Dossier Régie
Face à l'ampleur de la vague programmatique, les groupes médias reprennent la main sur le sujet pour gagner en flexibilité, accroître leurs revenus et rassurer les annonceurs sur le contexte de diffusion de leurs publicités.

Trop vite, trop haut, trop fort? L'envol du programmatique et la vitesse avec laquelle les technologies se développent dans la publicité digitale empêchent beaucoup d’annonceurs d’avoir une compréhension claire des acteurs et des codes du marché. Dans un gâteau publicitaire digital en progression de 7% en 2016, les achats programmatiques sont désormais majoritaires au sein du display, où ils représentent 639 millions d'euros, soit 53% du display, selon l'Observatoire de l’e-pub SRI-Udecam-PWC. Le phénomène suscite l'euphorie, mais bouscule un secteur qui manque encore d’homogénéité. Il reste à rassurer les annonceurs sur les modes de commercialisation des inventaires et à atténuer la défiance des internautes vis-à-vis de la publicité en ligne. Et aussi à répondre à ceux qui pointent un manque de transparence sur les technologies utilisées.

Un label pour les sites

Le mea culpa de Facebook après la surrévaluation de ses «metrics», dénoncé l’été dernier, et le récent boycott de You Tube par des annonceurs anglo-saxons (250 groupes aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, dont cinq des vingt plus gros annonceurs américains) ainsi que par la filiale britannique d'Havas, en raison d'annonces placées à proximité de contenus faisant l'apologie du terrorisme et de la haine, ont servi d’électrochocs. Depuis, les deux géants du web se sont engagés à s’ouvrir à des organismes tiers pour suivre la qualité de diffusion de leurs publicités et à favoriser la transparence dans l’analyse des metrics qu’ils fournissent. 

De leur côté, les professionnels français se mobilisent autour de la qualité de la publicité digitale avec la création du label Digital Ad Trust. Porté par le CESP (Centre d'étude des supports de publicité) et l'ACPM (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias), il pourra être décerné aux sites dont l’inventaire répondra à des critères extrêmement rigoureux fixés par l’inter-profession (SRI, Udecam, IAB, Geste) autour des cinq thèmes:  la brand safety, la visibilité, la lutte contre la fraude, l’expérience utilisateur et les données personnelles. Selon le Syndicat des régies internet, les premières labélisations pourraient intervenir au début de l’automne 2017… si les travaux avancent comme prévu. L’obtention de ce label sera une valeur ajoutée décisive pour nombre d’éditeurs puisque cela leur permettra de garantir aux annonceurs la qualité et l’efficacité de leurs inventaires, et de se prémunir contre la fraude au clic.

L’ajustement du marché ne dépend toutefois pas du seul respect de ce calendrier. Car les régies ont d’ores et déjà opéré un virage très net en faveur de la revalorisation de leurs inventaires pour garantir une offre beaucoup plus qualitative: optimisation de l’expérience publicitaire et des emplacements avec la suppression des formats intrusifs, développement du native advertising, acquisitions d’outils de mesure de la visibilité, frein de la baisse du CPM (coût pour mille) en favorisant une logique de deals privés, avec un programmatique de plus en plus garanti sur les volumes, le prix et la qualité des inventaires, etc.

L’avènement des plateformes full-stack

L’évolution la plus notable demeure néanmoins la création par certaines régies de leur propre place de marché privée autour d’une plateforme «full-stack» (1) afin d’opérer la vente d’espace programmatique en direct et non plus nécessairement dans les places de marché communes La Place Media et Audience Square. Un désir d’autonomie qui marque une vraie rupture avec leur approche initiale du programmatique et qui devrait avoir pour conséquence la probable fusion des deux places de marché dans un avenir proche, leurs conseils d’administration ayant récemment donné leur feu vert à un rapprochement.

