La marque de foie gras, jambon sec et saumon fumé réoriente son positionnement avec Ogilvy Paris, pour tenter d'évoluer avec son temps.

Joindre le geste à la parole. C’est ce que fait, symboliquement en tout cas, Delpeyrat, dans sa nouvelle campagne TV réalisée par Ogilvy Paris, et diffusée depuis le 12 novembre. « Nous voulions parler de notre identité, introduit Thierry Crouzet, le directeur marketing. C’est-à-dire, une marque créée par Pierre Delpeyrat en 1890 à Sarlat, dans le Périgord. »

L’accent du sud-ouest caractéristique des pubs Delpeyrat des dix dernières années a pourtant disparu. « Nous voulions en sortir pour viser plus large. » L’ambiance n’est plus festive mais rustique. Sur fond de musique classique et sous une lumière tamisée, la marque nous emmène à la rencontre de « ses hommes et de ses femmes ». Un premier, dans un atelier aux murs en pierre de taille, sale un filet de saumon et passe sa main dessus. Un deuxième, dans un séchoir, vérifie l’affinage d’un jambon de Bayonne et porte un échantillon à ses narines. Une troisième, enfin, retire le chiffon qui recouvre des morceaux de foie gras, et en saisit un à pleines mains. Les gestes sont « précis », « minutieux », « maîtrisés » et « hors du temps », nous dit la voix-off.

Accompagnée pendant 14 ans par l’agence Business, Delpeyrat a développé une culture « très produit », reconnaît Thierry Crouzet, et le marque reste attachée au Sud-Ouest. En 2017, elle entame un nouveau cycle de son développement avec ce positionnement plus large. « Nous voulons clairement premiumiser la marque », annonce le directeur marketing.

Le prix à payer

Cette montée en gamme, Delpeyrat assure en « avoir eu de toute façon l’ambition ». En réalité, l’entreprise a aussi dû s’adapter à la crise de la grippe aviaire qui sévit depuis 2015 : le volume total de foie gras a fondu de 46 % en deux ans selon l’interprofession (Cifog), provoquant une inflation des prix estimée entre 9 et 20 %, selon les études. « Cela a été deux années compliquées, inégalées au niveau national. Nous avons dû réinventer nos modes de production, ce qui a eu un impact très fort sur notre activité », confirme Delpeyrat - qui a eu le nez creux, en se diversifiant avec le jambon sec en 2008, et le saumon fumé en 2013. De quoi réduire sa dépendance au foie gras à 30 % aujourd'hui.

Ce dernier reste néanmoins un produit incontournable. « Comme les prix ont augmenté en raison de la crise, la marque doit maintenant les justifier, alors elle a choisi de passer par la qualité et le savoir-faire », analyse Ugo Jandrain, associé chez Dupont Lewis, agence spécialisée dans l’alimentation. Thierry Crouzet, lui, avance surtout une « réponse aux attentes des clients, qui prônent une juste rémunération des producteurs ».

Si l’épizootie devrait passer, il est un autre défi, plus endémique, qui touche la marque : la montée de la défiance vis-à-vis du foie gras et de ce que sa fabrication implique. 51 % des Français se disent favorables à l’interdiction du gavage pour des raisons éthiques, selon un sondage Opinionway pour l’association végane L214. « Les millennials sont surtout ceux qui demandent de la réassurance », indique Delpeyrat. Paradoxe : une autre enquête du CSA pour le Cifog, dit que 93 % des Français veulent en consommer encore.

Sur le gavage, Thierry Crouzet flèche vers l’interprofession, ne souhaitant « pas exposer la marque à la polémique ». Pour l’éloigner, Delpeyrat a pris soin d’humaniser son discours dans sa campagne. « L’essentiel du brief portait sur le terroir et ses filières, avec les hommes comme premiers acteurs », indique Christian Foulon, directeur de création chez Ogilvy Paris. Dans le film, les mains d’artisans sont omniprésentes. En plaçant le projecteur sur les gens derrière ses produits, Delpeyrat sensibilise à la cause des petits producteurs, et génère de l'empathie.

Cuisine sublimée

« La marque a des choses à raconter, ce qui n’est pas toujours le cas pour d'autres acteurs … Obligeant le planneur à aller à la chasse aux insights pour récupérer une tendance et surfer dessus », souligne Christian Foulon. « Pas besoin de jouer des claquettes ici, poursuit-il, car Delpeyrat a un historique fort, et comme les produits ne sont quasiment pas transformés, il suffisait de montrer les gestes. »

Quitte à ouvrir ses portes pour valoriser un savoir-faire, Ugo Jandrain s’étonne que Delpeyrat n’ait pas joué le jeu à fond. « On voit une vieille balance, le saumon en cagette… On se croirait un siècle avant. Tout cela est trop beau et donne l’impression que ce n’est pas la réalité », déplore-t-il, avant de pondérer : « D’un autre côté, ces codes permettent de valoriser un produit qui a été banalisé ces dernières années. »

Alors que certains, comme Fleury Michon, mettent moins en scène la réalité (« Enfin des plats cuisinés qui ressemblent à la photo »), Delpeyrat continue à la sublimer. Thierry Crouzet défend ce choix par « les contraintes techniques de tournage et d’hygiène, qui rendaient impossible un tournage dans nos ateliers de production ». Les gestes d’antan ont donc été tournés en studio. Deuxième argument du directeur marketing : le « contexte publicitaire », qui invite à « magnifier les gestes » - qui « font partie du panel maitrisé par les femmes/hommes », tient-il à rappeler.

Dans ce film, les mots sont rares et pesés. Quand Delpeyrat parle de « gestes hors du temps », la marque sembler décorréler son métier historique des débats actuels. « Jeunes comme vieux l’ont peut-être oublié, avec le discours médiatique qui fait la part belle au “food bashing”, souligne Thierry Crouzet, mais ces savoir-faire existaient bien avant. » En attendant, Delpeyrat affine sa cible : les seniors. Mais la marque espère bien renouveler sa clientèle un jour. Le dernier geste qu'elle a retenu dans son film, « le plus beau » à ses yeux, est « celui de transmettre ».

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