Scandale
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles n'ont pas laissé indifférent. L'odeur sulfureuse du scandale entourait maintes publicités des années 1980-1990, avec des marques comme Benetton en figure de proue de la provoc.

[Cet article est issu du n°1958 de Stratégies, daté du 5 juillet 2018]

 

Scandalissimo! Le 17 juin dernier, les lecteurs du Corriere della Sera et de La Repubblica découvraient une double page pour le moins… surprenante. Deux photos: la première donne à voir des femmes épuisées, débarquant dans le port de Valence, accueillies par une bénévole de la Croix-Rouge, la seconde, plusieurs dizaines de migrants dans un canoë, vêtus d’un gilet de sauvetage. Des clichés pris lors d’une opération de sauvetage, le 9 juin. La campagne, puisqu’il s’agit là de publicité, est signée Benetton, qui fait, depuis décembre, son grand « ritorno », avec l’inoxydable Oliviero Toscani aux manettes. Lesquels renouent avec une tradition : celle de la pub a minima provocatrice. Voire totalement scandaleuse.

La différence Benetton

Les campagnes du roublard Toscani rejoignent la cohorte de ces campagnes qui ont froissé, indigné, ulcéré. La très à l’aise dans son corps Myriam en 1981, et son «Demain, j’enlève le bas», pour l’afficheur Avenir (CLM BBDO), la sado-masochiste crème fraîche Babette («Je la lie, je la fouette, et parfois, elle passe à la casserole», 2000, D’Arcy), ou l’hétéro-beauf Audi («Il a l’argent. Il a le pouvoir. Il a une Audi. Il aura la femme», 1993, DDB). De la créa très, très chic.
«La différence entre Benetton et Babette, qui se situait dans un registre un peu bêta et Myriam, qui faisait preuve de davantage de malice, c’est que Benetton adoptait des prises de position politique, relève Clément Scherrer, directeur du planning stratégique chez Buzzman. C'est d'ailleurs le génie de Toscani pour Benetton: avoir trouvé un thème qui clive encore suffisamment avec son traitement de la question des migrants.»
C’est toute la différence avec la gaudriole à la Babette. «Il y a des marques qui provoquent pour interroger, et faire évoluer les mentalités. Quand Oliviero Toscani photographiait le baiser d’un prêtre et d’une nonne, ou David Kirby sur son lit de mort, il était dans une démarche quasi artistique, et faisait des publicités Benetton une conversation, en poussant les gens à s’interroger sur les dogmes et les faits de société, estime Guillaume Martin, head of strategy chez BETC. Il y a aussi des marques qui cherchent volontairement le scandale, comme si c’était l’ingrédient miracle de l’émergence. Avec cette question malsaine qui consiste à évaluer jusqu’où l’on peut choquer sans mettre sa marque en danger. Ici, on est généralement simplement dans du très mauvais goût - avec notamment de nombreux cas de dévalorisation des femmes.»

  Le sexe ne fait plus recette

De manière générale, rappelle Clément Scherrer, c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs scandales. «Le meilleur moyen de choquer depuis les années 70, c’est le sexe, de Polnareff au porno chic de Tom Ford... Aujourd'hui, le sexe ne fait plus recette, parce que les principaux tabous sont tombés. Les marques qui jouent cette carte dégradent plus leur image qu'autre chose a l’instar d’YSL et de ses mannequins anorexiques.»
Le scandale est dans les yeux de celui qui regarde, estime Guillaume Martin: «Il existe plusieurs paliers dans le scandale: l’indignation spontanée sur les réseaux sociaux, l’officialisation du scandale par les médias qui s’en font le relais, et enfin la demande du retrait de la campagne par des “officiels”.»

Dans les années 80-90, nombre de marques aimaient à choquer le bourgeois, à l’instar de Ben & Jerry’s et de ses glaces aux noms corrosifs. «La marque de mode anglaise French Connection avait été renommée FCUK[French Connection United Kingdom] par Trevor Beattie, dans une célèbre campagne “FCUK Fashion”, se souvient Guillaume Martin. Mais cela n’avait duré qu’un temps. Les marques qui ont cherché à en faire leur fonds de commerce ont toutes fini par s’essouffler, parce que le scandale ne peut être une fin en soi». 

  Dérapages incontrôlés

Aujourd’hui, on aurait d’ailleurs plutôt tendance à fuir le scandale. Histoire d’éviter la mésaventure de Pepsi, qui, dans son spot calamiteux avec Kendall Jenner rappelle Clément Scherrer, «a mis en scène des manifestions de révolte et de rage [Black Lives Matter] comme si elles étaient des manifestations vaguement hippies pour un monde meilleur». Et a provoqué les ricanements.
«Éviter le scandale, c’est un sujet ultra-quotidien, avouent Olivier et Hervé Bienaimé, directeurs de la création de 84.Paris. On se doit d’être des vigies, d’éviter les vieux réflexes, c’est un contrôle de tous les jours. À l’ère des réseaux sociaux, la sanction est immédiate…»
Résultat, hormis les dérapages incontrôlés à la H&M et son t-shirt «Le singe le plus cool de la jungle» porté par un petit garçon de couleur, les créatifs peinent à lister les marques provoc du moment. D’aucuns citent Diesel, qui tord les grandes causes pour mieux s’en moquer, ou enjoint ses clients à être débiles dans sa campagne Be Stupid… Et pas grand chose de plus. L'histoire publicitaire de Benetton aurait-elle été possible à l’ère de Facebook et du politiquement correct? Probablement pas. C'est sans doute là, le scandale.

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