stratégie de marques
Nabilla Benattia est devenue la marque Nabilla. Avec une stratégie marketing bien pensée, pour capitaliser sur sa notoriété... éphémère ?

Trouver le bon positionnement. Créer l'événement. En marketing, le succès d'un nouveau produit répond à quelques règles de base. C'est aussi le cas à la télévision. Testée durant deux ans, la marque Nabilla a explosé en 2013 grâce à un positionnement clair, un public ciblé et un événement... téléphoné.

Nabilla est le phénomène média de 2013. Un visuel (l'auriculaire et l'index de la main droite formant un combinée téléphonique virtuel), une accroche (« Allô, non mais allô quoi ! ») lâchée dans le cadre de l'émission Les Anges de la télé-réalité sur NRJ12, et voilà cette jeune femme de bientôt 22 ans propulsée en tête de gondole de la plus grande enseigne de distribution du monde, Internet.

La marque Nabilla ne compte pas moins de trois mentors : Thibaut Valès, Jérémy Michalak et Alexandre Dos Santos, dit Zuméo. Ce sont les trois patrons et associés de La Grosse Equipe, la société de production qui réalise notamment Les Anges de la téléréalité et Hollywood Girls pour NRJ12 (lire aussi le portrait de Jérémy Michalak page 95).

C'est Thibaut Valès qui aurait repéré la jeune fille dans une saison de l'Amour est aveugle, diffusée en 2011 sur TF1. « On a senti qu'il y avait un potentiel, qu'elle pouvait exploser. Des séquences pouvaient vraiment buzzer », raconte-t-il. 

En mars 2013, la cinquième saison des Anges de la télé-réalité sera un formidable linéaire pour exposer cette nouvelle marque ciblant les 15-24 ans. Le coup de pouce viendra d'un journaliste du site du Figaro qui, le 6 mars, retient la fameuse séquence dans son zapping télé quotidien.

L'effet est immédiat. « Allô, non mais, allô quoi » fait aussitôt le buzz, est repris par les médias et copieusement détourné. « C'est une phrase que les gens ont pu s'approprier, souligne Benoît Bellucci, consultant à l'agence Trnd, spécialisée dans le marketing du bouche-à-oreille. Ensuite, les publicitaires ont pu positionner leur marque avec leurs codes en réutilisant cette phrase très simple, qui se prêtait à des parodies ».

Le lancement est phénoménal. Le plan média explose. En mars, selon Kantar Media, Nabilla est l'objet de 2 200 sujets dans les médias (TV, radio, presse, sites internet) et de 2 700 en avril. Le total approche les 16 000 en fin d'année. Un niveau de pression digne du lancement d'un modèle de voiture. Sur Twitter, le hashtag "#NonMaisAlloquoi" pointe en tête des tendances 2013 avec 60 000 mentions en une semaine début mars.

Près de dix mois après son lancement, la marque Nabilla est toujours aussi attractive. Le 12 novembre dernier, plus de 109 000 mentions saluaient le premier volet de son nouveau programme sur NRJ12 baptisé... Allô Nabilla. Un niveau qui fait dire à Twitter France que Nabilla « devient une marque en tant que telle ».

Notoriété au top, clientèle fidèle, plan médias optimum... il n'en faut pas plus pour aiguiser les appétits. Sitôt la fameuse petite phrase lâchée dans Les Anges de la télé-réalité, des opportunistes reprennent la formule et même l'image de la jeune femme dans des publicités.

Première à dégainer, l'agence Marcel (Publicis Groupe) monte en urgence un spot pour Oasis, avec pour slogan, « T'es un fruit et t'as pas de pépins ? Non, mais à l'eau quoi ! #Be Fruit ». Le film est diffusé sur la fanpage Facebook d'Oasis et calibré pour être facilement viralisé. Ikea et son agence Hémisphère Droit, l'enseigne Dia, le chausseur Sarenza s'engouffrent  dans la brèche. Victime de son succès, la marque Nabilla est l'objet d'embush marketing (« marketing d'embuscade ») caractérisé et même de plagiat.

Car Nabilla avait oublié de protéger juridiquement sa marque. Ce sera fait trois jours après le début du buzz... avec l'aide appuyée de La Grosse Equipe. Une manière de reprendre le contrôle des opérations. La production dépose ainsi à l'Institut national de la propriété industrielle le nom « Nabilla » et les termes « Allo Nabilla » et « Nabilla cherche l'amour ». La Grosse Equipe les a déjà enregistrés dans cinq classes (publicité, télécoms, imprimerie pour produits dérivés, appareils-instruments et éducation).

La jeune femme dépose aussi en son nom, à son adresse personnelle en Suisse, la phrase qui a fait sa célébrité « Nabilla Allô t'es une fille t'as pas de shampoing c'est comme si t'es une fille t'as pas de cheveux ». Ces procédures obligent les marques ayant utilisé son slogan à retirer sans délai leurs parodies. Finie les pâles copies : la vraie et l'unique, c'est elle.

La démarche est devenue banale. Déposer son nom pour sacraliser son image ou lancer un parfum n'est plus l'apanage d'artistes ou de stars. « Depuis quatre ans, le seuil de célébrité à partir duquel on s'engage dans un dépôt de marque a baissé », souligne Etienne Wéry, avocat spécialisé en presse et médias. Toute starlette y a ainsi recours, et passe donc de la personnalité à la marque.