«Le développement par les grandes régies, comme la nôtre, d'une plateforme full-stack est une tendance de fond qui s’inscrit dans la durée, car c’est un pari audacieux qui demeure un défi technologique, déclare Guillaume Charles, directeur général adjoint, chargé du marketing, des études et du digital, de M6 Publicité. Ce choix implique d’internaliser les compétences programmatiques et de mener une profonde réflexion sur l'organisation, ce qui n’est pas donné à tout le monde.» Tous les éditeurs n’ayant pas les moyens de se structurer de la sorte auront donc toujours la possibilité d’être pris en charge par la future plateforme commune issue de la fusion de La Place Media et d’Audience Square.

Avec la technologie full-stack, l’«adserver» et la SSP («supply side platform») de l’éditeur sont regroupés dans le même outil, capable d’opérer dans une logique de «cross device» en vendant du display, de la vidéo et de l’application mobile. «Son principal intérêt est de combiner les procédures de commercialisation en programmatique et les modes classiques, comme la vente directe et les opérations spéciales, et donc d’optimiser la monétisation à travers un yield management global», indique Alix Pandréa, directeur général adjoint, chargé du pôle digital, de Lagardère Publicité, qui réalise plus de 15% de son chiffre d’affaires via le programmatique. Nous sommes d’ailleurs est en train de faire migrer tous nos sites vers App Nexus alors que nous avions jusqu’ici plusieurs “adservers” différents. Cela va nous permettre d’augmenter les CPM nets de la plupart de nos formats publicitaires

Rationalisation des outils

La montée en puissance du full-stack participe de la rationalisation des outils tant souhaité par les annonceurs. «Le sujet est d’autant plus d’actualité pour les éditeurs que les CPM en programmatique sur les emplacements de qualité sont désormais équivalents, voire supérieurs, à des CPM directs», développe de son côté Christophe Blot, le directeur de 3W Régie, spécialiste de l'e-commerce. Autre régie adepte de la solution full-stack, Prisma Media Solutions vient de fêter le premier anniversaire de sa place de marché premium Prismadex, qui met à disposition chaque mois plus d'un milliard d’impressions en programmatique avec une mise en compétition de ses ventes directes rendue possible par la solution de Google sur desktop et de Smart Adserver sur appli mobile. «Nous sommes aujourd’hui disponibles sur tous les écrans et pour tous les formats», se félicite Karine Rielland-Mardirossian, directrice déléguée digital et chief mobile officer de Prisma Media Solutions, tout en précisant que le programmatique pèse dorénavant 35% du chiffre d’affaires global digital de la régie, contre 15% il y a un an. «Grâce à Prismadex [étendu récemment à l'e-mailing], nous sommes en mesure de  répondre aux attentes de nos clients en garantissant la maîtrise du contexte de diffusion de leurs publicités, précise-t-elle. Pour conforter cette logique de transparence et de brand safety, nous avons pris le parti de mettre à disposition nos URL en transparence. Cette stratégie a eu le mérite de rassurer les “trading desks”, car outre le contrôle du périmètre de diffusion, cela leur permet d’optimiser les deals mis en place pour ne retenir que les URL les plus performantes.»

Un cadre très précis de diffusion

La logique de place de marché privé ne laisse pas non plus insensible les agences médias. «Depuis quelque temps, nous avons nous aussi accéléré dans le sens de la “premiumisation” avec différents trading desks afin de créer des “custom private market places” pour le compte de nos clients», explique ainsi Véronique Morael, présidente d’Amplifi, la plateforme trading du groupe Dentsu Aegis Network. Cette approche nous permet de définir un cadre extrêmement précis de diffusion grâce à des moteurs sémantiques qui nous aident à faire des listes prioritaires et des listes d’exclusion sur la base de mots clés pour atteindre les individus que nous souhaitons toucher dans le bon contexte, et ainsi favoriser leur attention et leur engagement.»

En avril dernier, le brasseur Leffe a été le premier annonceur à bénéficier de cette place de marché privée exclusive, créée sur mesure pour sa bière Leffe Royale. La marque a ainsi pu s’adresser plus directement à son cœur de cible, qualifié d’«exigeant, authentique, aventurier, moderne, dynamique et curieux», dans un contexte médias news, mode et lifestyle.

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