Presse
Les attaques du nouveau président des Etats-Unis n’ont pas réussi à déstabiliser les médias américains. Les audiences culminent et les journaux s’organisent pour défendre la liberté de la presse.

Sur le dessin de Tom Toles, publié mi-février dans The Washington Post, Donald Trump, seul à la tribune, donne une conférence de presse. «Aujourd’hui, Kellayne Conway [sa conseillère] et Sean Spicer [porte-parole de la Maison-Blanche] sont disponibles pour les questions», lance-t-il. Mais en y regardant de plus près, on se rend compte qu’aucun journaliste n’assiste à l’événement. Seule Kellayne Conway interroge le président: «A quel point votre victoire était-elle impressionnante?» Si la scène est fictive, elle n’en est pas moins réaliste. Le mois dernier, Donald Trump a franchi un palier supplémentaire dans sa relation conflictuelle avec la presse. Plusieurs grands médias, comme The New York Times et CNN, régulièrement accusés par le président de relayer de «fausses informations» et d’être «malhonnêtes», n’ont pas eu le droit d’assister au briefing quotidien du porte-parole de la Maison-Blanche. Quelques jours plus tôt, Donald Trump qualifiait ces mêmes médias d'«ennemis du peuple». Des mots forts qui n’ont pas tardé à déclencher une vague d’indignation à travers le pays. «Les Américains s’inquiètent des attaques contre les journalistes, estime Ken Doctor, analyste des médias. Pas tous, bien sûr, certains préfèrent croire Donald Trump, mais beaucoup veulent s’informer correctement et soutenir la presse.»

Croissances sans précédent

Contrairement à ce que veut faire croire Donald Trump, les médias n’ont pas à se préoccuper de leur audience. La presse traditionnelle enregistre, depuis la campagne et les attaques du milliardaire, une augmentation de ses abonnés. «En six mois, entre le 1er octobre 2016 et fin mars 2017, The New York Times estime qu’il aura enregistré 500 000 nouveaux abonnés, principalement sur internet, indique Ken Doctor. C’est une croissance sans précédent.» Sur le dernier trimestre 2016, le titre a gagné 25 000 abonnés, un record depuis six ans. Les autres médias ne sont pas en reste. Le magazine The New Yorker, par exemple, a vendu, durant le seul mois de janvier dernier, 100 000 abonnements. Une augmentation de 300% par rapport au chiffre enregistré un an auparavant. Du côté des télévisions, même constat. CNN a observé une augmentation de 77% de son audience en 2016 par rapport à 2015, du jamais vu.

Ton plus direct

Dans cette guerre avec l’administration Trump, les médias sont loin d’abandonner la partie. Ils essaient d’ailleurs de s’adapter au style de la Maison-Blanche. «Il y a quelques jours, je discutais avec Dean Baquet, le directeur exécutif du New York Times, raconte Ken Doctor. Il m’expliquait qu’en 2004, alors qu’on accusait le candidat [démocrate] à l’élection présidentielle, John Kerry, d’être un lâche, les journalistes ne savaient pas comment écrire que c’était faux. Aujourd’hui, ils ne se posent plus de questions, ils le disent de but en blanc.» Depuis l’élection, et les «faits alternatifs» de la Maison-Blanche version Trump, les médias emploient un ton bien plus direct. «Les mots et le style sont plus simples, on parle franchement au public, sans filtre, détaille l’analyste des médias. Les journalistes sont plus agressifs. Et pour faire du bon travail, vérifier les faits et chercher la vérité sur Trump, les rédactions n’hésitent pas à recruter des reporters.» En décembre dernier, The Washington Post annonçait sa volonté d’embaucher environ soixante nouveaux journalistes.

Entraide

Pour la première fois en sept ans, The New York Times a diffusé, dimanche 26 février, le soir de la cérémonie des oscars, un spot télévisuel. «La vérité est plus importante que jamais aujourd’hui», peut-on lire à la fin de la publicité. Une façon directe de contrer les accusations de «fake news» du président Donald Trump. «Les journalistes doivent se concentrer sur les faits et la vérité», affirme Bernie Lunzer, ancien journaliste et actuel président de la News Guild, le principal syndicat de journalistes des Etats-Unis. Les récentes révélations du Washington Post sur Jeff Sessions – le ministre de la Justice est accusé d’avoir dissimulé, lors de son audition devant le Sénat, ses rencontres avec l’ambassadeur de Russie aux Etats-Unis – l’ont d’ailleurs poussé à se retirer de l’enquête sur les ingérences russes au cours de l'élection présidentielle. «Quoiqu’on en dise, et même s’ils sont contestés par Trump, les journaux sont toujours influents, précise Ken Doctor. On ne peut pas nier le pouvoir de la presse.» Mais les médias pourront-ils toujours avoir accès à l’information? «Quand le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, a interdit à certains médias d’assister au briefing quotidien, on a vu naître une collaboration entre les journaux, rappelle Bernie Lunzer. L’ agence américaine Associated Press, l'hebdomadaire Time Magazine ou le quotidien USA Today ont boycotté la réunion pour soutenir leurs collègues.» Si, généralement, les médias sont en compétition pour révéler en premier une information, «aujourd’hui, ils réagissent à une menace et ils s’entraident». 

Quand Marine Le Pen s'en prend aux médias

Marine Le Pen est l’invitée de France Info, ce 13 mars. Elle revient sur l’interview d’Emmanuel Macron, la veille sur TF1, par Anne-Claire Coudray, qui «le mangeait des yeux», dit-elle. Elle reproche encore une fois au candidat d’En marche, qui a réuni 6,96 millions de téléspectateurs et 27,6% de l’audience ce soir-là, d’être soutenu par les médias.  Au 20 heures de TF1, le 22 février, où elle avait réalisé un score de 5 93 millions de téléspectateurs (24,6%), elle avait lancé les mêmes accusations. Patrick Drahi (BFM TV, RMC, L’Express…) opèrerait une sorte de « renvoi d’ascenseur » après le rachat de SFR en 2014 et l’arrivée d’Emmanuel Macron à Bercy, lorsque fut abandonnée toute question fiscale sur la domiciliation de ses avoirs. Gilles Bouleau n'a pas réagi : « Les questions sur les médias, qui participent à la fabrique de l’opinion, sont légitimes, indique-t-il à Stratégies, mais j’ai pensé que Drahi c’était un peu loin pour le téléspectateur ». Après les attaques de Fillon contre le « tribunal médiatique », la remise en cause des médias, elle, ne s’est jamais aussi bien portée.

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