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Pour toucher une audience plus jeune et créer de l’engagement, les marques sont de plus en plus nombreuses à investir You Tube avec des opérations de brand content. Un nouveau terrain de jeu qui n’est pas sans risque.

Sous la pancarte «Meet-up», six petits cabanons contenant chacun un youtubeur. A la manière du Salon du livre, il faut faire la queue pour décrocher une dédicace, ou plutôt un selfie, que ces «jeunes talents du web» réalisent à la chaîne pour contenter des milliers d’ados hystériques, le smartphone brandi à bout de bras ou de stick. Nous sommes au salon Video City, le premier festival des youtubeurs en France, qui a réuni les 7 et 8 novembre porte de Versailles, à Paris, 160 contributeurs vedettes de la plateforme vidéo You Tube, quelque 35 000 visiteurs et 20 sponsors, dont Fanta et le Crédit mutuel.

Référents de la nouvelle génération, un peu «geek» et surtout ultra connectée, les youtubeurs sont devenus en quelques années les protagonistes d'un véritable phénomène culturel et mondial, dont les marques se sont peu à peu emparées. Difficile de connaître le nombre exact de ces jeunes qui racontent leur quotidien sur leur chaîne You Tube.  En France, 47 youtubeurs comptent plus d’un million d’abonnés, mais nombreux sont ceux rassemblant tout de même des dizaines voire des centaines de milliers de personnes, pour une audience totale de You Tube en France de plus de 22 millions de visiteurs uniques par mois (Médiamétrie Net Ratings).

«Au départ, ces talents sociaux étaient cantonnés à l’univers digital. C’est à partir du moment où ils sont sortis du web pour se diversifier sur scène, à la télévision ou dans l’édition que les youtubeurs, et les communautés énormes qu’ils drainent, ont commencé à susciter la convoitise», raconte Nicolas Juhel, responsable digital de Coca-Cola France. Fanta s’est ainsi tourné vers le youtubeur star Norman pour promouvoir son opération #Fotobomb et son site consacré à l'humour et au divertissement In da play. Gemey-Maybelline a créé avec Enjoy Phoenix une web-série hebdomadaire autour du maquillage «T’as pas du gloss». Parmi les autres marques à avoir monté des opérations de brand content sur la plateforme vidéo, 3 Suisses (avec la youtubeuse Coline s'en mêle), Estée Lauder (avec Sara Sabaté) ou encore Tampax (avec Caroline et Safia).

Carrefour d'audience

«Pour Fanta, les youtubeurs représentent l’intégralité de notre communication digitale. Nous avons compris que You Tube faisait partie du quotidien de notre cible des 12-19 ans», justifie Nicolas Juhel. «Pour les 15-25 ans, ce n’est plus la télé qui fait les marques, le pouvoir est entre les mains des passionnés. Celles qui ne sauront pas s’emparer de ce phénomène du marketing de l’influence sortiront du radar de toute une génération», prévient de son côté Thomas Owadenko, fondteur et CEO de la start-up Octoly, qui propose aux marques d’envoyer leurs produits aux youtubeuses beauté en contrepartie d’une vidéo. «Les youtubeurs ont acquis une surface d’exposition au même titre qu’un média. Dans un contexte de fragmentation de l’audience, You Tube est devenu un vrai carrefour, particulièrement sur une cible jeune», ajoute Julien Féré, directeur des stratégies chez KR Media.

C’est d’ailleurs dans cette logique que TF1 a recruté la plus grande youtubeuse beauté française, Enjoy Phoenix, dans son programme vedette Danse avec les stars. L’occasion pour la chaîne de faire rayonner sa marque-programme bien au-delà du petit écran et fédérer ainsi une audience plus jeune. «On considère Marie Lopez [le vrai nom d’Enjoy Phoenix] au même titre qu’une personnalité issue du cinéma, du théâtre ou de la chanson. Nous n’avons aucun mépris pour les personnalités issues des réseaux sociaux», assure Frédéric Pedraza, directeur des programmes de flux chez TF1 Production.

Puissance et ciblage

Placements de produits, webséries, création d’une chaîne: les marques disposent de toute une panoplie sur You Tube pour mener leurs opérations de brand content. Des partenariats bien plus lucratifs pour les youtubeurs que la diffusion de pré-roll vidéo, pour laquelle You Tube leur reverse 55% des revenus, et bien plus engageants pour les marques qu’une communication digitale classique.

Pour une opération comme «T’as pas du gloss», une websérie de 52 épisodes dans laquelle Enjoy Phoenix se transforme en ambassadrice des produits Gemey-Maybelline, comptez un budget de «plusieurs centaines de milliers d’euros», chiffre Ronan Dubois, directeur général adjoint en charge des stratégies globales et de la création de M6 Publicité. Grâce à ce programme, Gemey-Maybelline a multiplié par trois le nombre d’abonnés à sa chaîne You Tube (173 000 aujourd’hui). Une façon aussi pour L’Oréal, sa maison mère, de collecter des données précieuses sur cette cible pour ensuite s’adresser à elle via des messages diffusés sur d’autres sites (retargeting).

