Société
Plaidoyer pour une mise en réseau des cerveaux humains, en réponse au diktat de l’intelligence artificielle.

Nos sociétés vivent depuis vingt ans l’avènement du numérique et semblent pourtant le découvrir encore. Cette révolution est d’abord un accélérateur de la performance économique mais la communication tient une place essentielle, fondatrice au cœur de ce développement. Transmettre des ordres, des informations, stocker des fichiers de plus en plus gros, traiter des flux de plus en plus riches dessinent jour après jour, de nouvelles frontières.

En éliminant les frontières tangibles de l’espace et du temps, notre monde numérique a remis en cause les vieux schémas de gouvernance. Autrefois, tout paraissait, en apparence, plus simple : les corps constitués ou intermédiaires pouvaient, en cas de crise aiguë, servir de référents et proposer aux différents acteurs un langage commun. La France et son héritage centralisateur n’a pas échappé à ce chambardement. Les Gilets jaunes sont l’une des formes d’expression de ces secousses. Ils illustrent dans la vie réelle le fonctionnement d’une partie du monde virtuel : dénonciation, revendication, insulte, complotisme, se mêlent à l’inquiétude engendrée par un environnement d’autant plus inquiétant qu’il n’est pas compris. L’ignorance nourrit la peur qui est naturellement le carburant de la violence.

Météorites incontrôlables

En réagissant à des sollicitations et des impulsions désordonnées, en se précipitant sur les vérités comme sur les mensonges – les fake news se diffusant parfois plus rapidement que les informations véritables –, nos sociétés sécrètent une multitude de ces aléas. Cela fonctionne comme une pluie de météorites incontrôlables. Pour y répondre, il faut donc inventer une nouvelle agilité, de nouveaux boucliers et, surtout, une nouvelle stratégie.

Dans ce processus de reconstruction indispensable, la technologie tient une place essentielle. Le numérique, parce qu’il progresse vite, est souvent considéré comme un totem devant lequel on se prosterne tout en s’en méfiant. Dernier avatar, nous serions dès aujourd’hui, et encore plus demain, les esclaves de l’intelligence artificielle. On entretient la fascination et la terreur devant des algorithmes censés nous éliminer. Et pourtant les outils de la technologie ne sont que des outils. 

Intelligence supérieure

À lire certains propos, on pourrait presque se croire revenu au temps de Gutenberg, quand une partie de la société se persuadait que le livre serait la fin du monde. Quand Diderot et les encyclopédistes prirent la mesure de l’immensité des connaissances de leur temps, ils comprirent qu’un intellectuel au 18e siècle ne pourrait, contrairement à tous les Pic de La Mirandole de la Renaissance, posséder à lui seul l’ensemble des savoirs. Pour permettre à l’être humain de rester au centre, ils créèrent un magnifique outil : l’encyclopédie. C’était la première manifestation de l’intelligence collective. 

Cette idée d’intelligence collective est une notion à laquelle j’ai toujours été attachée, convaincue de sa pertinence et de son efficacité. Les recherches récentes menées par les spécialistes des sciences cognitives, par les anthropologues, les chercheurs en neurosciences en font une démonstration fondée sur des preuves mesurées. Il est désormais scientifiquement acquis que les cerveaux humains, en s’assemblant, peuvent produire une intelligence supérieure. Il y a quelques mois, dans un essai salubre, Supercollectif, Émile Servan-Schreiber montre combien la mise en réseau de l’intelligence porte la pensée à un niveau de puissance encore inexplorée : on sait aujourd’hui mesurer le QI d’un groupe. 

Cette intelligence progressive ne naît pas spontanément. Il faut plusieurs facteurs pour la faire apparaître. Le premier facteur paraît évident mais n’est pas toujours mis en acte : il faut beaucoup de diversité des points de vue. Diversité de formations, de parcours, d’expériences… Le second repose sur l’originalité des points de vue. Il y a un conformisme de l’anticonformisme mais le refus des préjugés est un élément essentiel. Le troisième est que le groupe ne peut se développer que dans un cadre propice, ouvert, ignorant les silos. À travers ces premiers éléments (il y en a d’autres) on voit bien se dessiner ce que peut être, ce que doit être une communication multipolaire, expression de cette intelligence collective.

Car face aux enjeux proposés par un monde dont la complexité s’accroît, la réponse n’est pas l’enfermement, face à cette multiplicité d’éléments imprévisibles, la réponse n’est pas un surcroît de verticalité, face à l’émergence de l’aléa comme un facteur de construction de notre quotidien, la réponse n’est pas la peur et la violence. Comme toujours, la réponse est humaine, et la plus belle et la plus efficace est la mise en commun des ressources individuelles. Cela s’appelle l’intelligence collective et c’est une réponse optimiste et efficace à tous les défis que nous propose l’avenir. 

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.