 « Ce n'est plus un bien de luxe de s'offrir une stratégie de marque pour une personne (un peu) connue, poursuit le juriste. Si elle était jusqu'à présent couverte par les droits de la personnalité, on va maintenant plus loin en étendant le droit de la marque ». Une démarche marketing assumée, donc.

Le développement de la marque vise à générer des revenus, autour de la commercialisation de produits. Premier d'entre eux, bien sûr, l'émission Allô Nabilla. La starlette a signé avec La Grosse Equipe pour quarante épisodes. Côté produits dérivés, cet été, Nabilla a sorti un livre, Allô (éd. Michel Lafon) et une série de 60 000 T-shirts portant sa petite phrase chez Auchan et Carrefour. Ainsi qu'une ligne de cinq T-shirts, commercialisés depuis début décembre par la marque très branchée Eleven Paris.

Vont suivre des applications mobiles, conçues par l'éditeur Sellfish : « Il développe une série d'apps rigolotes autour de Nabilla : des réveils, des messages personnalisés... Ils sortiront lors de la diffusion de la prochaine mini-saison de son émission, début 2014 », précise Thibaut Valès. Côté publicité, « deux partenariats publicitaires sont bien engagés, dont un avec un éditeur de jeux vidéos, pour qu'elle soit l'égérie d'un nouveau jeu », révèle-t-il.

La stratégie marketing est limpide. « Il s'agit de lui construire une image, de la faire exister sur le long terme, quitte à mettre parfois en stand-by son exposition, pour mieux la faire grandir », explique Thibaut Valès.

La cible est bien définie : les 15-24 ans. C'est auprès d'eux que NRJ12 a fait un carton d'audience avec Les Anges de la téléréalité. En mars et avril, le magazine quotidien diffusé à 18 heures dépassait souvent le million de téléspectateurs. « Oui, Nabilla est connue, mais elle est aussi très segmentante, note François Ouisse, chef de service à Télé Loisirs. Sa notoriété est importante, mais son image n'est pas vendeuse auprès des “ménagères de moins de 50 ans”».

Un constat partagé par les professionnels de l'achat d'espace. « Le problème de Nabilla est qu'elle n'est pas transgénérationnelle, souligne Olivier Roberdeau, directeur TV chez Mindshare. De plus, les annonceurs ne regardent pas ce type de programmes. Mais ils nous ont beaucoup interrogé sur ce phénomène, qu'ils ont sans doute ressenti à travers leurs enfants. »

Au fait, quelles valeurs incarne la marque Nabilla ? La nouvelle génération pop. Avec « un culot monstre, où l'on tente tout. Nabilla se met en scène, dans un mélange de calcul et de spontanéité », estime Frank Tapiro, PDG de l'agence Hémisphère Droit.

Une sorte de self-made woman a donc émergé grâce à la télé-réalité. « Il y a cet ingrédient aspirationnel propre à la télé-réalité, où l'on met en scène l'ascension de quelqu'un sans diplôme. Les producteurs jouent aussi sur le mythe américain et montrent le décalage de classe, avec Nabilla et sa famille dans des lieux qui ne leur correspondent pas [l'émission se déroule dans une luxueuse villa à Hollywood] », pointe le sociologue François Jost.

En 2014, la marque Nabilla devra passer à une nouvelle étape : se construire pour durer. En marketing, 90% des nouveaux produits disparaissent après une année. « J'ai peur qu'il ne s'agisse que d'un épiphénomène », juge Olivier Roberdeau. L'émission Allô Nabilla, ma famille à Hollywood n'a d'ailleurs pas fait le carton espéré en novembre sur NRJ12. Sans doute en raison d'une programmation en soirée, moins adaptée aux adolescents, reconnaît-on en interne à la chaîne. La preuve : 24% de l'audience ont été réalisées en différé. Un chiffre 2 à 3 fois supérieur à la moyenne.

Toutefois, NRJ12 entend poursuivre l'exploitation de sa pépite. Des prochaines mini-saisons de Allô Nabilla seront diffusées à partir de février 2014. « Nous ne sommes pas Nabilla-dépendants », se défend Stéphane Joffre-Roméas, le directeur des programmes, qui n'a pas souhaité indiquer à Stratégies si sa chaîne bénéficiait d'un contrat d'exclusivité avec la jeune femme.

 

Dates clés

 

5 février 1992. Naissance de Nabilla Benattia à Ambilly (Haute-Savoie).
2006. Arrête l'école et devient mannequin.
2007. Apparition dans le Clip Turn Me Up, de Prodyge Crew.
2011. Elue Miss Salon international de l'automobile de Genève en tant qu'hôtesse au stand Peugeot.
2011. L'Amour est aveugle (TF1).
2012. Les Anges de la télé-réalité, saison 4 (NRJ12), Hollywood Girls, saisons 1 et 2 (NRJ 12).
2013. Les Anges de la télé-réalité, saison 5 (NRJ12), Hollywood Girls, saison 3 (NRJ 12) et première émission propre, Allô Nabilla, ma famille en Californie (NRJ12). Tournage de la saison 2 à Paris.
2014. Tournage de la saison 3 de Allô Nabilla, à Tokyo.

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