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En 1986, Nespresso faisait office de pionnier en premiumisant un produit de grande consommation. Depuis, les exemples sont légion. Quelles sont les raisons qui poussent aujourd’hui les marques de retail à monter en gamme à tout prix ?

Nous vivons dans un monde où, en consommateurs avertis, nous voulons déguster des bonnottes de Noirmoutier plutôt que manger des patates. Fini également la pression ou le petit café serré, éclipsés par les millésimes d’Heineken ou les grands crus de Nespresso. En un exemple comme en mille, le postulat d’aujourd’hui est celui d’une « premiumisation généralisée qui guide toutes les marques de retail dans leur relation au consommateur », comme le résume Sophie Mauras, directrice associée du cabinet de conseil Kea&Partners. 

En cause, le niveau d’expérience client imposé par des géants comme Amazon. « Ces standards tirent tout le monde vers le haut, d’autant que le client devient pro-actif avec les réseaux sociaux, analyse Julie El Ghouzzi, directrice du Centre du luxe et de la création, think tank expert de ces problématiques. Il donne son avis et influence les stratégies des marques, qui comprennent plus précisément ses besoins. » Dès lors, les marques n’auraient plus le choix, à entendre Emmanuel Vivier, cofondateur du HUB Institute, au service de la transformation numérique des entreprises. « Les deux modèles deviennent Amazon ou Apple. Au choix, le mass market autour du tandem prix/volume ou le statutaire haut de gamme légitimant les marges, estime-t-il. Au milieu, difficile de créer de la valeur. En bas, impossible de concurrencer la force de frappe des nouveaux géants. La premiumisation devient dès lors une stratégie de survie. »


Une expérience client au-delà de l’achat

Pour devenir premium, chacun ses convictions. On peut par exemple passer par la reproduction des codes du luxe sur des biens de consommation courante, déployés sur la totalité de la marque, à l’instar de Nespresso, ou sur une gamme spécifique, à l’image de DS pour Citroën ou de Parnasse pour Orange. Cette dernière offre propose à 3000 chefs d’entreprise grands voyageurs des forfaits sur mesure ou l’assistance d’un coach personnel et d’une équipe disponible 24h/24 pour tout besoin numérique. « Nous sommes passés d’un modèle transactionnel à un modèle émotionnel, où la relation client devient expérience au-delà même de l’achat. Les marques de luxe ont montré le chemin de cette expérience ultime, et aujourd’hui le mass market doit s’en inspirer », explique Niva Sintès, directrice de la marque. Une exigence relationnelle telle que Parnasse a lancé sa propre école, qui forme aux codes comportementaux du luxe, pour aider les salariés d’Orange mais aussi d’autres entreprises à réinventer l’expérience client. 

Néanmoins, pour Tanguy Riou, directeur du planning stratégique de l’agence Lonsdale, la promesse de luxe est loin d’être la seule option : « Si les premiers exemples se sont volontiers construits sur ces codes, le nouveau premium n’a plus besoin de gants blancs. Il se construit surtout sur la sincérité, la considération des audiences et l’empathie. » « Ressembler à » n’est donc plus de mise pour monter en gamme. En lieu et place, comme le rappelle Grégoire Baudry, associé du cabinet de conseil en stratégie Bain, une bonne dose de sincérité : « La promesse doit être respectée et cohérente avec la marque. Si le low cost d’easyJet satisfait tout autant que le luxe d’Emirates, c’est que chacun sait tenir ses promesses. » 

Avec ce prérequis, tout devient possible pour travailler la premiumisation. Selon les territoires investis, on jouera sur la personnalisation, le service complémentaire, les valeurs éthiques ou encore le call center aux petits soins, à l’image du légendaire SAV de Zappos, site d’e-commerce racheté en 2009 par Amazon, et dont le plus long appel client reste célèbre pour avoir duré dix heures vingt-neuf. Certains prendront aussi exemple sur la fluidité servicielle des pure players, avec la possibilité de passer du online au offline sans rupture, l’amélioration résidant alors dans la simplicité plus que dans la notion d’exclusivité. 

 

Recréer de l’intérêt pour la boutique

Le magasin est lui aussi tiré vers le haut, avec une fluidification des parcours d’achat, une ambiance cosy, des packagings recherchés et des décors évidemment pensés pour être instagrammés à l’envi. Pierre Vialle, directeur commercial France de Mood, éditeur de solutions de marketing sensoriel ayant équipé à ce jour 500 000 points de ventes, analyse : « À une époque où l’on peut tout acheter de chez soi, il faut recréer l’intérêt d’une visite en boutique. La promesse s’appuie alors sur une notion d’émotion en s’adressant à l’ensemble des sens : musique, écran, odeur… Le plaisir peut prolonger une visite de 15 à 20 %. »

Grande résultante de cette quête obstinée du qualitatif, on passe également de la vente à la vie. Coin librairie pour L’Appartement Sézane, concerts et conférences pour le Samsung 837 au cœur du Meatpacking District de New York, salle de fitness Reebok à Paris, cours de bricolage pour Leroy Merlin, DJ pour Primark à Madrid… Les exemples abondent. Le digital est bien sûr aussi largement mis à contribution, comme lorsque Citroën, grâce à un concept imaginé par l’agence Lonsdale, propose au client de customiser son véhicule sur tablette avant achat. 

Enfin, à une époque où l’acheteur, connecté, en sait tout autant que son vendeur sur le produit, on joue la carte du conseil pour les forces de vente. L’accès à une data plus précise sur l’historique du client et le catalogue de marque aidera, comme chez Sephora par exemple, ainsi que la robotisation naissante de certains actes comme le tri ou le rangement, qui permet aux vendeurs de consacrer plus de temps à la demande du consommateur. 

Dans ce mouvement général qui se diffuse dans toutes les strates de la relation client, on l’a bien compris, écoute et empathie deviennent les maîtres mots. Mais comme le dit Niva Sintès, il ne serait finalement question que d’un juste retour aux fondamentaux : « La premiumisation remet simplement le consommateur au cœur du système en obligeant les marques à revoir leurs basiques. N’est-ce pas là le sens originel du commerce ? »

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