Tourisme d'affaires
Le tourisme d'affaires est la locomotive pour les grands groupes hôteliers en Afrique. Un marché en plein essor qui attire les convoitises, en particulier en Afrique subsaharienne.

L’Afrique serait-elle la nouvelle terre promise pour l'hôtellerie d'affaires ? Marriott, leader sur le marché, va relever son parc de 50 % pour atteindre 200 hôtels en 2023. En juillet, le français AccorHotels annonçait rien de moins que la création d’un fonds de 1 milliard de dollars avec le qatari Katara Hospitality. L'américain Radisson passera de 90 à 130 hôtels en 2022, année où l’africain Azalaï, lui, aura doublé de taille… Bref, le secteur de l'hôtellerie est en ébullition sur le continent africain. Selon le rapport annuel de W Hospitality Group, on dénombre 76 000 chambres en Afrique en 2018, pour un total de 418 hôtels, soit une hausse de l’activité de 14 % comparée à 2017. En 2009, le continent totalisait 30 000 chambres et 144 hôtels. Par rapport à 2014, année d’accélération, le marché a doublé. La zone la plus active est l’Ouest, avec une part de marché passée de 42 à 48 % de 2017 à 2018, suivie de l’Est, qui a bondi de 23 à 29 % sur la période, quand le Sud a reculé de 30 à 19 %. Le podium des pays recensant le plus de chambres est occupé respectivement par l’Égypte, suivie du Nigeria et de l’Éthiopie. Ce pays a connu un vrai bond en 2017, passant de 20 à 31 hôtels, poussé par le français AccorHotels et l’américain Hilton, mais aussi la chaîne locale Latitude. Elie Rebeiz, business developper de l’agence Les Barbus, installé au Sénégal, confirme ce dynamisme depuis le Sénégal. Il remarque aussi un «shift» depuis les années 90 : «Le pays était une destination touristique avec Fram, Club Med et le Paris Dakar, mais le secteur s’est effondré dans les années 2000 avec la structuration du marché au Maghreb. Depuis 2010, on voit clairement un boom des voyages d’affaires». La Côte d’Ivoire et son célèbre Hôtel Ivoire à Abidjan (qui accueille nombre de rendez-vous internationaux, comme le sommet Union africaine-Union européenne en novembre 2017), confirme la tendance. Que ce soit chez Hilton, Radisson ou l’acteur local Azalaï, on constate que l’essentiel de la clientèle est composée de femmes et d’hommes d’affaires. 

L'Afrique terre promise pour l'hôtellerie

«Les opportunités de développement en Afrique sont en hausse, en particulier dans deux régions. La première correspond schématiquement au golfe de Guinée et s’étend de la Côte d’Ivoire à l’Angola tandis que la seconde s'inscrit dans un axe oriental menant de l’Éthiopie à l’Afrique du Sud», confirme Philippe Doizelet, associé chez Horwath HTL France, qui voit dans l’essor actuel les conséquences d’une «offre sous-dimensionnée en nombre et en qualité». Une réalité héritée de l’histoire récente de l’offre sur le continent et plus largement corrélée au contexte macro-économique du secteur. «L‘activité hôtelière moyen et haut de gamme a connu trois étapes majeures en Afrique subsaharienne: l’époque des pionniers avec le développement de chaînes liées directement aux compagnies aériennes comme les Hôtels Méridien (filiale d’Air France) ou Golden Tulip (filiale de KLM), à laquelle a succédé une période transitoire», éclaire Philippe Doizelet. Une époque qui voit alors un certain nombre d’hôtels être directement gérés par les États. «Depuis la moitié des années 2000, les chaînes sont confrontées à un plateau de développement, en Europe et aux États-Unis plus particulièrement, et sont à la recherche de nouveaux débouchés», poursuit-il. 

L’Afrique fait alors rapidement office de terre promise, une tendance soutenue par le développement démographique et économique du continent (investissements chinois dans les mines, montée en puissance de secteurs comme les télécoms, la banque, la santé ou encore l’agroalimentaire...) et «des rapports longtemps bilatéraux devenus progressivement multilatéraux». Cette nouvelle donne, associée à un taux de croissance moyen des flux de voyageurs de l’ordre de 6% par an, joue en faveur d’une offre plus robuste et de demandes plus qualitatives. «Il ne faut jamais perdre de vue le fait que contrairement au tourisme, l’hôtellerie d’affaires représente une demande induite», souligne Philippe Doizelet, qui estime qu’un «modèle vertueux s’est engagé» dans ce domaine avec la fonction réunions, congrès et séminaires comme «catalyseur de l’offre»

135 millions de voyageurs en 2030

Car si tous les hôteliers se ruent en Afrique, c’est qu’il y a une bonne raison. À commencer par une clientèle d’affaires importante à satisfaire. Et ensuite parce qu’une fois ces bases construites, viendra l’An 2 du tourisme: le mass market. D’ici-là, les professionnels s’attendent à 135 millions de voyageurs en 2030, portés par une urbanisation plus importante. On attend ainsi 15 villes dépassant les 5 millions d’habitants, des «villes clés» au centre de la stratégie de Radisson, comme l’explique Erwan Garnier, directeur du développement Afrique subsaharienne de Radisson Hotel Group: «Notre plan est d’installer plusieurs hôtels dans la même ville, pour réaliser des économies d’échelle sur les ventes, les achats, le marketing, le recrutement…» Car on ne construit pas un hôtel en Afrique comme en Europe. «L’entrée sur le marché est compliquée en raison du coût de développement très élevé», témoigne-t-il. Manque d’infrastructures, besoin d’importer «90% des matériaux pour construire l’hôtel», coûts de douane «importants», sans oublier l’accès aux financements, «beaucoup plus compliqués, avec des taux d’intérêt de 6 à 10% et même 30% au Mozambique, ce qui rend nécessaire de trouver le bon partenaire local». Le prix d’un hôtel Radisson: 20 à 40 millions d’euros. Ajoutez à cela le manque d’entreprises de BTP compétentes pour ce genre d’ouvrage complexe, la spéculation immobilière dans les grandes capitales faisant flamber le foncier et la durée des travaux... Autant de facteurs qui peuvent en dissuader plus d'un.

