Dossier Mobile
En permettant de mieux connaître les habitudes des mobinautes, la géolocalisation laisse entrevoir une personnalisation à grande échelle des messages publicitaires. À condition de respecter la vie privée des consommateurs.

En matière de marketing digital, la géolocalisation ouvre des perspectives riches de promesses. En permettant de connaître les lieux que les personnes fréquentent, elle transforme radicalement les approches et les stratégies du marketing digital, qui se fondaient jusque-là sur deux types d’informations comportementales : les mots-clés utilisés dans les recherches sur internet, pour repérer les intentionnistes, et l’identité des sites visités, pour cerner les centres d’intérêt. «Avec la géolocalisation, il est possible de savoir où se trouve réellement un terminal et donc de déterminer la consommation de son propriétaire, explique Nicolas Rieul, directeur de la stratégie et du marketing de S4M. Un annonceur peut ainsi savoir si un smartphone a été identifié chez un concurrent et lui adresser un message pour modifier les habitudes du mobinaute. C’est capital car 90% du chiffre d’affaires des marques se fait dans les points de vente physiques.»

Autre avantage de la géolocalisation : elle permet aux enseignes de mieux définir leur zone de chalandise. C'est un enjeu clé car, contre toute attente, elle évolue constamment, explique Eric Giordano, directeur général du groupe AdUX, spécialiste de la publicité digitale et de l’expérience utilisateur: «De nombreux éléments peuvent avoir un impact comme un changement de sens de circulation, une station de vélos en libre service ou la création d’un nouveau lotissement.» Disposer d’une zone de chalandise bien identifiée permet ensuite d’optimiser les campagnes digitales, mais aussi offline, en concentrant les messages dans les espaces où se trouvent les personnes qui viennent dans le magasin ou qui ont la plus forte probabilité de le visiter.

Repérer le client

Sans surprise, c’est le secteur de la grande distribution alimentaire qui, le premier, s’est emparé de cette nouvelle possibilité. Le mouvement a été particulièrement rapide étant donné que ce secteur souffre d’une désaffection persistante des consommateurs, qui handicape la progression de son chiffre d’affaires. La grande distribution s’est d’autant plus intéressée aux possibilités du mobile que la géolocalisation permet de mesurer le nombre de visites résultant de la diffusion des messages, un privilège jusqu’à présent réservé aux e-commerçants. Connaître le parcours complet des consommateurs devient d’autant plus accessible que de nombreux points de vente se sont équipés pour repérer leur présence. «Avec le wi-fi, on sait que le client est dans le point de vente et, avec le Bluetooth, dans quel rayon il est allé», précise Pauline Boedels, directrice conseil de l’Agence79.

La perspective est alléchante mais elle présente de sérieuses limites, prévient Alexandra Chiaramonti, responsable France de la plateforme de marketing mobile Teemo: «Les technologies de Beacon ou de Bluetooth en magasins sont très séduisantes sur le papier mais elles ne fonctionnent que si le client utilise son Bluethooth et a donné son consentement. Elles sont certes très précises mais elles ne peuvent pas fournir le grand volume de personnes touchées dont les retailers ont besoin. Et elles ont un coût non négligeable.» De quoi cantonner ces technologies à des usages très spécifiques, estime-t-elle: «Elles peuvent avoir un intérêt pour des acteurs de l’immobilier commercial, qui souhaitent connaître les endroits les plus fréquentés de leur centre commercial pour adapter leur grille tarifaire.»

Pour surmonter ces obstacles, des systèmes reposant sur le NFC ou les tickets de caisse sur smartphone ont émergé. Pour autant, ils ne suscitent pas un grand engouement, note Pauline Boedels, de l’Agence79: «Ce sont des dispositifs très imparfaits car toutes les technologies ne se connectent pas forcément. Le point clé n’est pas de tout tracker mais de comprendre le comportement des audiences et ce qu’elles cherchent.» Selon elle, le tout-technologie est une voie sans issue: «Les technologies ne peuvent pas être une réponse à toutes les questions car elles ont un coût élevé. Il vaut mieux mener des AB tests dans les points de vente représentatifs pour avoir une vision plus précise afin de mener une réflexion sur les parcours d’achat.»

