prendre aux autres chaînes ». Avantage de la nouvelle présentatrice, elle permet un rajeunissement sensible - 58,8 ans d'âge moyen pour les téléspectateurs contre 60,5 pour ceux qui avaient regardé celui de David Pujadas à la rentrée 2016 – et de conquérir des CSP +.

 

De son côté, David Pujadas reprend le 18-20 heures de LCI avec des ambitions et un bon socle de démarrage (0,8% contre 1,5% pour BFM TV sur la tranche). Mais la matinale de Pascale La Tour du Pin est à 1,6% contre 16,9% pour BFM TV. « Au mieux, ils ne grignotent que quelques dizièmes de points », entrevoit Philippe Nouchi (Publicis Media). LCI n’a pas le format pour challenger BFM TV et les positions sont installées. De son côté, 19h le dimanche de Laurent Delahousse n’est pas vu comme une grande nouveauté. La première émission réalise 10,3% de PDA avant 20 heures, contre 12,7% pour Vivement Dimanche avec Michel Drucker il y a un an.

 

Les cartouches du divertissement

 

Sans surprise, les valeurs sûres que sont Danse avec les stars (TF1) et La France a un incroyable talent (M6) sont saluées par Philippe Nouchi comme de « bons produits fédérateurs et d’image ». L’expert est aussi intéressé par les nouveautés de la Six dans le jeu d’aventure (À l’Etat sauvage, Wild, La Course de survie), la série documentaire (Urgences : la vie au bout du fil) ou l’interview intimiste (Une Ambition intime de Karine Le Marchand avec des stars).

 

Surtout, le retour de La Nouvelle Star (sur D8 en 2015) avec Shy’m qui intrigue. « Je m’attends à une performance dans la moyenne de la chaîne, mais pas à quelque chose de super fort », complète le directeur média, qui rappelle que M6 l’a abandonné il y a deux ans pour une bonne raison. Isabelle Vignon n’y voit pas non plus « la même aura qu’avec Virginie Efira ». Elle craint un essoufflement du format. Idem pour The Voice (TF1) malgré le renouvellement du jury avec M Pokora. Avantage, néanmoins, de ces grands divertissements : « ils ont trouvé leur public, trouvent une deuxième vie très importante en replay, font beaucoup de buzz et sont très repris par la presse people », observe l’experte. 

Encadré

Le spectacle vivant s'épanouit

Les experts s’accordent à trouver les spectacles vivants intéressants, notamment pour les chaînes de la TNT. Les spectacles d’humour, de théâtre et de musique, ainsi que les captations de one man shows sont des occasions de faire de l’image à un coût abordable. « C’est un vrai genre qui a de l’avenir », estime Isabelle Vignon, « il répond à l’envie de vivre l’instant, un spectacle de qualité en live – comme Les Prodiges sur France 2 – donne un sentiment d’appartenance à un moment unique ». Il se prête à la retransmission en direct et en 4K. 

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