Dossier Médias
Les années d'élections présidentielles bénéficient à l’audience des médias généralistes qui couvrent le mieux la politique, mais la publicité ne suit pas.

C’est le paradoxe de l'élection présidentielle: alors que jamais les Français n’ont autant manifesté leur défiance vis-à-vis de la classe politique (les trois quarts des Français jugent les politiques corrompus, selon le Cevipof), jamais les médias couvrant l’actualité politique n’ont obtenu de telles audiences. Ainsi, en presse, Libération et Le Monde ont vu leur diffusion progresser de 5% en mars. Les magazines d’actualité et people ont dopé leur diffusion en mettant en une des personnalités politiques, comme Emmanuel Macron. Paris Match, qui a consacré au candidat d’En Marche quatre couvertures depuis avril 2016, aurait bénéficié d’un bonus de 30 à 50% sur ses ventes dans les kiosques. Les quotidiens sont également gagnants sur internet: «Nous avons reçu 160 millions de visites sur notre site en mars. C’est un record absolu, nous avons battu le niveau atteint en novembre 2015 à la suite des attentats. Et nous progressons en audience entre 5% et 10% durant cette campagne présidentielle, c’est plus que durant la précédente élection», constate Bertrand Gié, directeur des médias numériques du Figaro. 

Des indicateurs au vert

En télévision, l’impact de la campagne se fait encore plus sentir: le débat du 20 mars entre les cinq candidats a propulsé la part d’audience (PDA) de TF1 à 47%, soit 9,9 millions de téléspectateurs, selon Médiamétrie. Des chiffres comparables à ceux d’un grand match de football ou d’une comédie familiale très populaire. Pour l'occasion, la Une a même dépassé les parts d'audience réalisées lors des débats précédant les seconds tours en 2007 (Royal/Sarkozy: 46,9%) et en 2012 (Hollande/Sarkozy: 29,6%). Certes, ces débats d’entre deux tours étaient également diffusés sur d’autres chaînes, mais tout de même… 

De son côté, BFM TV a attiré le 4 avril, lors du débat entre les onze candidats, 5,5 millions de téléspectateurs (28% de PDA), battant ainsi le record historique de la TNT. «Ce soir-là, BFM avait fait un prix spécial pour ses écrans et au regard de l’audience, cela a été une bonne affaire pour les annonceurs» relève  Isabelle Vignon, directrice de l'expertise médias de Dentsu Aeagis Network. Lundi 17 avril, la chaîne d'information leader s'imposait en recevant Emmanuel Macron dans sa matinale de 8h30 à 9h30, suivie par 1,18 million de téléspectateurs (22,4% de PDA). Enfin, le 23 avril, au soir du premier tour, France 2 a battu TF1 en totalisant 5,6 millions de téléspectateurs (24,6% de PDA).

A la radio, l’effet de la campagne présidentielle se fait sentir sur la période janvier-mars 2017 à RTL (12,6%de PDA), où le 5h-7h compte 47 500 auditeurs de plus en un an. Et surtout à France Inter (11,7% de PDA), où Patrick Cohen voit son nombre d'auditeurs augmenter de 143 000, à 1,96 million de personnes, avec une pointe à 2,3 millions pour le journal de 8heures de Marc Fauvelle (+243 000), selon Médiamétrie. De leur côté, France Info et France Culture ont gagné 0,3 point, tandis que RMC s'impose devant Europe 1 avec +0,8 point en un an, à 7,9%. «Nous gagnons 450 000 auditeurs au global et près de 400 000 pour la matinale de Jean-Jacques Bourdin, qui s’est imposée pour les candidats et les politiques comme le lieu où il fallait être. Autant dire que nous considérons déjà avoir réussi notre présidentielle, car tous les indicateurs sont au vert», explique Cécilia Ragueneau, la directrice générale. 

Sauf en publicité

Malheureusement, les recettes publicitaires ne suivent pas toujours l’augmentation des audiences générées par les campagnes présidentielles, contrairement à ce qui se passe pour les grands événements sportifs (Coupe du monde, Jeux olympiques). Les périodes électorales suscitent en effet un certain attentisme des annonceurs. «Lors des années présidentielles précédentes, les investissements publicitaires en télévision ont reculé de 7% à 8% au mois de mai. Nous anticipons cependant un effet négatif moindre cette fois-ci car l’année a bien démarré» précise Isabelle Vignon.

Pourquoi cet attentisme? Les annonceurs considèrent que les débats politiques offrent un environnement éditorial moins propice que des émissions traitant de sujets ayant un lien avec leur activité (Top chef pour l’agroalimentaire, par exemple). Ils sont d’autant plus dans l'expectative que des candidats perçus comme néfastes à la vie des entreprises se trouvent cette année à un niveau élevé dans les sondages. Enfin, ils craignent que leur image ne soit associée à des candidats clivants ou à un camp.   

Finalement, les retombées publicitaires positives liées à l'élection présidentielle sont assez limitées et les médias n’en attendent guère d’embellie économique. Sauf peut-être du côté de BFM TV, qui a constaté une hausse de 0,7 point en un an de son audience de mars (2,9%). A propos du débat du 4 avril, Pierre-Henry Médan, directeur général adjoint de SFR Media, confiait le 30 mars: «Ce ne sera pas une opération bénéficiaire pour nous, mais sur l'ensemble de la campagne présidentielle, les annonceurs savent que les téléspectateurs sont attentifs et impliqués. C'est très valorisant pour les marques.» Toutefois, quand bien même les recettes publicitaires augmentent, elles demeurent en-deçà de la progression des audiences. Pour les grands médias, la question du retour sur investissement de l’élection présidentielle ne se pose pas en ces termes. Une couverture réussie de la campagne renforce l’image des médias concernés auprès des décideurs politiques et économiques. Reste plus qu'à fidéliser les lecteurs et téléspectateurs gagnés à cette occasion.

La campagne sur internet

Jamais les candidats et les médias n’ont autant été présents sur internet durant une campagne présidentielle. Il est vrai que la donne a changé en cinq ans: explosion des chaînes de candidats sur You Tube, émergence de Periscope et de Facebook Live pour les vidéos en direct. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: le 6 février, quelque 680 000 personnes visionnaient en direct sur les supports numériques de BFM TV (Facebook Live, Bfmtv.com, Dailymotion…) François Fillon ripostant aux révélations du Canard enchaîné. Le 21 avril, l’émission 15 Minutes pour convaincre diffusée sur la page Facebook de France 2 a enregistré 728 000 vues juste après sa diffusion. Les sites internet des radios généralistes en profitent aussi. En mars, le nombre de visites sur Rtl.fr a augmenté de 200% par rapport au mois de janvier, les contenus liés à la campagne représentant 36% de l’audience totale du site. «Cette campagne voit des candidats qui n’étaient pas attendus en favoris débouler dans la dernière ligne droite. Ceci peut expliquer un accroissement de l’intérêt pour le suivi en temps réel via le numérique», explique Antoine Daccord, directeur de la rédaction numérique et du développement de RTL.

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