Comparer les données

S4M propose une autre approche, basée sur une articulation entre les données digitales et celles déjà détenues par les grandes enseignes. Un partenariat a ainsi été établi avec 3W.relevanC, filiale du groupe Casino spécialisée dans la gestion des données. Il devrait permettre de boucler la boucle, assure Nicolas Rieul: «Nous avons désormais la possibilité de comparer les données issues de la géolocalisation avec celles issues des cartes de fidélité des clients du groupe Casino via une logique de panel, ce qui permet aux marques de déterminer le chiffre d’affaires supplémentaire généré par des campagnes publicitaires sur mobile.»

Les possibilités nouvelles de la géolocalisation vont aussi avoir des répercussions en amont de la chaîne et modifier la répartition des investissements. «Globalement, la géolocalisation va attirer des investissements, estime Nicolas Rieul. Une part du trade marketing [marketing sur point de vente], sous forme d'affichettes ou de prospectus papier, va basculer vers le mobile.» Ce mouvement va s’accélérer encore à mesure que les usages du mobile vont se généraliser.

Catalogues personnalisés sur mobile

Souaade Agmir, directrice de la stratégie digitale de Publicis Media note déjà que la plupart des distributeurs commencent à développer des catalogues promotionnels personnalisés sur le mobile. Elle ajoute que les stratégies drive-to-store peuvent largement améliorer leur efficacité: «Elles doivent systématiquement intégrer la DCO [Dynamic Creative Optimization, qui permet d'adapter en temps réel les créations publicitaires digitales] car le mobile est appréhendé comme un outil de service. Il est d’autant plus important de proposer des messages et des offres personnalisés qui s’intègrent dans le quotidien. La DCO n’est pas encore assez utilisée.»

Si les retailers ont été les premiers à saisir les opportunités de la géolocalisation, les agences ont aussi une carte à jouer, estime Souaade Agmir. «Demain, ces données vont nourrir le système plus en amont et permettre de modéliser les stratégies médias. C’est un domaine encore riche d’opportunités à explorer», conclut-elle.

Le mobile rattrapé par le RGPD

Le mobile n’échappe pas au Règlement général sur la protection des données (RGPD). La Cnil a épinglé en juillet Teemo et Fidzup, et en octobre, Singlespot. Depuis, Teemo a effectué les modifications demandées pour se mettre en conformité. Dans le cas de Singlespot, la Cnil constate que « les personnes ne sont pas systématiquement informées, lors du téléchargement des applications mobiles, qu’un SDK collecte leurs données de localisation » et qu’il « n’est par ailleurs pas toujours possible, pour l’utilisateur, de télécharger l’application mobile sans activer le SDK ». Selon Guillaume Tollet, délégué à la protection des données de Dentsu Aegis Network, « les décisions de la Cnil favorisent une prise de conscience et les directeurs marketing l’intègrent de plus en plus dans leur stratégie. Une nouvelle tendance émerge, celle de l’éthique de la donnée. Certaines marques, Apple par exemple, se positionnent dans un “mieux-disant” par rapport au RGPD mais toutes se questionnent car la confiance est un pilier de la relation client. »


Concilier reach et RGPD

Les informations de géolocalisation peuvent provenir d’un SDK implanté dans les applis ou des demandes d’enchères émises par les SSP (Supply Side Platform) qui ont des emplacements à proposer aux annonceurs. Après avoir utilisé un SDK, le groupe AdUX a adopté la seconde technique. « Outre notre questionnement d’alors sur notre capacité à collecter des données en conformité avec le RGPD, un SDK implique des démarches éditeur par éditeur, pour s'implanter dans chaque application. Avec les demandes d’enchères, nous avons un reach de 30 millions de mobinautes, contre plutôt 10 millions pour un SDK », explique Eric Giordano, son directeur général.

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