Développement
La Chine est depuis 2008 un marché stratégique pour les professionnels français de l’événement. Si tout y est hors normes, les règles comportementales pour y prospérer restent strictes. Mais pas insurmontables.

Novembre 2017 : le premier défilé de Victoria’s Secret à Shanghai doit marquer l’entrée en fanfare de la marque de lingerie dans le pays le plus peuplé du monde. Avec 6,7% de croissance, 1,4 milliard d’habitants, dont une part grandissante accède à la classe moyenne, et un goût pour les grandes marques occidentales, la Chine a tout pour faire rêver les actionnaires. Victoria’s Secret a ouvert son premier magasin à Shanghai quelques mois plus tôt, et prévoit d’en avoir 18 d’ici fin 2018. C’était sans compter sur la bureaucratie chinoise et son régime communiste plus que sensible…

Le soir de l’événement, ni la modèle Gigi Hadid, ni la chanteuse Katty Perry ne sont sur scène comme prévu. Les deux stars, indésirables, n’ont pas obtenu leur visa. Gigi Hadid a été accusée de racisme quelques mois plus tôt, pour une photo postée en ligne où elle plisse les yeux pour imiter un Bouddha. Quant à Katty Perry, la chanteuse paie une polémique datant de 2015, lorsqu’elle avait chanté à Taiwan en portant une robe à tournesols symbole de la contestation étudiante anti-Pékin. 

Anti-Chine interdit

Mais les deux stars n’ont pas été les seules victimes des sourcilleux services consulaires : quatre autres mannequins russes et ukrainiennes n’ont pas pu participer, alors qu’un certain nombre de médias et blogueurs de mode américains ont eu des difficultés à obtenir le sésame. La communication de l’événement a aussi souffert de la censure. Les médias présents ont appris au dernier moment qu’ils ne pourraient pas filmer à l’extérieur de la Mercedes Arena sans autorisation. Pour couronner le tout, la police est intervenue à minuit pour mettre fin à l’ « after party ». 

Si Victoria’s Secret a accumulé les pépins, les experts français de l’événementiel à Shanghai reconnaissent là les soucis auxquels ils sont confrontés quotidiennement. « Il faut obtenir énormément d’autorisations, dans tous les domaines, même dans des lieux privés, indique Loan Kobsch, directrice des contenus et responsable communication d’Havas Events en Chine. On arrive toujours à nos fins, parce qu’on ne lâche rien, mais quand regarde d’où on part… », sourit-elle. Même son de cloche chez le concurrent Auditoire, l’un des leaders français du marché avec 130 employés à Shanghai :  « Ils ne vérifient pas seulement la sécurité comme en France, mais aussi le contenu lui-même. Il n’est pas question d’inviter des gens ayant des propos critiques ou diffamatoires vis-à-vis de la Chine ou du gouvernement chinois », explique Antoine Gouin, directeur général de l’agence chinoise d’Auditoire à Shanghai. 

« Bon public »

Pour autant, quand on sait y naviguer, et à condition d’avoir des équipes bien établies localement, le marché chinois de l’événementiel offre plein d’opportunités. « C’est un marché encore jeune, il a dix ou quinze ans », estime Romain Devisme, directeur général d’Havas Events à Shanghai. La plupart des grandes agences internationales arrivent en Chine peu avant les Jeux olympiques de 2008. Un événement colossal en lui-même, géré à la baguette par des entreprises d’État spécialisées chinoises. Mais qui attire avec lui nombre de grandes marques internationales qui veulent animer leur présence sur place. Depuis, le marché a explosé : d’après la société de conseil en marketing R3, environ 40 000 entreprises chinoises travaillent dans l’événementiel, contre 300 agences étrangères, mais ce sont ces dernières qui se taillent la part du lion avec la plupart des grands événements et 25% du chiffre d’affaires total. 

Outre la nouveauté, l’événementiel au service des marques en Chine bénéficie d’un espace culturel relativement vide. « Je considère que la concurrence pour le marketing événementiel, ce sont aussi les opéras, ou le cinéma, analyse Antoine Gouin. Or l’offre culturelle est limitée en Chine, parce que le pays est très contrôlé. En France, il y a 10 000 festivals par an. Ici, c’est difficile d’obtenir des autorisations. Donc il y a un vrai appétit du consommateur chinois pour l’expérience. »
Un appétit qui se traduit par un engagement facile, un côté « bon public » des Chinois, qui n’hésitent pas à participer, se faire prendre en photo, sans réticence ou timidité. 

