Télévision
Et si, au-delà de Cyril Hanouna, la sanction décidée par le CSA contre l'émission «Touche pas à mon poste» était un message adressé à Vincent Bolloré sur un certain modèle économique?

«Disproportionné», «discriminatoire», «inéquitable»… La chaîne C8 a dénoncé avec force la décision du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel), le 7 juin, de la priver de publicité pendant trois semaines dans les écrans autour de l'émission Touche pas à mon poste. Faut-il y voir un «acharnement» qui fragilise la chaîne financièrement, comme le soutient le groupe Canal+? Serait-ce la résultante d’un «deux poids deux mesures» face à NRJ 12, où les scènes des Anges (de la téléréalité) portant atteinte à l’image de la femme n’ont été sanctionnées que par de simples mises en garde, il y a un an? C’est ce que prétend la direction du groupe de Vincent Bolloré, où l’on remarque que c’est la première fois qu’une chaîne est ainsi privée de recettes publicitaires. Pour riposter, TPMP comme Les Guignols ont orchestré des séquences de moquerie contre Olivier Schrameck, le président du CSA (le replay a été retiré). Selon nos informations, Cyril Hanouna a même tenté de convaincre des journalistes de venir participer à une conférence de presse-émission destinée à le disculper. Des «mesures juridiques appropriées» sont bien évoquées par C8, mais, à l’heure de notre bouclage, une saisine du Conseil d’Etat n’était pas à l’ordre du jour.

Prise en compte des motivations économiques

Au sein de la tour Mirabeau, siège du CSA, on reste serein. Les séquences de novembre et décembre derniers sont jugées suffisamment parlantes: la manipulation du chroniqueur Matthieu Delormeau autour d’un pseudo-assassinat et le geste déplacé sur les parties intimes de l’animateur star témoigne d’une antenne non maîtrisée. Mais pourquoi taper au portefeuille publicitaire au lieu d’infliger une simple amende de 50 000 euros, comme le préconisait le rapporteur indépendant? C’est que la loi de 2009 autorise le CSA à prendre en compte les motivations économiques du choix d’une émission et de son style. Or, Cyril Hanouna représente un contrat de 50 millions d’euros par an signé avec Vincent Bolloré, 40% de la diffusion et près de la moitié des recettes publicitaires de cette chaîne au chiffre d’affaires de 138 millions d’euros. Si le coût par émission est de 80 000 euros, le retour sur investissement serait 60 à 100% supérieur.

Une autre séquence dans le collimateur

Autrement dit, la sanction publicitaire est une mesure «fonctionnelle», et pas seulement pécuniaire. C’est l’économie d’une émission visant à faire de l’audience (1) par l’escalade dans les dérapages qui est visée. Et ce, d’autant que ni les mises en garde ni la mise en demeure infligées au préalable n’ont servi à rien. Mais à combien se monte la peine? Hanouna et C8 estiment le manque à gagner à 5 ou 6 millions d’euros, une agence médias nous donne le chiffre de 4,5 à 5,4 millions, le CSA table plutôt sur 2 millions, compte tenu d’un mois de juin déjà boycotté par moult annonceurs. Dentsu Aegis n’a, par exemple, pas levé son gel budgétaire après la séquence jugée «clairement homophobe» par son patron, Thierry Jadot. «L’audience ne se fait pas à n’importe quel prix», observait de son côté Hervé Brossard, président d’Omnicom Media France, qui faisait part d'«interrogations très fortes» de ses clients autour de TPMP. La décision du CSA sur cette séquence, attendue début juillet, frappera au cœur de l’été. Moins névralgique pour la pub.

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