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Grand Est, Hauts-de-France, Nouvelle-Aquitaine... Dix-huit mois après la création de ces nouvelles régions, nous avons demandé aux professionnels du secteur de la communication de juger les noms et identités choisis. Leur verdict est sans appel.

Fini les régions Champagne-Ardenne, Poitou-Charentes, Languedoc-Roussillon... Depuis la loi du 16 janvier 2015, la France ne compte non plus 22 mais 12 grandes régions métropolitaines. Sept d’entre elles sont nées de la fusion de deux ou trois entités : Grand Est, Hauts-de-France, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté et Normandie. Un décret en Conseil d’État du 29 septembre 2016 a acté le nom de ces nouvelles collectivités choisi, dans les faits, par les exécutifs régionaux, parfois après consultation populaire. Ce fut le cas dans l’Est, où les habitants ont voté à 75 % pour Grand Est, préféré à Acalie, Nouvelle-Austrasie et Rhin-Champagne. Le premier péché originel ? Pour Marcel Botton, directeur général délégué de l'agence Nomen, qui a créé les marques Vélib ou Vivendi, « l’erreur est de ne pas avoir consulté de professionnels. On a choisi le nom entre soi ou demandé aux habitants de le faire. Or, l’onomastique, la science des noms, obéit à des règles de prononciation, de longueur ou de disponibilité juridique qui ne sont pas forcément connues du public. Cela ne peut pas être un travail d’amateur ! »

Selon lui, à partir de quatre syllabes, un nom ne fonctionne plus. Un nom trop long, et l’on prend ses initiales pour en faire un acronyme, comme Paca, ou l’on n’en retient qu’une partie. Dans les nouvelles régions, seules Hauts-de-France, Grand Est et Normandie passent ce premier test.

« On a oublié de fournir le nom des habitants »

Un autre problème se pose, selon Marcel Botton: le gentilé, le nom des habitants. « C’est essentiel, relève-t-il. Or, là, on a laissé les habitants dans le flou, on a oublié de fournir les noms aux utilisateurs, notamment aux journalistes. Imaginez un nouveau pays qui se crée sans qu’on donne un nom à ses habitants. Ça ne va pas fonctionner. » Sauf à parler de « Grands-Orientaux » et de « Hauts-Français », seule la Normandie passe cette seconde épreuve. Le designer Ruedi Baur soulève une autre question : « Pour une région, il fallait déjà se poser la question de son rôle dans l’Europe si elle souhaite, par exemple, rivaliser avec les Länder allemands. Or, Grand Est est en contradiction totale avec cette idée, car la région est située à l’Ouest de l’Europe. Le but, c’était de faire lire la particularité du territoire par rapport au monde, pas par rapport à son voisin ! ». En s’appuyant notamment sur l’histoire, estime Marcel Botton, pour qui « il aurait peut-être fallu revenir au traité de Meerssen, qui avait partagé la Lotharingie ».

Un logo choisi sans appel d'offres

Le même amateurisme semble avoir présidé au choix suivant, celui de l’identité visuelle. Certaines régions ont sollicité, dans un même élan, professionnels et étudiants d’écoles d’art, comme l’Occitanie. Hauts-de-France a limité l’exercice aux seuls lycéens, apprentis et étudiants en art, design graphique et communication visuelle. D’autres ont demandé à leurs services internes de plancher, comme Grand Est. Les professionnels tiquent. « Nous avions réagi quand le logo était sorti sans appel d’offres, car on pense légitimement que nos conseils puissent être utiles pour une collectivité qui souhaite véhiculer un message autour de son attractivité », note à Strasbourg Thomas Azan, président de l’Union des conseils en communication (UCC) Grand Est.

L’identité retenue, le nom de la région inscrit en blanc dans un cartouche bleu, n’est pas sans rappeler le logo de Shopi, ont noté des internautes caustiques. Quant à celui de Hauts-de-France, une carte de l’Hexagone couronnée d’un cœur, il est l’œuvre d’une étudiante de 3e année à l’École supérieure d’art et de design d’Amiens. La gagnante n’est pas en cause. En revanche, le brief, qui proposait de créer un logotype « original, créatif, déclinable et répondant aux caractéristiques culturelles des Hauts-de-France », semble un peu léger. « C’est non seulement pathétique, mais en plus, préjudiciable », estime Ruedi Baur. Les élus ont-ils voulu à tout prix dépenser le moins d’argent possible pour éviter que leurs électeurs ne leur tapent sur les doigts pour des dépenses considérées comme injustifiées ? « Oui, si c’est juste un logo, c’est cher, note Ruedi Baur. Mais si l’on arrive à se dire, voilà quelque chose qui va parler de la région, servir à informer, à la rendre intelligible, alors là, non, ce n’est pas cher. Imagine-t-on de confier l’architecture d’une mairie à n’importe qui ? »

La réduction des coûts à tout prix

En Nouvelle-Aquitaine, Aurélie Loubes justifie l’appel au volontariat lancé dans sa région, qui a débouché sur un logo finalement réalisé en interne, composé d’une tête de lion dont les contours épousent ceux de la collectivité. « Je peux comprendre la position des designers, relève la directrice de la communication, mais notre préoccupation, c’est aussi nos concitoyens, qui voient mal une collectivité dépenser des sommes considérables pour sa communication et son identité visuelle. » Dans les Hauts-de-France, Guillaume Krizek, directeur adjoint à la communication, se souvient qu’en 2007, lors de la création du logo du Nord-Pas-de-Calais, « l’identité visuelle avait été critiquée par le public et les professionnels alors que nous avions fait appel à un cabinet, et il avait fallu rendre public le montant » de la prestation.

Pourtant, la Normandie, après le choix d’un logo institutionnel où deux léopards jaunes s’inscrivent dans une voile rouge de drakkar, s’est donnée les moyens de se doter d’une marque d’attractivité correspondant aux ambitions affichées par cette « région monde ». Budget : pas moins de 140 000 euros, une somme vilipendée par l’opposition et raillée par Le Canard Enchaîné, qui s’est étonné qu’il faille dépenser autant pour arriver au nom de… Normandie. « C’est un raccourci, cette somme correspond à un travail d’une année des agences CoManaging et MMAP, qui a permis de créer une identité avec l’ensemble des acteurs du territoire de manière à ce qu’ils puissent se l’approprier », indique-t-on dans l’entourage du président Hervé Morin, où l’on assume totalement cet investissement. À leur tour, Nouvelle-Aquitaine et Hauts-de-France réfléchissent à une marque d’attractivité.

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