Et si la bureaucratie chinoise peut décourager, le pays donne aussi l’impression que tout est possible. Une fois les autorisations obtenues, les choses peuvent aller très vite. La main d’œuvre reste relativement bon marché, les entreprises locales sont habituées à l’improvisation de dernière minute. « Nous avons construit un court de tennis à Shangai et un autre à Pékin en deux jours. Exactement à l’identique du court Chatrier de Roland-Garros. En France, ce serait impossible », raconte Loan Kobsch, de Havas. « Tout est à l’échelle du pays : 3000 mètres carrés d’écran LED pour un événement, ici c’est possible », renchérit Charles Trigueros, directeur des opérations d’Auditoire. 

Une longueur d’avance sur le digital

Du point de vue technique et logistique, la Chine n’a rien à envier à la France, estime Thomas Thompson, directeur de l’agence shanghaienne de Manifestory. « On n’est plus du tout sur de la mauvaise qualité bon marché. Il y a une vitesse d’apprentissage impressionnante. On constate parfois une qualité d’exécution au niveau international, voire au-delà. J’ai vu des choses en Chine que je n’ai jamais vues ailleurs. En développement électronique par exemple, LED, technologie de projection… ce n’est plus seulement la production qui se fait à Shenzhen, mais aussi la R&D. Dans l’événementiel, ça nous donne accès à beaucoup d’outils qu’on n’aurait pas encore en France. »

En matière de développement du digital, la Chine prend aussi de plus en plus d’avance. Accros au smartphone, sur lequel ils passent en moyenne 2h39 par jour, les consommateurs chinois ont tendance à largement médiatiser toutes les expériences. Une tendance qui change profondément le métier. Il faut désormais penser un événement à la fois pour les invités et pour ceux qui le suivront en ligne en live streaming, sur l’une des dizaines de plateformes disponibles en Chine. « Nos KPI [indicateur clés de performance], même sur un événement physique, sont calculés sur les retombées en ligne. On ne pense plus un événement avec des morceaux de bois et des lumières, on réfléchit aux followers, aux KOL [key opinion leaders] qu’on va inviter… », raconte Romain Devisme. Le live streaming est un phénomène particulièrement tendance en Chine. Avec des chiffres à la mesure du pays : « Pour un événement Maybelline (maquillage), on avait 250 invités et 8 millions de followers en ligne », indique Antoine Gouin. 

Pour autant, les fondamentaux restent les mêmes : gestion de projet, sécurité, où l’expérience des agences étrangères est un plus, dans un pays où les contrôles de sécurité notamment, restent insuffisants. Et pour susciter l’attention, en ligne comme hors ligne, c’est toujours l’originalité qui fait la différence. Quand Havas recrée un court de tennis en haut d’une tour shanghaienne de 350 mètres, le buzz est assuré, et le client, Roland-Garros, satisfait. « La créativité reste un domaine où nous avons quelque chose à apporter », affirme Romain Devisme.

Adidas proclame la Republic of Sports 

Auditoire a créé pour Adidas un événement à long terme pour recrédibiliser l’équipementier comme vraie marque de sport : « Le consommateur chinois considérait Adidas comme une marque de mode, explique Antoine Gouin, directeur général d’Auditoire à Shanghai. Or en ce moment, le pays voit naître un mouvement national fort de développement de la pratique sportive auquel Adidas veut être associé. » Ainsi est né Republic of Sports, un programme d’événements organisés sur deux à trois semaines selon les villes – Pékin, Shanghai, Canton, Chengdu –, invitant le participant à pratiquer un sport de manière originale. Au-delà des activités attendues – séances de fitness collectives parfois en présence de stars, footings thématiques…–, le dispositif propose des expériences visant à amener le public vers de nouveaux sports ou de nouvelles pratiques et mettre en avant la créativité dans le sport par le biais de défis. Courez 890 mètres sur un tapis roulant avec 10 kg de poids sur le dos, et remportez un tee-shirt Adidas. Enfilez des gants de boxe, envoyez 65 directs dans un sac en 40 secondes et gagnez une photo de vous en pleine action. Faites tourner une machine à jus de fruit en pédalant sur 600 mètres en 90 secondes ! À travers ses événements dans quatre villes, l’édition 2017 a rassemblé 174 000 personnes et généré 142 millions de vues en streaming. Du fait des emplacements dans des lieux prestigieux, où Auditoire a construit des espaces de 1 000 à 4500 m2 ex nihilo, le plus compliqué a souvent été les relations avec les autorités locales. À Pékin, la salle doit fermer une journée à cause d’une parade populaire. À Canton, l’événement est reporté suite à une menace terroriste… « Néanmoins, nous avons réussi à relever le défi et les événements se sont déroulés sans problèmes. » 

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