Un secteur fonctionnant par capillarité

«La plupart des chaînes hôtelières entrent dans un pays avec leur marque phare, généralement haut de gamme, avant d’ouvrir des hôtels de milieu de gamme par la suite, lesquels sont plus faciles et rapides à construire», observe Trevor J Ward, managing director de W Hospitality Group, appuyé dans ses propos par Philippe Doizelet, qui évoque «un secteur fonctionnant par capillarité, la croissance des flux entraînant une diversification de l’offre et le développement d’établissements de standing moindre ainsi que dans les villes secondaires». Même son de cloche du côté de Philippe Gauguier, directeur associé d’In Extenso TCH (Deloitte), qui, au-delà du tourisme d’affaires intéressant les clientèles européenne, chinoise ou issue du Proche et du Moyen-Orient, souligne aussi «le développement actuel des échanges régionaux».  Deux flux majeurs de clientèle qu’il faut être en mesure de satisfaire.
Dans ce contexte, le marché du haut de gamme (quatre et cinq étoiles, palaces) reste majoritairement préempté par les groupes internationaux, au premier rang desquels figurent des acteurs comme Marriott International, Hilton, AccorHotels, Radisson Hotel Group, Louvre Hotels Group ou encore Kempinski et Hyatt. Qui, chacun à leur manière, se déploient sur le territoire. «Radisson est très dynamique à travers trois marques et une organisation qui épouse les deux régions précitées. Il s’agit avant tout d’un développement organique», commente Philippe Doizelet. «Marriott, qui n’a pas encore misé sur le segment trois étoiles, affiche une stratégie un peu différente en procédant notamment par acquisitions, à l’image des rachats de Starwood et Protea», analyse-t-il. Hyatt, pour sa part, reste «développé autour de sa marque principale», sauf à Dakar où il dispose d’un Hyatt Centric, «une marque à consonance urbaine qui ne va pas sans rappeler la gamme Radisson Red». Via sa marque phare, Hilton est «principalement présent dans les capitales d’affaires avec un côté très institutionnel lié aux réunions et autres conférences internationales», ajoute-t-il. Acteur historique sur le continent, «AccorHotels est l’un des premiers à être présent de manière très large sur la zone tout en se positionnant résolument sur l’ensemble des gammes, du luxe avec Sofitel jusqu’au trois étoiles avec Ibis», complète Philippe Gauguier, rappelant au passage «l’acquisition récente de Mövenpick et le partenariat stratégique noué avec le sud-africain Mantis». On l’aura compris, l’heure est aux grandes manoeuvres.

La nécessité d'un offre locale et adaptée à l'Afrique

Pour autant, des groupes locaux se développent parallèlement comme Mangalis, Azalaï ou Onomo. Avec là encore des stratégies spécifiques. Mangalis, via ses différentes marques (Noom, Seen, Yass), entend «capitaliser sur son identité ce qui a déjà été accompli tout en misant sur les contrats de gestion», détaille Philippe Doizelet. Onomo, née de l’idée de la nécessité d’une offre économique, qualitative et adaptée à l’Afrique avec à sa tête le Français Julien Ruggieri, développe une «stratégie continentale autour d’un produit simple et d’une identité qui mise entre autres sur le développement durable local». Enfin, Azalaï, dans un style bien différent d’Onomo, avance «pas à pas avec un grand succès» en prenant «plus particulièrement position sur la gamme quatre étoiles», comme l’explique Philippe Gauguier. 
«Nous ne sommes qu’au début du processus», prédit Philippe Doizelet, qui table «au minimum sur trois à quatre années de fort développement» au regard des liquidités disponibles. «Le taux de pénétration des chaînes, qui représente respectivement près de 70% et 50% aux Etats-Unis et en Europe, reste encore inférieur à 10% dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne», ajoute-t-il. Pas de doute, la bataille ne fait que commencer.

L’hôtel Kempisky au cœur d’une série TV

L’hôtel Kempisky Fleuve Congo est sans conteste le plus prestigieux de Kinshasa, capitale de la RDC, avec ses 237 chambres et suites. Son directeur des ventes et du marketing, Walid Mehiri, a eu l’idée de répondre banco à la proposition que lui a faite Didier Ndenga, producteur avec Habi Touré de la série-événement de TV5Monde, River Hotel (52 épisodes de 26 minutes, diffusés cet été). En échange de chambres pour l’équipe de la série et leurs invités, ainsi qu’une fête organisée pour l’occasion, Kempisky est au cœur de l’intrigue policière de la série. On ne compte plus les scènes tournées dans l’hôtel. Deux personnages, tenus par Eriq Ebouaney et la princesse Esther Kamatari sont aussi les propriétaires de l’hôtel.

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