«You Tube n’est pas un média extrêmement rémunérateur, mais c’est une plate-forme très puissante qui permet à une marque de toucher une population ciblée très rapidement», estime Nicolas Capuron, directeur de M6 Digital Talents, l’entité du groupe pour la création de chaîne sur les plates-formes de vidéos en ligne. Pour offrir aux annonceurs un ciblage encore plus fin, le groupe M6 a créé ces dernières années des chaînes thématiques, comme Golden moustache pour l’humour, Rose Carpet pour les jeunes filles de 15 à 25 ans, No Pain No Game sur le jeu vidéo ou encore Cover Garden pour la musique. Selon nos informations, une deuxième chaîne féminine, en direction d'une cible un peu plus âgée (25-35 ans), sera lancée d’ici la fin de l’année, voire début 2016. Objectif pour le groupe M6: aller chercher les annonceurs de l'univers du luxe, moins enclins à aller sur Rose Carpet en raison de sa cible jeune. 

«Aujourd’hui, il y a une vraie diversification des influenceurs sur You Tube, qui étaient pendant longtemps sur le LOL et la beauté, et qui désormais se développent dans d’autres domaines, comme le coaching dans le monde du travail ou les animaux», constate Solène Le Grignou, directrice du pôle social media chez Isobar.

Finesse et vérité

Autres tendances en plein boom, les tutos cuisine, réalisés à partir d’une petite caméra fixée au-dessus de la plaque de cuisson, ou encore l’«unboxing» (le déballage), qui consiste à se filmer en train de déballer ses cadeaux de Noël. Autant de terrains de jeu que les marques ne demandent qu’à investir, via des placements de produits.   Difficile de savoir combien se monnaie ce type de contrat. Chez les youtubeurs, on ne parle pas d’argent et aucun d’eux n’a consenti à répondre à nos questions. Selon Le Monde, un placement de produit peut coûter jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros pour les youtubeurs les plus influents.

Mais gare au «You Tube faux pas». «Il y a un vrai affect entre le youtubeur et sa communauté. Cela peut être compliqué pour une marque de venir s’inscrire dans cette histoire-là. L’annonceur doit savoir faire des concessions sur le ton, les formats, la manière de prendre la parole pour rester vrai et respecter la communauté», note Nicolas Juhel, de Coca-Cola France. «La relation avec les marques est un sujet assez sensible. Moins le youtubeur va parler du produit, plus l’opération sera efficace», ajoute Antoine de Tavernost, fils du président de M6 et responsable du développement commercial de l’agence Live by GL Events, qui a organisé le salon Vidéo City. «Un youtubeur qui se transforme en pancarte publicitaire risque de voir sa communauté lui tourner le dos. En ce qui concerne la marque, il faut l’aider à choisir le bon youtubeur, et surtout dire quand il s’agit de brand content», insiste de son côté Ronan Dubois, de M6 Publicité. 

La webstar Cyprien l’a appris à ses dépens, lui qui s’est fait épingler par la presse et sur les réseaux sociaux pour publicité déguisée. «Dotés de communautés hyperactives, les youtubeurs sont conscients que si les buzz les ont propulsés, l’effet bad buzz n’est jamais bien loin, explique Stéphane Bouillet, PDG de l’agence Influence 4 you. Pour un youtubeur, recommander une marque ou un produit est plus engageant que pour un acteur qui joue un rôle dans une publicité: le youtubeur raconte son quotidien, ce qui sous-entend qu’il a vraiment testé le produit.»

Esprit critique autorisé

Pour éviter ce type de désagrément, certaines marques, particulièrement dans le secteur de la beauté, privilégient une approche proche des RP, en envoyant gratuitement leurs produits aux youtubeurs afin qu’ils en parlent, librement, auprès de leur communauté. «Nous considérons les youtubeuses beauté comme des journalistes, non comme des relais publicitaires. Elles peuvent donc critiquer comme elles l’entendent les produits, l’important est que l’on parle de la marque», assure Thomas Owadenko, d'Octoly.

 

Reste que toute marque n’a peut-être pas intérêt à mener des opérations de brand content sur You Tube. «C’est compliqué pour les marques qui ont un enjeu d’image fort. En entrant dans la conversation, la marque contrôle moins le message qu’avec un contrat d’égérie, et ce type de communication empêche la mise à distance, la part de rêve, propre aux marques de luxe», analyse Julien Féré, de KR Media. «Pour le moment, You Tube s’adresse davantage à la nouvelle génération et il ne faut pas que l’effervescence de ce nouveau canal nous fasse oublier nos consommatrices “classiques”», renchérit Tala Chakargi, responsable communication France et Europe de Make Up for ever. Et Julien Féré de renchérir: «Même sur des cibles jeunes, You Tube ne remplacera jamais un carrefour d’audience comme Secret Story Surtout si Squeezie, l’un des plus grands youtubeurs français, intègre un jour la «maison des secrets»…

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