La révolution numérique va-t-elle, comme toutes les révolutions, finir par dévorer ses propres enfants, à savoir les Chief Digital Officers (CDO) qui s’en sont fait les apôtres ?

Les comportements et attentes qu’expriment les consommateurs à travers leurs données constituent le pétrole du 21ème siècle. Et pour définir la stratégie d’utilisation et de pilotage de ces données, diffuser la culture numérique dans tous les services et faire évoluer les méthodes de travail, les grandes entreprises ont commencé à la fin des années 2000 à créer des postes de Chief Digital Officers (CDO).Catalyseurs de la sacro-sainte transformation digitale, ces évangélisateurs ont essaimé dans tous les secteurs et gagné en influence. Selon une étude du cabinet Haussmann Executive Search, 90 % des firmes du CAC 40 disposaient en 2015 d’un CDO. 52 % d’entre eux faisaient leurs reportings à la direction générale, 24 % au PDG, 10 % à la direction marketing ; 52 % faisaient partie du comité exécutif, 33 % du comité de direction. « Leur plus grande difficulté est de se trouver entre le directeur des systèmes d’information, le directeur des ressources humaines et le directeur de la communication, et d’avoir finalement accès à tout le monde et à personne, remarque Alexandre Pachulski, cofondateur de Talentsoft, éditeur de logiciels de gestion des ressources humaines. Les fonctions transverses de transitionneurs, de disrupteurs, sont aussi passionnantes que délicates. »
Mais à force de porter avec succès la bonne parole auprès des salariés et de les convertir en masse aux bienfaits du numérique, les CDO ne travaillent-ils pas à leur propre disparition ? À l’aube des années 1990, on disait la même chose des directeurs de l’environnement fraîchement nommés. On voit ce qu’il en est advenu : les enjeux environnementaux n’ont cessé de gagner en importance et de se transformer. Et trente ans plus tard, les directeurs de l’environnement sont toujours là. 
Un rôle qui évolue

Tout porte à croire qu’il en sera de même avec le Chief Digital Officer, dont le rôle se modifie à mesure qu’avance la numérisation des entreprises. Loin de disparaître, il voit donc son métier et son profil évoluer. « Les premiers titulaires de ce poste étaient des Chief Marketing Officers ayant un focus sur l’expérience digitale du client. Aujourd’hui, ils touchent non seulement le service client, mais la stratégie corporate, l’innovation au sein de la société, le côté opérationnel, bref toute l’entreprise », confirme Sabine Khalil,  enseignant-chercheur en management des systèmes d’information d’ICD-Groupe IGS. Jouant le rôle d’un véritable chef d’orchestre, le CDO sera à l’avenir, d’après la chercheuse, de plus en plus chargé de mettre autour de la table les directions métiers, les directions générales et les directions des systèmes d’information, pour les faire avancer ensemble dans la transformation numérique. 
La fonction du CDO est d’autant plus importante que la nature, le volume des données et leur traitement par l’entreprise soulèvent de nouvelles questions. Auparavant, l’entreprise ne traitait que des données simples, dites structurées, de type Word, Excel, bases de données souvent internes. « Aujourd’hui, l’avènement des réseaux sociaux et du Big Data requiert de gérer des données non structurées externes, ce qui nécessite plus de compétences et de réactivité de la part du CDO », pointe Xavier Lebecque, consultant en informatique et CTO pour Awtol-services. Ainsi doit-il réaliser une gestion en temps réel de données souvent éphémères et les structurer pour qu’elles apportent une vraie plus-value au sein de l’entreprise, tout en respectant les règles de bonne gouvernance interne et celles imposées par le législateur.
Un nouveau challenge européen

Et à chaque innovation ou révolution, les CDO doivent sur le métier remettre leur ouvrage. Nombre d’entre eux travaillent aujourd’hui à ce que les différents services de l’entreprise fassent bon usage des solutions cloud qui se généralisent. Dans les mois à venir, ils affronteront un nouveau défi. Avec l’entrée en vigueur en mai prochain du Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui renforce la protection des données personnelles dans l’Union européenne, « le CDO pourra aussi endosser le rôle du Data Protection Officer (DPO), puisqu’il possède déjà une vision et une compréhension des données », prédit Xavier Lebecque.

CDO dans la com : une longueur d’avance

Plus avancées dans la transformation numérique, les entreprises digital natives, qui vivent essentiellement ou exclusivement par et pour l’internet (dans les secteurs de la communication et de l’e-commerce notamment), ont tout autant besoin que les autres de CDO, mais elles n’en font pas tout à fait le même usage. Capucine Piérard, directrice générale adjointe du pôle média d’Havas Group en France, considère ainsi que le CDO y est amené à se spécialiser sur deux grands sujets. D’une part, il peut approfondir certains sujets digitaux tels que le mobile, les réseaux sociaux, le programmatique ou les contenus digitaux, pour développer un savoir-faire qui rayonnera dans l’entreprise. D’autre part, il peut exploiter les sujets data pour assurer une meilleure compréhension du business de l’entreprise et optimiser l’impact commercial de leur usage. 
Dans ce secteur, la nomination d’un gourou unique prêchant le même discours à tous n’est pas la seule solution pour avancer dans la transition numérique. C’est la conviction d’Havas, qui a préféré nommer huit « connexion managers » au cœur des équipes. Dotés de profils différents, ils développent une compétence spécifique sur les sujets qui intéressent le groupe (vidéo, data intelligence, programmatique...). « Cela nous a permis de prendre un véritable temps d’avance sur le marché, estime Capucine Piérard. Nos CDO adaptent leur démarche aux différentes équipes en fonction des sujets et des problématiques. Et ils sont également plus pointus. » 
Autre initiative originale, celle de Google. Le géant californien a nommé un « Head of Digital Transformation », non pour avancer dans sa propre transformation numérique interne, mais pour aider ses plus gros annonceurs à progresser dans cette voie et donc à solliciter encore davantage ses services. Aider ses clients pour s’aider soi-même, il fallait y penser… 

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