Réalité virtuelle
Ce programme en réalité virtuelle plonge le spectateur dans un univers où il peut rencontrer ses interlocuteurs et écouter leurs histoires, les yeux dans les yeux. La technologie et l’éditorial du projet préfigurent les expériences audiovisuelles de demain. Elles pourraient intéresser le monde de l’événementiel.

L’avenir du reportage audiovisuel s’est installé dans les sous-sols de l’Institut du monde arabe, à Paris, jusqu’au 4 juin. Dans une vaste salle, une vingtaine de personnes, lunettes de réalité virtuelle sur les yeux et casque sur les oreilles, déambulent lentement et en silence. Ce sont les premiers spectateurs d’une expérience audiovisuelle inédite augurant sans doute ce que sera le documentaire de demain. Lancé en test en 2015, et présenté en avant-première à La Rochelle au Sunny Side of the Doc, The Enemy est aujourd’hui un «produit fini» impossible à glisser dans une case de genre.

Muni de son attirail et équipé d’un mini-ordinateur porté dans un sac à dos, je me retrouve, comme les autres spectateurs de la séance, plongé dans un univers virtuel. Contrairement à il y a deux ans, les câbles ont disparu, et je peux évoluer dans l’espace sans contrainte. Je pénètre dans une succession de trois pièces. Chacune d’elle est consacrée à un conflit, au Proche Orient, Salvador et en Afrique centrale. L’immersion est époustouflante.

Il m’interpelle de la main

Sur les murs, dans un cadre, s’affichent des photos. Ces murs résument la situation expliquée par une voix-off et présentent le portrait des deux rivaux. Justement, voici ces derniers qui pénètrent dans la pièce. Ils me frôlent presque. Les deux belligérants se placent debout, face à face, devant moi. Ils me fixent des yeux. L’un d’eux m’interpelle d’un geste de la main. Il me demande de me rapprocher de lui pour l’écouter raconter son histoire. Bluffant.

L’histoire se répète ainsi dans les deux autres pièces. Je peux circuler librement, tourner autour des combattants, regarder leurs tatouages de près. Toutefois, un panneau interdit s’affiche devant moi s’il me vient l’idée de sortir du cadre virtuel ou de quitter les lieux avant la fin de l’expérience. Les autres spectateurs sont représentés par des silhouettes. Pratique pour ne pas se rentrer dedans. L’expérience est incroyable, et les discours de ces hommes deviennent terriblement poignants.

Initié et financé par le pôle Nouvelles écritures de France Télévisions, The Enemy est l’aboutissement d’un long travail éditorial et technique. Cette «expérience» préfigure peut-être ce que sera l’audiovisuel demain. «Nous ne sommes pas dans l’avenir de l’audiovisuel, mais dans l’exploration de certaines solutions pour l’avenir, affirme Antonin Lhôte, chef de projet Nouvelles écritures chez France Télévisions. Il s’agit de vérifier comment les innovations technologiques peuvent être un progrès pour la narration et un vecteur d’émotion». 

Dupliquer cette technologie

Camera Lucida, producteur délégué de The Enemy est dans la même réflexion. Mais, comme la petite société a aussi pris les risques financiers, elle explore également les modèles économiques. Le projet The Enemy devrait «largement» dépasser le million d’euros. «Nous sommes loin des standards de la réalité virtuelle, reconnait Chloé Jarry, patronne des nouveaux médias chez Camera Lucida. Nous regardons évidemment aujourd’hui comment dupliquer cette technologie».

Après avoir ouvert le financement à des institutions canadiennes, la société de production va tenter d’équilibrer son budget grâce aux expositions. Une fois la présentation à l’Institut du monde arabe terminée, The Enemy voyagera aux Etats-Unis, à Boston, puis au Canada. Camera Lucida compte aussi fructifier le savoir-faire qu’elle détient aujourd’hui dans l’expérience immersive. «Nous pouvons envisager des coproductions d’autres expositions utilisant cette technologie», indique Chloé Jarry qui ne ferme pas la porte à d’éventuelles opérations événementielles avec des annonceurs. «Notre cœur de métier est la narration et des projets éditoriaux, mais si des marques viennent nous voir, nous discuterons avec eux», affirme-t-elle.

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